Maison Schengen : Kinshasa s’attaque à la monopolisation exercée par la Belgique 

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Aujourd’hui, nous vous proposons cette tribune de Martin ZIAKWAU Lembisa, Internationaliste, analyste politique, et auteur du livre : Accord-cadre d'Addis-Abeba : Portée et incidence sur la République démocratique du Congo.

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Après les promesses de campagne électorale et les charmes postélectorales, le Président de la République, Félix Tshisekedi, met en exécution la « réactivation » de la Maison Schengen. Pour preuve, vendredi 22 février 2019, la RDC et la Belgique ont conclu l’« Accord visant à la réouverture de la maison Schengen ».

Un geste de dégel souhaité et attendu par Bruxelles et d’autres partenaires européens qui, après avoir exprimé des doutes sur la crédibilité du processus électoral, ont résolu de tendre la main au cinquième Président congolais. Reste à savoir si la flexibilité de la nouvelle diplomatie congolaise suffira à persuader la Belgique à revenir sur la « révision », décrétée unilatéralement en janvier 2018, de sa coopération avec les autorités congolaises jusqu'à « l'organisation d'élections crédibles ».

Ceci pourrait déterminer la gestion des dossiers sensibles entre Kinshasa et Bruxelles ainsi que le niveau de stabilité interinstitutionnelle en RDC. En clair, il s’agira de savoir jusqu’où le Président Tshisekedi marquera symboliquement la rupture dans la pratique diplomatique avec son prédécesseur, qui s’est révélé intransigeant à l’ « ingérence » dans les affaires intérieures de la RDC. 

A scruter l’Accord de vendredi, il y a lieu de penser qu’il s’agit moins d’une simple réouverture de ce centre commun de réception des demandes de visas à Kinshasa pour le compte de dix-huit pays européens que d’une tentative d’impulsion d’une nouvelle dynamique de coopération consulaire entre la RDC et ces derniers. En effet, ce compromis consacre la promotion d’une mutation de la direction exclusive de la maison Schengen par la Belgique vers une gestion multilatérale et rotative de cette structure.  

Depuis la création de cette maison en 2005, c’est la Belgique qui en assure la direction au point de donner à penser que ce centre serait pleinement intégré dans les dispositifs consulaires de Bruxelles. Il s’ensuit que la Belgique inscrit de fait cette structure dans ses stratégies diplomatiques dans un ordre de bilatéralité relationnelle avec la RDC. En plus et en soutien aux considérations historiques et économiques, l’organisation et le fonctionnement de cette maison participent au renforcement du rôle de la Belgique dans les interactions politico-sociales en RDC dont le peuple et les animateurs des institutions restent largement ouverts au monde extérieur, notamment européen.

Sont ainsi éloquentes les concessions qui y sont faites aux officiels congolais non seulement en termes d’ouverture d’un guichet spécial à l’Ambassade de la Belgique ou de durée de validité de visas délivrés aux détenteurs des passeports diplomatiques (au moins trois mois) mais aussi de l’inscription de la possibilité dont disposent les ambassades autres que celle de la Belgique de « délivrer directement des visas Schengen aux titulaires (congolais) de passeport diplomatique ».

Qu’adviendra-t-il si, à terme, en dépit de la mise en place au sein de cette structure d’un « Comité de pilotage », « chargé de la bonne mise en œuvre des dispositions du présent accord et de l’examen régulier des questions opérationnelles liées à l’application de la politique commune des visas en RDC », Bruxelles continue à bénéficier du soutien de ses partenaires européens pour exercer une certaine prépondérance dans la gestion de la « Maison Schengen » new-look ?  

C’est dire que le problème de fond ne semble pas relever du changement de label de ce centre, encore moins de la lutte contre une certaine monopolisation de la Maison Schengen par la Belgique, du reste non sans consentement de ses partenaires européens, mais plutôt d’un dialogue à engager sur les postures acceptables et condamnables dans les relations entre Kinshasa et Bruxelles, en dents de scie depuis l’indépendance. En d’autres termes, il est question de savoir si le Président Tshisekedi peut bénéficier d’un traitement différent de ce que la Belgique a réservé jadis à Lumumba, Mobutu, Kabila père et fils ? Il n’y a pas à exclure que le discours belge axé sur la crédibilité des élections consiste en réalité à préparer soigneusement l’épine à tenter de mettre sous le pied du Chef de l’Etat toutes les fois que sa vision irait à l’encontre des attentes de l’ancienne puissance coloniale. Cette rationalité de la « vérité des urnes » est si différente de celle relevant de l’entendement commun.

Les termes de cet Accord traduisent la prise en compte, par la partie congolaise, d’une part des leçons du passé des rapports avec la Belgique. Il est possible que cette question ait été évoquée au cours des échanges que le Président Tshisekedi a eus, dimanche 17 février 2019, avec son prédécesseur. Car, les concessions faites à la RDC semblent contribuer à apaiser quelque peu le pouvoir sortant. Reste à savoir si, structurellement et ontologiquement, le Chef de l’Etat réussira à mobiliser et engager le peuple congolais dans la déconstruction des infrastructures linguistiques, au substrat anthropologique, en vertu desquelles les relations entre Bruxelles et Kinshasa sont considérées comme relevant de l’ordre du « rapport oncle-neveu ». Il est un secret de polichinelle que, dans les sociétés congolaises, le "Noko" (oncle) jouit du pouvoir de vie et de mort sur son neveu.

Pour mieux s’y prendre, le pouvoir congolais ferait œuvre utile de vider ce qui a souvent servi de prétexte en sa défaveur. Il s’agit donc de travailler pour le bien-être du peuple congolais, de promouvoir et d’attester la lutte contre la corruption et l’instauration d’un Etat de droit, d’assainir les écuries d’Augias dans divers domaines de la vie nationale, … pour insuffler le changement tant promis. Somme toute, il faudrait donc assez de cohérence stratégique pour s’attaquer véritablement aux racines du mal à la base du pourrissement des relations entre Bruxelles et Kinshasa en vue de l'affirmation de la respectabilité de la RDC.

Martin ZIAKWAU Lembisa

Internationaliste