Cohabitation ou Coalition : Des perspectives différentes dans la désignation du Premier ministre

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Aujourd’hui, nous vous proposons cette tribune du Professeur Christian Kabange Nkongolo

Tribune

Dans tout Etat, l’espace politique représente fondamentalement un univers d’alliances politiques positives ou négatives (Bué) à travers lesquelles, les acteurs tendent soit à se neutraliser mutuellement, soit à s’unir en vue d’une action commune. Depuis l'accession à la magistrature suprême de Félix Antoine Tshisekedi Tshilombo, une ère nouvelle s’est ouverte en République Démocratique du Congo (RDC), celle d'une alternance partielle. Au menu des interrogations qu'elle suscite dans l'opinion publique congolaise,  une question majeure taraude les esprits, celle de comment se fera la gouvernance du pays, implicitement et plus spécialement, en rapport avec le choix du Premier ministre et la formation du gouvernement dans un contexte où, le Président jouit de la majorité présidentielle sans détenir une majorité parlementaire évidente.

Entre cohabitation et coalition, d'aucuns tombent malheureusement dans l'hérésie de croire que la démarche et son résultat seraient forcément identiques. Il s'agit là bien d'une sorte de reflet du syndrome des raisonnements simplistes, de plus en plus répandus dans une société où faire la « langue de bois » sur un sujet peu maîtrisé devient la norme, en témoignent la ferveur et l'audace des publications sur les réseaux sociaux. Plutôt que de réduire la réflexion à la seule question de savoir si le Front Commun pour le Congo (FCC) jouit ou non de la majorité parlementaire et que de facto, il lui revient d’imposer un Premier ministre point barre! , il y a un préalable qui devrait orienter le débat. Il s'agit avant tout de situer le contexte, selon que l'on tend vers une cohabitation ou une coalition. Le véritable enjeu de ce débat étant la problématique de l' «équilibre des pouvoirs», il faut bien avoir à l'esprit que dans l'un ou l'autre des cas, les implications n'ont pas toujours la même incidence sur la balance.

De manière très simple, la cohabitation est ce scénario classique qui se dessine lorsque le président de la République ne dispose pas d’une majorité absolue (la moitié des sièges plus un) à l'Assemblée nationale. Dans ce cas, il lui devient difficile d'exercer librement la totalité de son imperium. Le gouvernement qui est l'émanation d'une majorité parlementaire opposée, va en général chercher à s'imposer sur plusieurs décisions, particulièrement celles qui exigent le contreseing du Premier ministre (voir les articles 79, 81 et 82 de la Constitution du 18 février 2006 telle que révisée). On parle alors d'encadrement de la fonction présidentielle. Dans une approche comparative, la plus belle illustration nous provient de la France où durant la Vème République, le Président François Mitterrand a eu à cohabiter avec les Premiers ministres Jacques Chirac (1986-1988) et Edouard Balladur (1993-1995), puis le Président Jacques Chirac avec le Premier ministre Lionel Jospin (1997-2002).

Peut-on alors envisager cette hypothèse dans le contexte des dernières élections en RDC?

Une réponse de principe semble bien difficile. De manière générale, là où il existe des grandes formations politiques qui se répartissent selon les courants idéologiques qu'elles épousent, l'hypothèse classique de la cohabitation est celle où l'opposition au Chef de l'État forment une majorité parlementaire homogène. Ainsi, on perçoit une nette bipolarisation selon que les forces politiques se rangent d'un côté ou de l'autre (exemples, de droite ou de gauche, libéraux ou socialistes, etc.) de sorte que, dès lors que le Président et le Premier ministre sont issus de courants opposés, la ligne de démarcation idéologique apparaît très clairement dans le discours politique (exemples ci-haut de la France). Aussi, dans cette approche homogène des grands ensembles, il n'est pas à exclure la possibilité d'une cohabitation qui découlerait d'un effritement de la bipolarisation traditionnelle, au profit d'un rapprochement avec une troisième force (le centre), allant dans le sens de priver le Chef de l'Etat de la majorité parlementaire qu'il recherche.

En RDC où l'on compte près de 400 partis politiques, bien que le régime tend à se classer comme semi-présidentiel ou parlementaire rationalisé, une classification homogène relève quasiment de l'impossible, pour la simple raison que la dimension idéologique de ces partis ne se limite très souvent qu'à leurs dénominations, les leaders tout comme les membres n'ayant souvent ni conscience ni connaissance des valeurs essentielles du courant embrassé par leur formation politique. Cette vérité se traduit dans les faits par la transhumance politique autant que par les alliances qui se tissent très souvent sur base de simples calculs de positionnement, faisant fi des incompatibilités idéologiques. Une cohabitation issue d'une majorité parlementaire homogène est donc impensable dans le contexte actuel de la vie politique au Congo. Ceci d'autant plus que, suivant la configuration des résultats des dernières élections, au nombre de toutes les formations politiques sous les labels desquelles les députés nationaux ont été élus, aucune ne jouit à elle seule de la majorité absolue.

Que penser dès lors de l'affirmation selon laquelle le FCC possède à lui seul la majorité parlementaire à près de 350 députés ?

S'il n'est pas faux que cette assertion peut se vérifie dans les faits, la majorité qui s'en dégage reste néanmoins abstraite pour la simple raison qu'elle n’est pas le reflet du formalisme sur lequel est calquée la répartition du nombre des élus entre les différents partis ou regroupements politiques qui ont participé aux élections législatives. Si l'on s'en tient aux résultats provisoires proclamés par la CENI, on note par exemple que dans l'ordre d'arrivée suivant le nombre des députés, le PPRD vient en tête avec 52élus, suivi de l'AFDC avec 41élus, l'UDPS/Tshisekedi avec 32élus, l'ABB avec 30élus, etc.., sans qu'il ne soit jamais formellement précisé s’ils appartiennent selon le cas au FCC, au CACH ou à LAMUKA. Cette observation qui a priori paraît superficielle a pourtant des grandes implications pour le débat :

- Premièrement, elle démontre en l'espèce, que les rapports de force “sortis des urnes” imposent une logique de coalition de gouvernement, d'autant plus qu'appartenant ou non au FCC, aucun parti ni regroupement politique n'a à lui seul la majorité absolue.

Pour qui est néophyte, une coalition politique ou de gouvernement s'entend d'une situation où aucune des formations politiques (partis ou regroupements politiques) représentées à l'Assemblée nationale ne détient à elle-même la majorité lui permettant de gouverner seule et où il devient alors nécessaire de rechercher une ou plusieurs alliances en vue de dégager une majorité parlementaire hétérogène dont la finalité est d’adopter et réaliser un programme de gouvernement commun (gouvernement de coalition). À ce niveau, même s'il est vrai que les deux peuvent émerger ou être la suite logique d'une même alliance, il est impératif de faire une distinction entre la coalition politique qui se forme au sein de l'Assemblée nationale et la coalition électorale dans laquelle deux ou plusieurs partis ou regroupements politiques se mettent ensemble pour présenter une candidature commune à l'élection présidentielle et se répartir les candidats aux autres élections dans les différentes circonscriptions. Le FCC, le CACH et LAMUKA illustrent bien cette dernière catégorie.

Deuxièmement, la nomination d'un informateur devient pratiquement une formalité inévitable dans la mesure où constitutionnellement parlant, c'est à ce dernier que revient la mission d'identifier une coalition dans un délai de trente jours selon les termes de l'article 78 de la Constitution.

Pour mieux comprendre cette deuxième implication corollaire à la première, il faut nécessairement passer en revue les dispositions de l’article 78 de la Constitution. Cet article dispose que:

“ Le Président de la République nomme le Premier ministre au sein de la majorité parlementaire après consultation de celle-ci. Il met fin à ses fonctions sur présentation par celui-ci de la démission du gouvernement.

Si une telle majorité n’existe pas, le Président de la République confie une mission d’information à une personnalité en vue d’identifier une coalition.

La mission d’information est de trente jours renouvelable une seule fois, etc.”

Aucun parti ou regroupement n’ayant à lui seul la majorité absolue au sein de l’Assemblée nationale, la logique d'une coalition impose alors une application des alinéas 2 et 3 de cet article. S'agissant d'un prescrit à valeur constitutionnelle, le président de la république devra, au risque de violer la loi fondamentale, impérativement nommer un informateur, même si cet exercice s'avérait être une simple formalité eu égard au rapprochement entre sa famille politique, celle de l’honorable Vital Kamerhe et celle du président sortant Joseph Kabila. Dans tous les cas, les leaders du FCC ne sont pas en droit de se subroger à un informateur. Il va sans dire que la majorité abstraite clamée par cette plateforme politique ne devrait avoir à ce stade que simplement pour effet, de faciliter la tâche de ce dernier dont la mission est de recueillir les informations auprès des partis et regroupements politiques en rapport avec leurs points de vue concernant la formation du gouvernement de coalition.

Quant à parvenir à un accord de gouvernement qui implique d’une part, les modalités qui serviront de base à la collaboration pendant toute la durée de la législature et d'autre part, l’identification des personnalités qui occuperont les différents ministères, cette mission revient plutôt à un formateur. La désignation de ce dernier s'impose-t-elle alors aussi au Chef de l'Etat? La Constitution congolaise est muette à ce sujet. Cependant, il s’agit d’une pratique constante qui a élue domicile jusqu’ici dans les différents processus qui ont conduit à la nomination des Premiers ministres au lendemain des élections (2006 et 2011). Dans le système belge qui a inspiré le nôtre tant soit peu, la désignation d’un formateur, n’étant pas là aussi prévue par les textes, relève d’une coutume constitutionnelle.

Comme on le voit bien, en dépit du remue-ménage qu’elles soulèvent, ces étapes sont importantes, car elles permettront au Chef de l'État dans le cadre du rapprochement entre le CACH et le FCC non seulement, de dégager une majorité qui lui permettra d'exécuter sa politique durant toute la législature, mais aussi et surtout, de procéder au filtrage des personnalités qui devront l'accompagner dans cet exercice. Il est plus qu’évident que dans le contexte d'une coalition, le Chef de l'Etat a les mains moins liées dans la désignation du Premier ministre qu'il n'en serait le cas dans l'hypothèse d'une cohabitation. Dans ce dernier cas, le choix lui est simplement imposé. Évoquée lors de son discours d'investiture, la coalition envisagée a l'avantage d'offrir une certaine marge de manœuvre dans la mesure où, même si c'est un parti membre du FCC qui devrait proposer le Premier ministre, le Président de la République pourrait bien profiter de ce rapprochement pour imposer le profile du premier ministrable et même celui des autres ministrables. Néanmoins, il faudra compter sur la bonne foi de celui que l'on désigne comme l'autorité morale du FCC, le président sortant Joseph Kabila, pour accepter que ceux qui hier ont brillé par l'enrichissement sur le dos du trésor public, ne reviennent pas aux affaires. Le succès de cette coalition de gouvernement qui sans doute demeurera fragile tout le long de la législature, exigeant à chaque fois de rechercher un consensus sur les grandes décisions, dépendra essentiellement du leadership de ces trois personnalités qui représentent l'alliance CACH-FCC (Joseph Kabila-Félix Tshisekedi-Vital Kamerhe. La précarité de cette alliance faite de plusieurs partis et regroupements politiques ne met donc pas la future mouvance présidentielle totalement à l'abri des dissensions venues de part et d'autre. Néanmoins, même si l'hypothèse n'est pas totalement à exclure, il reste peu sûr qu'une telle rupture puisse déboucher a contrario sur une coalition antagoniste dont les effets seraient semblables à une cohabitation. La gloutonnerie des politiciens congolais pour le positionnement et les postes révèlent qu'en dépit de grandes divergences au sein des alliances qui se sont formées par le passé au sein du parlement, la tendance est généralement celle de conserver une proximité avec  la majorité présidentielle.

Les mois qui viennent seront révélateurs du véritable imperium dont jouira le Chef de l'Etat durant cette législature. En attendant, le temps n'attend personne, les jours s’égrainent et donc, à défaut de pouvoir développer le Congo en cinq petites années, il faudra bien très vite se mettre au travail pour ne serait-ce que  le mettre sur les rails du progrès.

À bon entendeur salut !

Christian Kabange Nkongolo, est Professeur à la Faculté de droit de l'Université de Kinshasa, Docteur en droit de l'Université d'Afrique du Sud et Membre du réseau de l'Institute for Gobal law and policy rattaché à la Harvard University.