Elle a mis en place, depuis près de cinq ans, une structure spécialisée dans l’accélération des start-ups et entreprises débutantes en République Démocratique du Congo. Dans un pays comme la RDC, il faut, au-delà des jeunes qui décident d’entreprendre, un environnement qui favorise leur éclosion, c'est ce que propose entre autre Kobo Hub.
Bonjour Madame Sidonie Latere et merci de nous accorder de votre temps. Vous êtes responsable de Kobo Hub, un incubateur-accélérateur congolais. Quels services proposez-vous ?
Sidonie Latere : Kobohub propose des services complètement différents aux incubateurs, notamment par le fait que, nous accompagnons des projets existants. Alors qu’un incubateur aide au développement des idées en projets. Le but est d’amener ce projet d’entreprise à trouver son plein potentiel. Nous proposons un programme d’accompagnement qui dure six mois. Il comprend du coaching, de la formation, du mentorat. Le programme est sur mesure parce qu’il succède à un diagnostic du projet. Nous définissons ensuite un plan d’exécution (management global de l’entreprise, gestion du département finance, juridique, commercial, marketing, tout ce dont a besoin l’entreprise pour évoluer). Pendant cette période, l’équipe Kobohub se substitue à l’équipe de l’entrepreneur pour lui permettre de monter en compétence et pouvoir atteindre les objectifs fixés en début d’accompagnement, notamment le fait que le projet d’entreprise, les produits et services correspondent à une réelle demande d’un marché cible. Le résultat attendu est de faire du revenu. En fin de parcours, pour des projets qui auront connu une croissance, une réelle stabilité ainsi qu’un engagement réel et permanent de l’entrepreneur, sont labellisés projets Kobohub et nous cherchons des investisseurs qui vont permettre à ces projets d’aller dans une autre phase de croissance. En somme, nous faisons du Market-fix et du Go-to-Market.
Parlez-nous de la genèse de ce projet, qu’est-ce qui vous a motivé?
Sidonie Latere : Kobo Hub est née de ma propre expérience. Après avoir quitté la Belgique, je me suis installée à Kinshasa. Je travaillais pour une agence de communication, j’ai démissionné pour créer ma propre agence en 2013. Elle existe jusqu’à ce jour. Je me suis rendue compte que la RDC était un champ d’opportunités. J’ai lancé plusieurs projets qui ont considérablement échoué. De ce constat amer, j’ai conclu que le vrai challenge pour entreprendre en RDC était l’environnement local. Il n’est pas assez développé pour permettre aux entrepreneurs de réussir. Il faudrait cent fois plus d’efforts pour réussir en RDC plutôt qu’en Belgique ou aux Etats-Unis. L’écosystème ailleurs est déjà formé. Le premier challenge pour nous était donc de créer cet environnement dans lequel j’aurais aimé me retrouver et entreprendre. Kobo Hub permet actuellement aux entrepreneurs de venir dans un espace où il y a de l’électricité de manière permanente, de la connexion internet, où l’on peut trouver un réseau d’entrepreneurs à succès pour un partage d’expérience et des compétences.
Depuis vos débuts en 2018, quel bilan faites-vous par rapport à vos objectifs de départ ?
Sidonie Latere : le bilan est positif parce que Kobo Hub était une idée qui s’est transformée en projet. Un projet qui est devenu une entreprise et une entreprise qui fait naître d’autres entreprises. Sur ces quelques années, on a pu dépasser les objectifs qu’on s’était fixés. Nous avons pu créer notre petit écosystème, nous avons pu convaincre des entrepreneurs à nous confier leurs projets d’entreprise, on a pu transformer leurs entreprises, on a pu convaincre des bailleurs de fond à investir dans notre projet d’entreprise pour nous permettre de faire ce travail. On a pu convaincre des investisseurs particuliers, des entreprises ou des organisations à pouvoir investir des fonds dans des projets qui bénéficient de notre accompagnement. Le bilan est très positif. Actuellement (en janvier 2022), nous avons pu lancer deux autres Hubs, à Lubumbashi et à Goma. Au début, on ne s’imaginait même pas ouvrir ailleurs. Jusque-là, on est très content des résultats.
Concrètement, quels résultats avez-vous atteints jusque-là et avec quelles entreprises travaillez-vous ?
Sidonie Latere : nous avons accompagné des entreprises dans le domaine de l’agriculture, la transformation, le cosmétique, le divertissement et les NTIC. Par an, nous accompagnons actuellement entre 10 et 15 entreprises. Un nombre énorme au niveau du travail, nous avons vu des entreprises évoluer.
Quelles sont vos ambitions pour 2022 et les perspectives pour les 10 prochaines années ?
Sidonie Latere : 2022 commence très bien parce qu’en 2021, nous avons été nommés par le Global Startup International comme meilleur incubateur et accélérateur d’Afrique Centrale. Cette année, nous allons continuer à nous améliorer et pouvoir être nominé meilleur incubateur et accélérateur d’Afrique. Nous souhaitons poser nos marques à Goma et Lubumbashi, notamment en formant plus de 500 personnes dont les jeunes aux différents métiers et de pouvoir lancer un programme d’entrepreneuriat destiné aux entrepreneurs locaux. Dans les 10 prochaines années, on aimerait devenir une référence en termes d’accompagnement des entrepreneurs en Afrique francophone. Nous visons des villes et des pays. Nous sommes donc ouverts au partenariat. L’avenir du Congo est dans l’entrepreneuriat des jeunes. Nous devons être cette génération qui entreprend et crée des entreprises pour permettre aux générations qui vont suivre d’avoir assez d’emplois. C’est notre challenge.
Quel rôle, selon vous, les femmes devraient-elles jouer dans le développement des solutions technologiques adaptées aux besoins de la société en RDC ?
Sidonie Latere : je ne pense pas que les femmes ont un rôle spécifique à ce sujet. La RDC a raté toutes les révolutions industrielles. Actuellement le monde entier se trouve en pleine révolution digitale, nous avons un train de retard. En tant qu’homme et femme, on a tous un rôle à jouer. Le challenge est grand pour tous. Je pense aussi que les femmes peuvent utiliser les outils numériques, technologiques pour faire entendre leurs voix.
Avez-vous rencontré des difficultés dans votre parcours ? Comment les avez-vous surmontées ?
Sidonie Latere : les entrepreneurs du monde entier vivent tous les mêmes difficultés. C’est particulier en RDC parce que l’environnement est très hostile au développement des projets des entrepreneurs. Il faut d’abord commencer seul, ensuite convaincre les autres d’adhérer à votre projet, localement les gens ne veulent pas prendre des risques avec vous. L’autre grande difficulté concerne les ressources humaines. Nous avons très peu de congolais compétents dans des domaines spécifiques, très peu qui ont une vraie mentalité de travail, qui se rendent compte qu’au début, ce n’est pas du 100% qu’il faut donner mais du 1000%. Pour surmonter cette difficulté, j’ai dû prendre deux personnes, investir énormément de temps pour les former, les coacher pour pouvoir faire un minimum du travail attendu. Ensuite, je suis allée chercher des fonds pour nous permettre d’obtenir une formation pour accompagner les entrepreneurs. Nous avons réussi à être former par une structure panafricaine.
Pouvez-vous faire un retour sur votre parcours ?
Sidonie Latere : j’ai fait mes études en Belgique, en 2013 que je suis rentrée au Congo. J’ai créé ma première entreprise, puis Kobo Hub. Je suis fondatrice de cet accélérateur et investisseur-actionnaire dans plusieurs autres structures dans les domaines de l’agriculture et des nouvelles technologies.
Un dernier mot ?
Sidonie Latere : j’encourage les entrepreneurs congolais. La RDC est un pays pauvre, classé mondialement comme le sixième pays le plus pauvre. Nous devrions être conscients de cette situation, travailler, être cette génération qui doit se sacrifier, bâtir ce Congo beau et fort de nos rêves. Je vous encourage à vous rapprocher des incubateurs accélérateurs, des centres de formation. Il y a beaucoup d’idées à développer et des petites formations à avoir. J’encourage aussi le gouvernement, les structures locales et étrangères à se rapprocher des structures telles que la nôtre qui existent, pour pouvoir faire des partenariats. S’il y avait plusieurs actions comme les nôtres développées dans tous les coins du pays, on verrait un réel changement commencer.
Propos recueillis par Prisca Lokale