Ce jeudi 4 octobre, le Conseil de Sécurité des Nations Unies sera en visite officielle en RDC. La visite se concentrera sur la question sensible des élections - notamment présidentielle - prévues pour le mois de décembre 2018. La présente tribune envoyée par Amnesty international à ACTUALITE.CD met l'accent sur la répression continue des libertés d’expression, d’association, de réunion pacifique et de la presse.
Tribune.
Par Stephen Lamony, responsable plaidoyer Afrique à Amnesty International
Le 4 octobre, le Conseil de sécurité des Nations unies se rendra en République démocratique du Congo (RDC). Il s’agira de la 14e mission de visite du Conseil de sécurité en RDC. Sa dernière visite remonte à novembre 2016. Comme il y a deux ans, les débats porteront sur les élections initialement prévues pour décembre 2016, mais qui sont encore en préparation puisqu’elles devraient finalement se tenir en décembre 2018.
À l’époque de sa dernière visite en 2016, l’une des principales préoccupations du Conseil était l’éventualité que le président Joseph Kabila se présente à l’élection présidentielle. Cette candidature aurait été controversée : la Constitution congolaise n’autorise que deux mandats et le dernier mandat de Joseph Kabila aurait dû prendre fin en décembre 2016. Le Conseil n’a plus eu à s’en inquiéter à partir du 8 août 2018, date à laquelle Emmanuel Ramazani Shadary, un ancien ministre de l’Intérieur, a été désigné comme le « dauphin » de Joseph Kabila et candidat à l’élection présidentielle.
Cependant, il reste au Conseil de sécurité toute une liste de questions à aborder, qui vont bien au-delà du problème de la candidature du président Joseph Kabila, désormais résolu. En 2016, le Conseil de sécurité a appelé de ses vœux « la levée des poursuites judiciaires à des fins politiques, la libération des prisonniers politiques, [...] l’ouverture de l’espace politique, afin de permettre à ces discussions de se tenir dans des conditions sereines [...] un débat politique libre et constructif, où la liberté d’opinion, de réunion, un accès équitable aux médias sont garantis et où la sécurité et la liberté de circulation de tous est assuré ».
Aujourd’hui, il y a autant à dire qu’en 2016 sur les préoccupations en matière de droits humains, si ce n’est plus.
En dépit des messages précédemment adressés aux autorités de la RDC par le Conseil de sécurité, les Congolais ne sont pas en mesure d’exercer librement leurs droits humains afin d’exprimer leur opinion sur les questions relatives aux élections. Depuis 2015, l’opposition et des organisations de la société civile organisent régulièrement des manifestations pour dénoncer ce qu’elles considèrent comme des tactiques visant à retarder les élections. Les manifestations ont été interdites ou brutalement réprimées.
Plus de 300 personnes ont été tuées et de nombreuses autres ont été blessées ou arrêtées de manière arbitraire. Des opposants politiques et des défenseurs des droits humains ont été arbitrairement arrêtés et poursuivis pour des motifs politiques. Le 24 septembre, un tribunal a condamné quatre militants en faveur de la démocratie et des droits humains, membres du mouvement de jeunesse Filimbi, à un an de prison pour avoir mobilisé des personnes en vue de participer aux manifestations organisées en décembre dernier dans tout le pays par le Comité laïc de coordination de l'église catholique. Amnesty International a demandé leur libération immédiate. Plusieurs militants ont fui leur foyer, ou même le pays.
La récente décision de Joseph Kabila de ne pas se porter candidat à la présidentielle n’a pas eu d’effet sur l’ouverture de l’espace civique. De nombreux Congolais s’inquiètent toujours de l’invalidation par la Commission électorale de plusieurs candidatures importantes à l’élection présidentielle, de l’utilisation prévue d’un système de vote électronique et de la question de l’inscription sur les listes électorales. Pourtant, leurs tentatives d’exprimer leur mécontentement sont toujours réprimées. Le 3 septembre, lors de rassemblements contre l’utilisation d’un système de vote électronique, au moins 23 manifestants pacifiques ont été blessés, et 89 autres ont été arrêtés dans la capitale, Kinshasa, ainsi que dans les villes de Goma, Lubumbashi, Bukavu, Mbandaka, MbujiMayi et Tshikapa. À Bukavu, des policiers ont agressé sexuellement deux militantes. Pendant ce temps, le conflit dans l’est de la RDC s’intensifie à nouveau et la situation dans les provinces du Kasaï reste désastreuse. Le rapport d’août du Bureau conjoint des Nations unies aux droits de l’homme montre que dans le Kivu et le Kasaï, les forces de sécurité de la RDC restent les principales responsables d’atteintes aux droits humains.
La répression persistante des droits humains ne présage rien de bon pour les mois qui viennent, jusqu’aux élections de décembre. Le Conseil de sécurité doit à nouveau demander aux autorités congolaises de lever officiellement toute interdiction de manifestations pacifiques et de mettre fin à la répression contre les réunions de l’opposition et de la société civile. Toutefois, c’est plutôt aux autorités congolaises qu’il revient d’agir pendant cette visite. Elles pourraient en profiter pour faire une déclaration ferme sur leur volonté d’ouvrir l’espace civique avant les scrutins de décembre et de libérer toutes les personnes arbitrairement placées en détention uniquement pour avoir exercé leurs droits humains, ainsi que celles qui ont été arrêtées pour des motifs politiques, notamment les quatre membres de Filimbi condamnés la semaine dernière. Il reste à voir si les autorités saisiront la chance qui leur est offerte à l’occasion de cette visite.