Kinshasa: le rôle des femmes dans la préservation des rites culturels entre tradition et modernité

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Kinshasa, capitale de la République Démocratique du Congo, est un carrefour de cultures où l’ancestral et le contemporain se rencontrent quotidiennement. Dans cette ville en pleine transformation, les femmes congolaises continuent de jouer un rôle dans la préservation des traditions, tout en étant confrontées aux défis d’une modernité de plus en plus omniprésente. Les tensions entre le respect des rites culturels et l’émancipation des femmes, poussées par des influences extérieures, sont au cœur de cette dynamique complexe.

Le Deskfemme s’est entretenu avec quelques Kinoises sur leur rôle dans la conservation et la transmission des rites et coutumes.

Yolande Kabwe, 65 ans, habitant la commune de Ngiri-Ngiri, se souvient des coutumes qui régissaient la vie de ses ancêtres. "Quand j'étais jeune, les femmes avaient la charge de préparer les cérémonies de mariage. Nous étions responsables de la confection des habits traditionnels, des cérémonies de purification et de la préparation des aliments. Ce rôle n’était pas seulement symbolique ; il impliquait des savoir-faire précieux qui étaient transmis de mère en fille", explique-t-elle.

Mais au fil des années, ces coutumes ont évolué. Rachel Mwengo, 48 ans, évoque la transformation des pratiques, notamment dans le cadre des mariages traditionnels. "Aujourd’hui, les jeunes préfèrent souvent organiser des mariages plus modernes, inspirés par les influences occidentales. Les grandes cérémonies coutumières, avec les chants traditionnels et les rituels de purification, ont peu à peu disparu au profit de cérémonies civiles."

Aujourd’hui, les femmes se trouvent également partagées entre leurs obligations culturelles et leurs aspirations modernes. Ce décalage est source de tensions, notamment au sein des familles, où la jeune génération revendique souvent son indépendance vis-à-vis des coutumes.
Esther Kasongo, 34 ans, est une entrepreneuse moderne qui s’est emparée des nouvelles technologies. "Il est difficile de concilier ma carrière avec les attentes traditionnelles", confie-t-elle. "Quand j’étais plus jeune, ma mère m’a appris à respecter nos rites, mais aujourd’hui, je me trouve souvent en conflit avec mes parents et mes aînées, qui attendent de moi que je continue à suivre certains rituels qui me semblent obsolètes dans la société d’aujourd’hui."

Ces tensions sont également perceptibles au niveau de la transmission des savoirs. La disparition progressive de certaines pratiques, comme l'apprentissage des chants traditionnels ou des cérémonies spécifiques aux jeunes filles, inquiète les plus âgées, qui redoutent que ces éléments du patrimoine culturel soient perdus à jamais.

" Le soir, on se réunissait et les parents, particulièrement ma maman, nous racontaient l’histoire de notre famille, nous apprenaient nos origines, les rôles d’une fille et d’un homme dans la société. Mais de nos jours, ça devient de plus en plus compliqué. Les familles passent leur soirée devant la télévision, même les chants pour bercer les nourrissons sont devenus ceux qu’on nous propose à la télé. Les contes n’ont plus de place et nous sommes en train de perdre nos repères", s’indigne Orelie Mwanza, 70 ans.

L’importance de l’équilibre entre tradition et modernité, vue par un sociologue

Pour mieux comprendre ces évolutions et tensions, nous avons interrogé Vincent Bauna, sociologue et assistant à l’Université de Kinshasa. Selon lui, "Les femmes sont à la croisée des chemins entre un respect profond des traditions et les changements imposés par la modernité. Ce phénomène, bien que difficile à gérer pour beaucoup, est inévitable. Les jeunes femmes sont souvent tiraillées entre les attentes de la société moderne et celles de leur famille, qui veut les voir suivre les traditions."
Le sociologue précise aussi qu'un certain nombre de rites et coutumes sont en train d’évoluer. "L’évolution des rôles des femmes dans les coutumes traditionnelles ne signifie pas forcément une perte de l’identité culturelle. Au contraire, certaines pratiques se réinventent, donnant une nouvelle forme aux anciennes coutumes. C’est un processus naturel et nécessaire pour permettre à ces coutumes de survivre dans le monde d’aujourd’hui", souligne-t-il.
Il ajoute cependant que, dans de nombreux cas, les tensions sont surtout dues à la rigidité de certaines autorités traditionnelles et à l’incompréhension entre les générations. "Il est impératif de trouver un juste milieu entre la préservation des traditions et l’adaptation aux réalités contemporaines."

Les espoirs pour l’avenir : Une réconciliation des cultures

Face à ces défis, des initiatives commencent à voir le jour. Des jeunes femmes activistes, des artistes et des éducatrices œuvrent pour la réappropriation et la redéfinition des pratiques culturelles. Elles créent des espaces de dialogue intergénérationnel où les jeunes et les aînées peuvent discuter de l’évolution des coutumes et de la manière de les adapter à l’époque contemporaine sans en altérer l’essence.

Rachel Nzau, conteuse des récits africains, conclut : "Nous devons préserver nos traditions, mais nous devons aussi apprendre à les réinventer pour les rendre plus accessibles aux jeunes générations. Si nous n’agissons pas ainsi, nous risquons de les voir disparaître."

La question des rôles traditionnels des femmes dans les coutumes et rites à Kinshasa ne se résume pas à un simple dilemme entre passé et futur. Elle incarne le défi de maintenir un équilibre entre héritage culturel et nécessité de s’adapter à un monde en perpétuelle évolution. Les femmes, dans cette dynamique, occupent un rôle central, entre révision et préservation des traditions.


Nancy Clémence Tshimueneka