Du déplacement du premier ministre au Nord-Kivu dans le cadre de l'évaluation de l'état de siège au décès d'un jeune congolais aux États-Unis en passant par l'annulation de la peine retenue contre Vital Kamerhe, ainsi que la libération des négociateurs envoyés par la Présidence à Djugu, la semaine qui s'achève à été riche au niveau de l'actualité. Rose Kahambu Tuombeane revient sur les temps forts de cette semaine.
Bonjour Madame Rose Tuombeane et merci de nous accorder de votre temps. Y a-t-il des choses qui se sont ajoutées à votre parcours depuis la dernière rétrospective réalisée avec vous ?
Rose Tuombeane : au sein de la Dynamique des femmes pour la gouvernance (DYFEGOU), nous avons mené des études, des enquêtes et des plaidoyers. Actuellement, nous collaborons avec les femmes d'autres provinces de la RDC, notamment celles de l'Ituri avec lesquelles nous vivons presque les mêmes situations.
La semaine a été marquée par la décision de la Cour de Cassation annulant la peine (13 ans des travaux forcés) infligée à Vital Kamerhe. Devant la même cour d’Appel, des nouveaux juges seront désignés pour rouvrir l’affaire. Comment avez-vous accueilli cette annonce ?
Rose Tuombeane : nous avons été surpris en apprenant cette décision de la Cour de cassation. Nous n'avons pas compris comment un jugement issu d' un procès qui a coûté beaucoup au pays et qui a été prononcé par des juges qualifiés puisse être annulé. Nous avons compris que dans notre pays, on est loin de l'Etat de droit. Nous allons attendre la suite et nous souhaitons que cette affaire soit tirée au clair. Nous décourageons l'impunité et le trafic d'influence et rappelons que le futur de notre pays dépend de la façon dont nous dirons non aux antivaleurs en réservant des corrections exemplaires aux auteurs et ce, dans l'instauration d'une vraie justice.
Un autre fait marquant concerne l’arrivée du premier ministre Sama Lukonde au Nord-Kivu avec pour objectif principal celui d' évaluer l'État de siège après 10 mois de lancement. Que pensez-vous de cette visite de travail ?
Rose Tuombeane : tout en encourageant le gouvernement congolais pour avoir pensé à l'évaluation de l'état de siège, nous condamnons cependant la façon de le faire. Cette mission doit avoir été une grande charge pour le trésor public. Six ministres, pour accompagner le premier ministre dans une telle mission prouve à suffisance qu'on ne gère pas les moyens dont on dispose de façon efficiente et efficace. Ensuite, le fait que la délégation a été seulement dans les chefs-lieu de deux provinces sous état de siège sans arriver sur le terrain où se passent les massacres, cela prouve que les personnes qui seraient la cible d'une telle mission n'ont pas été rencontrées. De ce fait, nous nous demandons si la mission a été vraiment d'évaluer l'état de siège ou faire autre chose. A mon avis, les gens qui doivent évaluer l'état de siège sont sur le terrain, la société civile des villages et des villes touchées de façon directe par les massacres et la gestion des animateurs de l'état de siège, les militaires qui sont dans des positions, les usagers des routes où sont enregistrées les braquages, les chauffeurs, les commerçant et bien d'autres.
Sachant que DYFEGOU que vous dirigez a été parmi les organisations qui ont recommandé cette évaluation au gouvernement congolais, quelles seraient vos recommandations à l’issue de cette mission du premier ministre ?
Rose Tuombeane : la DYFEGOU est parmi les organisations qui ont recommandé l'évaluation de l'état de siège et nous saluons cet esprit d'écoute et le passage à l'acte dans le chef du gouvernement. Mais nous recommandons que prochainement, pour une telle mission délicate, que la délégation se donne le temps et identifie les personnes cibles. Par exemple, une rencontre des députés provinciaux, que le premier ministre venait de recevoir récemment à Kinshasa pour le même objectif, c'est taper à côté ou utiliser les moyens inutilement alors que les provinces visitées ont des orphelins qui ont besoin de l'appui du gouvernement (...) Mais comme la délégation est déjà de retour, nous recommandons la levée de l'État de siège et le suivi sur la gestion par la justice des dossiers des présumés ADF et renforcer la sécurité des villes, grandes agglomérations et des villages déjà récupérés des mains des ennemis. Cibler les ennemis qui sont dans le rang des FARDC et les déférer devant la justice pour haute trahison.
Toujours en sécurité, le dernier groupe d’émissaires de la Présidence pour négocier le désarmement des miliciens actifs dans le territoire de Djugu ont été libérés au cours de cette semaine grâce à une stratégie des FARDC. Quel est votre point de vue à ce sujet ?
Rose Tuombeane : nous nous réjouissons de la nouvelle de la libération des membres de la Task Force. Cependant, nous pensons que cela doit servir de leçon aux autorités du pays. Le message est un élément important dans la réussite d'une communication. Pour une mission qui avait pour but de conscientiser les groupes armés à déposer les armes, il fallait des personnes qui n'ont jamais trempé dans ce que nous reprochons aux groupes armés.
Nous devons faire les choses de manière professionnelle afin d'aboutir aux résultats escomptés. La mission de DDRCS ou similaire, ne doit pas être considérée comme une opportunité d'emploi mais comme une grande responsabilité, un sacrifice.
Didier Budimbu, ministre des hydrocarbures a été détenu dans les locaux de l’Agence nationale de renseignements (ANR). Cet évènement survient après la crise du carburant et l’annonce d'appels d'offres sur l’exploitation des blocs pétroliers. Que pensez-vous de cette situation ?
Rose Tuombeane : selon moi, soit il a pris cette décision sans consulter le gouvernement, soit il a peut être touché les intérêts de certains qui se considèrent parmi les propriétaires du pays. Comme nous ne sommes pas à Kinshasa pour faire des investigations et nous prononcer de façon claire, je ne peux que présenter des hypothèses et ce n'est pas la façon de faire de la DYFEGOU. Donc, je ne peux que demander aux associations de Kinshasa d'investiguer sur des tels cas, car nous avons aussi le devoir de suivre si c'est un détournement, une mauvaise gouvernance, si les droits humains sont touchés et les droits sociaux économiques. S'il est victime, c'est aussi un citoyen qui a droit à la liberté.
En société, il y a eu des manifestations de la population de Mitwaba “indignée” par la présence des bouviers et leurs bétails en provenance de l’Est du pays. Ces incidents succèdent aux vives réactions autour des propos de la députée nationale Dominique Munongo face aux déplacements massifs des familles Kasaïennes. Quel est votre avis à ce sujet ?
Rose Tuombeane : je pense que la population de Mitwaba a raison. Dans ma langue maternelle on a toujours dit que celui qui a été mordu par le serpent a peur d'un vers. Plusieurs provinces de notre pays qui sont déstabilisées ont d'abord vécu des évènements comme ceux-ci. Je crois à la liberté de circulation dans le pays oui, mais il faut voir comment elle se fait. En Afrique, nous sommes liés à la terre et avons peur de quiconque pouvant se l'approprier. Nous qui sommes de l'Est, nous avons un très mauvais souvenir avec les histoires des conflits entre autochtones et éleveurs. Au gouvernement de bien gérer cette question et au parlement de s'y pencher sans sentiment.
En culture, après 26 ans de suspension suite à l'activisme du groupe armé ougandais L'Armée de Résistance du Seigneur (LRA), le Parc national de Garamba a accueilli un nouveau groupe de touristes. Que pensez-vous de cette nouvelle ?
Rose Tuombeane : l'arrivée des touristes dans le parc de Garamba après que les éléments de LRA n'y soient plus actifs doit interpeller toute la nation. L'insécurité contribue grandement au manque à gagner dans notre pays. Nous devons nous unir pour faire face à cette réalité. Le gouvernement doit comprendre et s'investir dans la stabilisation du pays.
Un jeune congolais de 26 ans a été tué par balle à Grand Rapids (nord des Etats-Unis) par un policier blanc. Ce 14 avril, l’ambassadeur américain s’est rendu auprès du ministre des affaires étrangères pour assurer des enquêtes. Quelles sont vos attentes à ce sujet ?
Rose Tuombeane : nous attendons que ce policier soit arrêté. La suite des enquêtes doit être rendue publique ainsi que le jugement pour que ces blancs arrivent à respecter les Congolais. A part cette rencontre de l'ambassadeur des États-Unis avec le ministère congolais des affaires étrangères, la RDC doit se prononcer pour condamner cet acte posé par ce policier blanc.
En matière des droits des femmes, les organisations féminines ont intensifié leur plaidoyer pour la prise en compte de la parité dans la loi électorale. Que faut-il prévoir selon vous, au cas où l’article 13 n’est pas modifié avant les élections ?
Rose Tuombeane : je vais tout d'abord féliciter les organisations féminines impliquées dans cette lutte et les rassurer que nous sommes derrière elles. Tout ce que je souhaite c'est que les députés soient sensibles aux revendications des femmes. Cette lutte constitutionnelle doit bénéficier du soutien des élus qui comprennent que le pays ne sera pas relevé seulement par les hommes mais que la femme doit aussi y participer.
Si l'article 13 n'est pas modifié, je crois qu'on devra lutter pour qu'il y ait une loi organique qui exige un quota de 50% des femmes pour les postes nominatifs. Aussi, toutes les organisations doivent lancer déjà des grandes campagnes de sensibilisation de la population à travers le pays pour, d'une part, montrer l'importance de voter pour les femmes, et de l'autre côté, sensibiliser les femmes à s'intéresser à la politique.
Une femme congolaise a été assassinée en France par son époux. La chanteuse d'origine nigériane Osinachi Nwachukwu est également décédée suite aux coups infligés par son époux. Cela relance le débat sur les violences conjugales. Qu’en pensez-vous ?
Rose Tuombeane : je condamne ces féminicides. Tout ceci arrive parce qu'on ne connait pas la valeur de la femme. Quand on ignore le fait que la femme est un être humain, on pense avoir le droit de lui arracher la vie. Personnellement, je pense qu'au-delà des dénonciations, les organisations doivent chercher à comprendre non seulement les causes mais aussi et surtout l'état psychologique de tels maris.
Au delà de cela, on doit aussi insérer dans la lutte contre les violences faites à la femme, les stratégies de sécurité et de défense qui doivent être enseignées aux femmes pour en faire usage dans le cadre de la prévention et dans le cas où elles sont attaquées par le mari.
Un dernier mot ?
Rose Tuombeane : je finis en lançant un message au gouvernement congolais. Nous devons travailler pour protéger la population des zones instables de notre pays, précisément dans les provinces où se déroulent les massacres. Je voudrais demander aussi aux frères et sœurs vivant une accalmie dans leurs provinces de soutenir l'Ituri et le Nord-Kivu. Le pays est menacé, solidarisons -nous, par la bouche mais aussi par des actes. Notre pays a besoin de la grandeur des animateurs des différentes institutions. La justice est un outil important pour la stabilisation et le développement d'un pays. Nous devons faire en sorte que l'Etat de droit soit vraiment une réalité.
Propos recueillis par Prisca Lokale