RDC : « écrivez pendant que vous êtes jeune, n’attendez pas de vieillir », Elisabeth Mweya Tol’ande, écrivaine congolaise

Photo/ Droits tiers
Photo/ Droits tiers

L’écrivain africain est mis à l’honneur chaque 07 novembre. Parcours, défis, temps forts, projets, le desk femme d'Actualité.cd vous propose un entretien avec Mweya Tol’ande Elisabeth pionnière dans son domaine.

Bonjour Madame Mweya Tol'ande et merci de nous accorder de votre temps. Le monde célèbre ce 07 novembre, la journée mondiale de l'écrivain africain. Pouvez-vous nous parler de votre parcours dans ce domaine ? 

Elisabeth Mweya Tol’Ande : Je me suis lancée dans le secteur de la littérature de façon spontanée vers les années 1960. Je ne me rappelle plus le titre de mon premier poème mais c’était en 1965. Ensuite, je suis allée au couvent. Le cadre, la nature m’ont mise dans les conditions pour écrire et déclamer des poèmes. Alors, le cardinal Malula qui fut archevêque de Kinshasa a découvert ce talent. A chaque activité et festivité, il me donnait l’occasion de déclamer des poèmes. Il m’a également confié à un professeur Jésuite pour un encadrement. Deux ans plus tard, j’ai participé à un concours de poésie « Sébastien Ngonso ». Il y avait 10 lauréats. Je n’ai certes pas obtenu la première place mais grande était ma joie d’être la dixième lauréate et de faire connaissance de Gaby Sumaïli, Philippe Masegabio, Isidore Ndaywel, Théophane Buluku, Clémentine Nzuji. C’était une entrée de plain pied dans la littérature congolaise. Vers les années 1969, j’ai fait partie de la Pléiade du Congo, première association des poètes et écrivains zaïrois universitaires. En 1974, mon recueil des poèmes « Remous des feuilles » m’a valu le premier prix de poésie du Concours littéraire « Joseph Désiré Mobutu ». 

Qu'est-ce qui vous a motivé à devenir écrivaine ? 

Elisabeth Mweya Tol’Ande : j’ai eu une enfance difficile.Une enfance entre deux parents qui ne s’entendaient pas parce qu’ils étaient déchirés par des préjugés tribaux. J’ai été taciturne, silencieuse. J’avais des choses à dire mais tout autour de moi, je ne voyais pas à qui les communiquer. Je dessinais, j’écrivais, cette atmosphère m’a poussée à me renfermer sur moi-même. J’étais toute jeune, élève en troisième année Littéraire au Lycée Sainte-Thérèse de Lisieux (Actuel Lycée Kabambare). La bibliothèque et les cours de littérature m’ont permis de découvrir les poètes tels que Charles Baudelaire et Paul Verlaine, cela m’a emballée. La littérature m’a permis de libérer mes émotions et mes pensées, de les transmettre.  

Parlez-nous de vos œuvres ? 

Elisabeth Mweya Tol’Ande : j’en ai écrit au moins quatre jusque-là. Mon poème en 1965 publié aux éditions Afrique Chrétienne, même si je ne me rappelle plus le titre. « Remous des feuilles » (1972-1974) publiée aux éditions Mont Noir (Expressions de ma jeunesse, Puberté, Adolescence, les premières crises. C’est un hymne à Dieu ensuite une idylle qui m’a liée à un étudiant, mais aussi la blessure, un peu de crainte, d’angoisse et de frayeur), « Ahata suivi du récit de la Damnée », publié en 1977 mais écrit deux à trois ans plus tôt (parle des amours des années 77, deux jeunes qui s’aiment à Kinshasa, le jeune homme qui ira poursuivre ses études à l’étranger mais tombe amoureux d’une autre et l’épouse. La jeune femme a une belle étoile, rencontre une autre personne qui l’aime énormément et l’épouse aussi). J’ai aussi écrit « Moi Femme je parle », un essai en 1994 (Une réflexion, comme la femme se perçoit de l’intérieur).

Quel a été votre plus bel accomplissement en tant qu'écrivaine ? 

Elisabeth Mweya Tol’Ande : je ne dirais pas le plus bel accomplissement mais les plus belles tranches de mon parcours en tant qu’écrivaine. Les rencontres entre écrivains, chacun amenait ses œuvres pour se faire relire, on échange régulièrement autour de la littérature. En 2017, après des années d’ensommeillement, j’ai été contactée par Soraya Odia, une jeune activiste littéraire. Elle a lu mon œuvre « Ahata suivi du récit de la Damnée » et en a fait une critique littéraire sur son site web, Majuscaux. Cela a été une forme de résurrection pour moi. Ceux qui me croyaient morte ont su que j’existais encore. J’ai été par la suite contactée par Richard Ali (Co-Fondateur de l’Association des Ecrivains du Congo), une cérémonie d’hommage à ma personne a été organisée par le centre Wallonie Bruxelles. Un portrait d’Elisabeth Mweya Tol’Ande a également été placé à la Bibliothèque du centre. En 2021, j’ai aussi reçu la visite de la Première Dame Denise Nyakeru Tshisekedi à mon domicile en tant que l’une des premières Écrivaines congolaises dans le cadre de son projet Congo au Féminin. Mon ouvrage Ahata a été réédité « Ahata suivi Ngamalo », j’ai été au centre de la grande rentrée littéraire.  Ce contact à la fois avec la jeunesse et d’autres personnes a réveillé un dynamisme ensommeillé en moi. 

Avez-vous également rencontré des difficultés dans ce domaine ? Comment vous en êtes-vous sortie ? 

Elisabeth Mweya Tol’Ande : Oui. La principale difficulté concerne l’accessibilité aux maisons d'édition. Il n’y en avait pas assez comme aujourd’hui et l’accès n’était pas donné à tout le monde. L’autre difficulté concerne le temps. Plus on grandit, plus on a des responsabilités. Du coup, le temps d’écriture est disputé avec le temps de relecture, de travail parce que la littérature n’était pas mon métier de base. Comment je m’en suis sortie ? L’organisation et je prenais un peu de temps de sommeil pour lire ou écrire dans la nuit. 

Des projets ? 

Elisabeth Mweya : j’ai célébré mes 75 ans en juillet dernier. Avant d’aller en retraite, je voudrais publier quelques ouvrages. Actuellement, je relis mes trois projets. Le premier doit être publié aux éditions Mikanda « A l’épreuve du Sida ». Il y a aussi  « Stéphanie, une étoile dans la nuit »  ainsi que « La vie comme elle va ». Ce sont des œuvres qui sont quasiment achevés. Mais je me rends compte que la relecture permet de développer, d’enrichir davantage chaque paragraphe. C’est la phase de la maturation, elle succède à l’écriture. 

Ce métier peut-il suffire à lui seul pour survivre en RDC ? 

Elisabeth Tol’Ande : c’est quand même difficile. Il faut avoir un autre métier. Écrire suppose la paix intérieure, la tranquillité, et tout ce qu’il faut pour son bien-être. Cependant ce seul métier ne suffit pas.

  Que faut-il pour augmenter le nombre d'écrivaines en RDC ? 

Elisabeth Mweya : il faut favoriser le coaching et le mentorat. Des écrivaines qui vont à la rencontre des jeunes filles pour susciter en elles des vocations ainsi que des jeunes qui vont à la rencontre des écrivaines, des ainées pour apprendre d’elles, forger leur parcours. 

De façon générale, que faut-il pour l'éclosion de ce secteur en RDC ? 

Elisabeth Mweya : Il faut, comme je le dis, un pont entre les différentes générations de la littérature en RDC. Et je pense que ce pont existe. L’Union des Ecrivains du Congo (UECO) a été créée en 1972, actuellement, nous avons l’Association des Ecrivains du Congo, composée en grande partie des jeunes, l’Association des Femmes des Lettres du Congo (FELCO) et je me rends généralement aux activités qui sont organisées, j'y suis à la fois invitée comme panéliste et pour être mise en lumière. 

Quel message adressez-vous aux jeunes qui lisent de moins en moins 

Elisabeth Mweya : profitez de ce temps pour écrire parce que le temps s’envole. Avec un grand nombre d’écrivains de mon époque, nous avons pu écrire nos  plus beaux textes quand nous étions plus jeunes. Plus tard, nous avons eu des enfants, des charges domestiques, des responsabilités qui ne nous ont plus permis ce dynamisme. 

Trois mots qui résument votre parcours ? 

Elisabeth Mweya Tol’Ande : mon parcours est assez fourni. J’ai eu de belles rencontres, j’ai gagné en expérience. Trois mots résument ce bilan, « Amitié, Amour et Dieu ». L’amitié a fait que dans mes moments les plus sombres, des personnes comme Isidore Ndaywel m’ont tendu la main.

Par ailleurs, Elisabeth Mweya Tol’ande a obtenu son diplôme des humanités au Lycée Lisieux (actuel Lycée Kabambare). Elle a exercé en tant que Journaliste et assistante d’enseignement à l’ISTI (actuellement Institut Facultaire des Sciences de l’Information et de la Communication IFASIC). Elle a eu l’occasion de travailler à l’INADES Formation (Institut Africain pour le développement économique et social) en tant que formatrice et responsable de production des matériels pédagogiques et d’un bulletin pour les paysans. Elle a aussi créé une organisation non gouvernementale qui a aujourd’hui une école primaire et secondaire (Lycée Melissa) à Lingwala. C’est aussi une fille mère qui a été bannie de l’Université à 21 ans et qui a dû se battre après chaque coup de la vie pour se relever. 

Lire : CONGO AU FEMININ : Denise Nyakeru chez Pongo love, Tol’Ande Mweya, Frédéric Liyolo et Eugène Pongo

Kinshasa : un café littéraire autour du livre « Ahata suivi de Ngamalo » de Elisabeth Mweya Tol’Ande pour clôturer la grande rentrée

Prisca Lokale