Kinshasa: le franc congolais s’apprécie, mais le panier de la ménagère ne s’allège pas

Un marché à Kinshasa
Un marché à Kinshasa/Photo ACTUALITE.CD

Depuis quelques jours, le franc congolais affiche une appréciation notable face au dollar américain. Alors qu’un billet vert se négociait récemment entre 2 800 et 2 900 FC, il s’échange désormais autour de 2 550, voire 2 400 FC. 

Tandis que le gouvernement se félicite de cette évolution, qu’il considère comme un succès de sa politique monétaire, la réalité sur le terrain semble bien différente. À Kinshasa, les prix des produits de première nécessité restent largement inchangés, suscitant incompréhension et parfois méfiance au sein de la population.

« Le dollar américain a baissé, mais les prix des denrées alimentaires n’ont pas suivi cette tendance sur le marché. Cette situation complique davantage la vie sociale de la population congolaise. Le ministre de l’économie doit agir au plus vite possible », déplore Christian, rencontré dans un magasin. 

Au marché central de Kinshasa (Zando), les vendeurs s’adaptent comme ils peuvent. Si certains commerçants affirment accepter le franc congolais, beaucoup continuent de privilégier les transactions en dollars. « Nous acceptons le franc congolais, mais les clients préfèrent toujours acheter en dollar. En plus, il manque souvent de petites coupures pour rendre la monnaie », explique maman Joelle, vendeuse de poissons.

Les grossistes partagent, eux aussi, la même difficulté. « Nous respectons la mesure, mais les prix changent presque chaque jour en fonction du taux de change. Cela complique notre gestion, on ne sait parfois même plus comment se fixer », confie papa Matthieu, détaillant en produits alimentaires.

Certains commerçants reconnaissent pratiquer deux grilles de prix. « Nous changeons le dollar à 26 000 FC, mais un article à 10 dollars reste vendu comme tel. Si un client paie en francs, on lui demande 28 000 FC. Nous préférons le dollar, car nous achetons encore nos marchandises au même prix qu’avant, soit 10 dollars pour 30 000 FC. Nous demandons la stabilisation des prix et du taux de change », explique maman Anne, vendeuse de vêtements.

Des prix figés… mais quelques baisses timides

Nombreux sont ceux qui estiment que la baisse du dollar ne s’est pas répercutée sur les marchés. « Les prix restent les mêmes. On ne sait pas si le dollar va encore grimper. Nous voulons qu’il se stabilise, ainsi nous pourrons aussi ajuster nos prix », explique monsieur Claude, commerçant. Il avance une explication simple : les stocks ont été achetés à un taux plus élevé. « J’ai acheté mes sacs de riz à 29 000 FC le dollar. Je dois les revendre à ce prix pour éviter des pertes. Les prix ne baisseront que lorsque les grossistes s’aligneront ». 

Plusieurs vendeurs soulignent que cette baisse du dollar est « sans impact significatif ». Pourtant, quelques signes d’allègement apparaissent sur certains produits. « Le sac d’oignons est passé de 140 000 à 115 000 FC, le carton de cubes de 52 à 50 dollars et la caisse de tomates de 50 000 à 46 000 FC », témoigne maman Irène, vendeuse d’épices au rond-point Ngaba. 

Maman Antho, sa voisine du marché, partage le même constat : « le sac de sucre a baissé de 160 000 à 140 000 FC. Quand le franc congolais perd de la valeur, nos affaires tournent au ralenti. » 

Pour de nombreux acheteurs, la priorité n’est pas seulement la baisse du dollar, mais aussi sa stabilisation. « On ne comprend pas comment le franc s’est apprécié. Nous souhaitons que le franc congolais se stabilise pour enfin faire des affaires en monnaie locale », confie maman Julie, vendeuse du fufu. 

Le 29 septembre dernier, le gouvernement a annoncé, via une publication sur le compte X (anciennement Twitter) du ministère de l’Économie nationale, une baisse des prix du pain dans certaines grandes boulangeries de Kinshasa. Cependant, sur le terrain, notamment dans des quartiers de Matete, les prix demeurent inchangés. 

« Rien n’a bougé, le pain se vend toujours au même prix qu’il y a une semaine. Ce que nous espérons depuis longtemps, c’est une réelle baisse des prix des produits de première nécessité, en particulier le pain que nous consommons quotidiennement. Nous aimerions aussi que sa taille augmente », déclare Patrick, un habitant de la commune.

Les consommateurs pris en étau

Côté population, les avis sont partagés. Certains saluent une décision qui « valorise la monnaie nationale », tandis que d’autres, expriment leurs inquiétudes. « Avec le franc congolais, on paie mais on a l’impression que les prix montent à tout moment. Le dollar reste plus sûr pour garder nos économies », confie Girèse, un fonctionnaire rencontré au rond-point Ngaba. 

Jules, trouvé dans sa cabine, soupçonne même une manipulation de la part des gouvernants. « On ne comprend pas selon quels critères le franc s’est apprécié. Est-ce simplement pour payer les fonctionnaires en fin de mois ? Tout ce que nous voulons, c’est un taux stable ». 

La méfiance demeure toutefois forte. Certains dénoncent une incohérence dans l’application des taux de change. « Nous changeons le dollar à 26 000 FC, mais l’achat se fait ailleurs à 27 500. Quand on paie en dollars, on applique le taux actuel, mais quand on en reçoit, les commerçants prennent au taux de 29 000 FC. Nous préférons utiliser le dollar, cela nous permet au moins de préserver une marge », explique un autre vendeur.

La prudence reste de mise chez les économistes 

Pour de nombreux experts, cette dé-dollarisation « doit s’accompagner d’un environnement économique stable » pour éviter que les opérateurs ne subissent de plein fouet la volatilité monétaire. Lionel Kabeya, expert en économie monétaire et monétaire et membre de la fédération des entreprises du Congo (FEC), souligne le manque de billets en circulation et appelle à une meilleure distribution de liquidités en CDF.

Selon lui, la baisse du taux de change ne provoque pas nécessairement une baisse des prix immédiate  « la baisse du taux de change ne se traduit pas automatiquement par une baisse des prix. Tout dépend de la marchandise en stock. Si la marchandise a été achetée à l’ancien taux (plus élevé), le commerçant attendra d’écouler ces produits avant d’ajuster ses prix. De plus, les prix et le taux de change évoluent de manière liée mais avec un décalage ». 

Pour Lionel Kabeya, cela dépend aussi des comportements humains et de l’instabilité économique. Ainsi, « la baisse des prix intervient plus tardivement que celle du taux de change, afin d’éviter aux commerçants des pertes liées aux variations », a t-il poursuivi. 

Les établissements bancaires assurent soutenir la politique de l’État, mais reconnaissent quelques difficultés. « La demande en francs congolais augmente, il faut assurer un approvisionnement constant. Nous encourageons aussi nos clients à privilégier les transactions électroniques en franc congolais pour réduire la pression sur les billets », explique Charis, un responsable d’agence.

Une politique encore à l’épreuve 

Entre volonté politique et réalités du terrain, le contraste reste marqué. L’appréciation du franc congolais n’a pas encore produit les effets attendus sur le panier de la ménagère. Les consommateurs attendent désormais une véritable stabilisation du taux de change et une baisse durable des prix.

Lors d’un meeting tenu samedi 27 septembre à Matete (Kinshasa), l’opposant Delly Sesanga a vivement remis en question la baisse du taux de change du dollar américain, qu’il qualifie de « quasi factice ». Selon lui, cette prétendue amélioration reste théorique tant qu’elle ne se traduit pas concrètement sur le terrain, notamment dans les prix des biens de première nécessité.

Le président du parti Envol a souligné que cette baisse n’a eu aucun impact réel sur le quotidien des Congolais, en énumérant plusieurs produits dont les prix demeurent inchangés malgré la variation du taux de change.

Sur le site officiel de la Banque Centrale du Congo (BCC), le taux indicatif affiche 1 dollar américain à 2 507,72 francs congolais (samedi 4 octobre). Toutefois, sur le terrain, les cambistes affichent des taux variés. Pour certains, 10 dollars s’échangent à 25 000 FC, pour d'autres à 25 600, voire 26 000 FC, révélant un écart persistant entre le taux officiel et celui pratiqué sur les marchés.

James Mutuba