RDC : l’actualité de la semaine vue par Christella Kiakuba

Photo/ Droits tiers
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De la prise de fonction du général Christian Tshiwewe à la 10ème célébration de la journée internationale de la jeune fille, en passant par l'attaque à Bagata, le dépouillement des candidatures pour trois blocs gaziers du lac Kivu ou encore l’indignation de Greenpeace, la semaine qui s’achève a été riche au niveau de l’actualité. Chacun de ces faits marquants est commenté par Christella Kiakuba. 


Bonjour Madame Christella Kiakuba et merci de nous accorder de votre temps. Pouvez-vous vous présenter à nos lecteurs ?


Christella Kiakuba : Je suis fondatrice et coordonnatrice principale de la structure Telema Muana ya Mapinga (en lingala : lève-toi fils du soldat). L’association réunit en son sein les dépendants des hommes en uniforme de la République Démocratique du Congo. Nous existons depuis 2013. Ce qui m'a le plus motivé dans cette démarche, c'est la précarité et la promiscuité qui caractérisent notre quotidien dans les camps.

Dans le souci d'amener le changement au cœur de ma communauté, nous avons mis en place TMM, avec les autres  enfants de militaires et policiers. Nous sommes légalement reconnus par l'État congolais et l'organigramme de l'Asbl place l'Assemblée générale au premier plan ensuite, la coordination exécutive ainsi que les autres organes attitrés. En ce qui concerne les services, nous travaillons en termes de projets. Pour les plus jeunes, nous faisons le recensement avant de les inscrire à l'école. Pour ceux qui disposent des diplômes d’Etat mais sans moyens financiers pour aller à l'Université, nous leurs donnons la chance de faire le test d'admission à la bourse Muana ya Mapinga Academia qui offre l'opportunité d'obtenir une licence dans le domaine de leur choix aux frais de l'association. Pour les veuves et épouses des militaires et policiers, elles sont orientées et soutenues dans les petits commerces après des formations sur l'entrepreneuriat et autres thématiques.


La semaine a notamment été marquée par la prise de fonction du Chef d'état-major général des Forces armées congolaises, Christian Tshiwewe. Personnellement, quelles sont vos attentes à son égard ? 


Christella Kiakuba : Comme tout congolais qui aspire à un Congo grand avec tous les centimètres de son territoire en paix, j’attends de cette nouvelle équipe : la reprise de Bunagana qui est sous l’administration d’un groupe rebelle depuis le mois de juin. Cette victoire ne sera pas le résultat du hasard, plutôt d’une bonne préparation en interne, du sérieux et de l’expertise. La préparation veut simplement dire « la réforme de notre Armée (du recrutement aux nominations) ». Le sérieux suppose de « savoir ce que l’on veut, ce dont nous avons besoin et comment se déployer sur terrain ».


De l’expertise , car « l’armée est un ensemble. Elle est régie par des règles. Ce n’est pas  au sommet qu’il va falloir apprendre. Certaines institutions exigent d’y faire carrière avant d’arriver au sommet. 
Je souhaite un fructueux mandat au général Tshiwewe. Qu’il mette l’homme qu’il faut à la place qu’il faut et surtout qu’il n’ait aucune honte à démissionner  au cas où les objectifs qui  lui sont assignés  ainsi qu'à son équipe ne sont pas atteints. Qu’ils soient également défenseurs du petit militaire, qui travaille dans des conditions précaires, qui manque de tout, qui vit dans la promiscuité, qui voit ses enfants se perdre à cause de son incapacité financière.


Au nombre des défis qui l'attendent, il y a les efforts à déployer pour mettre fin aux hostilités à Kwamouth. Vos propositions sur cette question ?

 
Christella Kiakuba : fini les plaintes ! Qu’ils élaborent des stratégies, qu’ils soient sérieux et patriotes. Cette question ne concerne pas que l’armée, c’est l’ensemble de nos services de sécurité et de défense qui doivent se réunir pour cogiter sur les stratégies. Sur ce point, l’on revient encore sur la capacité et l’expertise des animateurs de toutes ces institutions (ANR, DGM, PNC, FARDC, DeMIAP, etc). Nous avons l’impression que nos services sont amorphes, nous ne faisons que subir et nous plaindre auprès des institutions internationales. Les États agissent, ils sauvegardent l’intégrité de leurs territoires, ils se battent pour leurs pays quand il y a menace.


Une nouvelle attaque perpétrée mardi à Bagata (Kwilu) par les hommes armés venus de Kwamouth (Maï-Ndombe) a fait 13 morts. Selon vous, que faudrait-il pour que ces hostilités n’atteignent pas la capitale ? 


Christella Kiakuba : l’on revient à la case de départ, la capacité de nos dirigeants. Ont-ils de l’expertise ? L’expertise ne tâtonne pas, elle résout les problèmes avec précision !
Avons-nous peur que ce conflit atteigne la capitale ? Mais Kwamouth est au Congo, les populations qui tombent nuits et jours là-bas sont congolaises. Nos dirigeants n’agissent que quand c’est Kinshasa qui est menacée ?  Parfois nous nous posons la question de savoir si nos dirigeants comprennent la gravité de ce qui se passe dans le Bandundu en particulier.
Ils doivent régler ce problème avec sérieux, qu’ils enquêtent sur les causes des conséquences, qu’ils attaquent les causes. Le grand problème est le foncier, l’autorité de l’Etat et le pouvoir coutumier doivent trouver une solution efficace et pérenne pour que ces différends soient réglés une fois pour toute.


Entre-temps, au niveau de Kinshasa, la criminalité juvénile prend de l'ampleur. Comment y mettre fin ?  


Christellla Kiakuba : la question sur la criminalité juvénile est très complexe à mon avis, elle concerne plusieurs acteurs. Quelle est la politique du ministère de la jeunesse pour l’encadrement des jeunes ? Quel est le plan mis en place par les affaires sociales pour ce cas ?  Quels moyens l’Etat congolais met en place pour que l’ordre public soit respecté ? Vivre dans un environnement sécurisé est un droit reconnu dans notre constitution.
L’Etat doit doter la police congolaise de moyens suffisants pour qu’elle accomplisse ses missions telles que mentionnées à l’article 182 de notre loi fondamentale. Connaissez-vous l’effectif de la PNC ville de Kinshasa ? Pour votre gouverne, la ville de Kinshasa n’a pas plus de 16.500  policiers ce qui nous emmène à effectuer un petit calcul = selon les estimations de wikicleaner (Wikipedia) la ville de Kinshasa regorge à ce jour 15.562800hab /km pour une densité 26.047 habitants /Km ,15.562.800 : 16.500  policiers  = 1 policier pour 943 habitants, voyez-vous la réalité, l’écart criant ? 
Combien la ville de Kinshasa alloue-t-elle à la sécurité des Kinois ? Selon les informations en notre possession, la ville ne donne pas plus de 15.000$ / mois au commissariat provincial de la ville de Kinshasa, qui a 512 sousciats, 67 commissariats … 
Quel moyen de transport pour l’intervention ? Aucune dotation pour les interventions depuis l’avènement du nouveau régime. Le commissariat manque parfois de carburant pour déployer les quelques anciens véhicules (épaves) affectés pour les interventions. 
Savez-vous que le Commissariat provincial nourrit et prend soin à ce jour de plus dès 1540 kulunas après le dernier bouclage effectué dans le quartier Mombele dans la commune de Limete, l’un des bastions de ce phénomène ( Kuluna ) ? Ces derniers attendent leur transfert à au service national qui lui à son tour ne cesse de signaler qu’il n’y a plus de places. C’est le plein, il lui faut plus de moyens pour agrandir sa capacité d’accueil. Le problème est aussi complexe que profond, nos autorités ne travaillent pas pour la sécurité des Kinois. Leurs priorités sont ailleurs, surtout quand on se souvient d’un côté des dons (palissades) que le Président a offerts aux députés (500) et d’un autre le manque criant de la mobilité de nos policiers qui doivent sécuriser plus de 15.000.000 Kinois ! La loi de la priorité (…)


En économie, le gouvernement a procédé au dépouillement des candidatures pour trois blocs gaziers dans le lac Kivu. Greenpeace Afrique, qui s'oppose à l'exploitation des hydrocarbures en RDC, s'est inquiétée d’une « opération faite avec précipitation ». Quelle analyse faites-vous de cette situation ? 


Christella Kiakuba : une fois de plus je parlerai de la volonté de bien faire les choses qui découle de « l’expertise ». Je ne suis pas pour les revendications des agents de Greenpeace qui  font le travail pour lequel ils sont payés. 
Je signale que l’exploitation de ce méthane représente une opportunité pour le développement économique de la RDC tandis que selon plusieurs études, la présence de ce gaz constitue un risque d'explosion naturelle du type "lac Nyos" au Cameroun (La catastrophe du lac Nyos désigne une éruption limnique survenue le 21 août 1986 au lac Nyos (ou lac Lwi) dans le nord-ouest du Cameroun qui a tué 1 746 personnes et près de 3 000 animaux d'élevage. L'éruption a déclenché la libération soudaine d'environ 100 000 à 300 000 tonnes de dioxyde de carbone (CO 2)).
La vraie question ici c’est le profil des sociétés dont les candidatures ont été retenues. Après les recherches effectuées par certains compatriotes, il s’avère que toutes les entreprises retenues posent problème(…) Un bradage de plus ? Un chantage ? Ou la volonté de bien faire les choses afin de résoudre certains problèmes qui touchent l’intérêt général ? L’avenir nous dira plus.


A Kinshasa lors de la Pré-Cop 27, John Kerry envoyé spécial américain pour le climat avait également signifié la demande de Washington pour le retrait de certains blocs pétroliers des appels d'offres pour notamment « protéger la forêt ». La position de la RDC est simple « il faut une contrepartie ». Quel est votre point de vue à ce sujet ? 


Christella Kiakuba : je soutiens la position de la RDC qui exige une contrepartie. Les questions liées à l'environnement direct ou indirect de l'homme sont réglées par le droit environnemental. Ce dernier est une partie du droit public international. Par exemple, le principe 22 de la Déclaration de Stockholm sur l'environnement (ancêtre des lois qui régissent le secteur de l'environnement 1972 ) déclare, "Les États doivent coopérer pour développer encore le droit international en ce qui concerne la responsabilité et l’indemnisation des victimes de la pollution et d’autres dommages écologiques que les activités menées dans les limites de la juridiction de ces États ou sous leur contrôle causent à des régions situées au-delà des limites de leur juridiction". Mais, il y a aussi le principe du pollueur-payeur. Il précise que les pollueurs doivent supporter les coûts engendrés par la pollution résultant de leurs propres activités, y compris le coût des mesures prises pour prévenir, combattre et éliminer cette pollution, et les coûts liés à la réparation. En application de ce principe, il est dans l’intérêt des pollueurs d’éviter de causer des dommages environnementaux puisqu’ils sont tenus pour responsables de la pollution qu’ils génèrent.
Les pays du tiers monde ne sont pas des pollueurs au même niveau que les pays industrialisés. Si ces derniers veulent que le bassin du Congo soit préservé, il faut une contrepartie pour nos populations. 
Une autre question intervient, le Congo doit s’interroger. Il y a longtemps que nous exerçons l’exploitation minière en RDC. En quoi est-ce que cela a été bénéfique à la population congolaise ? Qu’a-t-il gagné ? Est-ce que les fonds qui seront encaissés à travers les blocs pétroliers vont résoudre les problèmes qui touchent l’intérêt général ou juste un petit groupe qui s’enrichit ? 

En justice, le concours de recrutement des magistrats a eu lieu cette semaine dans 10 sites du pays. Organisé après plus de 10 ans, l’objectif est de pallier les problèmes tels que la carence des magistrats observée en provinces surtout. Vos recommandations à l’issue de ces épreuves ?  


Christella Kiakuba : je pense que c’est une bonne décision de vouloir recruter des nouveaux magistrats dans cet objectif. Il y a également des voix qui se lèvent pour l’éradication des actes de corruption qui caractérisent la justice congolaise. Au cours du conseil des ministres de la semaine dernière, le Chef de l’Etat s’est plaint à ce sujet. Il va falloir davantage travailler sur l’homme congolais car, ces magistrats viennent de la société congolaise. Il va falloir sanctionner ceux qui s’illustrent dans ces actes. Nous avons aussi vu circuler des vidéos où des candidats magistrats passaient par la fenêtre pour prendre part au concours. C’est un acte d'anti valeur posé par ceux qui sont censés dire le droit en RDC. L’activiste Jean-Claude Katende a aussi dénoncé la fuite des copies de l’épreuve avant le concours. (…) Selon l’article 4 de la Loi du 10 octobre 2006 portant Statut des magistrats, les candidats doivent être soumis à un stage de douze mois dont l’organisation est fixée par le Conseil supérieur de la magistrature. C’est là qu’ils apprennent l’éthique et la déontologie de ce métier. Mais il faut que ce texte soit appliqué. L’Etat congolais doit également améliorer leurs conditions de travail et de vie.  

En marge de la célébration de la journée internationale de la santé mentale, le ministre Jean-Jacques Mbungani a déclaré qu’« au moins 22 millions de Congolais sont affectés par des problèmes de santé mentale, pourtant la couverture en service de santé mentale reste encore très faible, estimée à peine à 5% ». Comment avez-vous accueilli cette déclaration ? 


Christella Kiakuba : Cette annonce m’a choquée. Mais la RDC n’a pas suffisamment des structures appropriées avec des personnes engagées pour la prise en charge de ces personnes. Il faut que les autorités mettent de la volonté, des moyens et accordent une attention particulière à la santé mentale de nos concitoyens. 


Le 11 octobre, le monde a célébré la journée internationale de la jeune fille autour du thème, "le temps est venu, nos droits, notre avenir". Comment appréhendez-vous ces mots ?

 
Christella Kiakuba
: je suis heureuse que ce thème aussi significatif et déterminant rencontre l’ONG Telema Mwana Mapinga déjà sur terrain. Je rêve d’une RDC avec des jeunes filles courageuses, déterminées, résilientes, capables de poser des actes extraordinaires, de résoudre les problèmes que rencontre notre Congo. (…) je pense qu’il est grand temps pour la jeune fille congolaise de comprendre que sa place est quelque part, qu’elle n’a pas besoin de rivaliser avec les hommes mais de travailler, convaincre, arracher sa place. Il est grand temps que la jeune fille congolaise devienne actrice de son bien-être. Qu’elle comprenne que le mariage n’est pas son seul objectif et qu’elle ne devrait pas se marier pour fuir la pauvreté qui sévit sa famille. 


À quels défis les jeunes filles congolaises sont-elles confrontées selon vous et comment y remédier ?

 
Christella Kiakuba
: le premier défis de la jeune fille congolaise est de faire comprendre aux homme qu’ils sont partenaires, qu’ils peuvent (Femme-Homme) s’entraider pour développer le Congo. La jeune fille congolaise doit se sentir capable et jouer son rôle dans les postes de décisions ou d’exécution. Seul le travail donnera à chacune la place qu’elle mérite. 


Un dernier mot ?


Christella Kiakuba : merci beaucoup

Propos recueillis par Prisca Lokale