Bonjour Madame Jeanne Nzuzi, merci d’avoir accepté de nous accorder de votre temps. Pouvez-vous nous parler de votre parcours ?
Jeanne Nzuzi Nsamba : depuis treize ans, je suis secrétaire permanente du Comité national femme et développement (CONAFED). Agrégée en science de l’éducation de l’UNIKIN et licenciée en animation culturelle et développement de l’INA, j’ai fait mon graduat en nutrition diététique à l’ISTM. Avec plus de trente ans dans la société civile, j’ai formé et organisé le déploiement d’observateurs électoraux en partenariat avec CEDCE, AETA et SYMOCEL. Et cela, durant les 3 cycles électoraux (2006, 2011, 2018). Je suis membre de Global Network for Women’s Peace Builders GNWP, du conseil d’administration de l’ONG INADES Formation-Congo et membre d’INADES Formation International.
La semaine a été marquée par le discours du Chef de l’Etat à la 76ème assemblée générale. Félix Tshisekedi a notamment appelé à des sanctions contre tous les réseaux mafieux qui opèrent en RDC, et contre toutes les entreprises multinationales qui y exploitent de façon illicite des minerais. Que pensez-vous de ce plaidoyer ?
Jeanne Nzuzi Nsamba : le plaidoyer du Chef de l’Etat est fondé. Il s’agit ici d’une question de droit. Les minerais de la RDC sont exploités illicitement. Le président de la République devrait instruire l’Assemblée Nationale pour faire appliquer la loi relative à l’exploitation minière (le Code minier). Tous les exploitants doivent s’y conformer. Sinon, ils seront traqués par l’Etat. Ces ressources ne sont pas inépuisables. Que restera-t-il à la RDC ? Il y a une partie des recettes qui devrait être orientée vers le développement socio-économique des populations mais cela tarde à être une réalité. Il y a lieu de faire le suivi.
Le Président de la République a également estimé que l'état de siège en cours dans les provinces du Nord-Kivu et de l'Ituri ne sera levé que « lorsque les circonstances qui l'ont motivé disparaîtront ». L’activisme des miliciens dans cette partie du pays dure depuis plus de deux décennies. Quel mécanisme faudrait-il mettre en œuvre pour la réussite de l'État de siège ?
Jeanne Nzuzi Nsamba : je suis pour le fait que l’état de siège puisse continuer. Le fait que la ministre d’Etat, ministre de la justice ait présenté cette question à l’Assemblée nationale et que celle-ci ait donné son avis sur une nouvelle prorogation est une bonne chose. La situation d'insécurité perdure à l'Est du pays. Les efforts conjoints de toute la nation congolaise, de toutes les parties prenantes feront que l'état de siège soit une réussite car le manque de paix ralentit le processus de développement de la RDC. Que les forces négatives soient écartées de notre territoire.
Lundi, la société minière CNMCC (China Nonferrous Metal Mining Group) a remis des cache-nez et des sacs de farine à quelques ménages affectés par la pollution dans la ville de Likasi (Haut-Katanga). Ce don intervient après que la VPM en charge de l’Environnement et Développement durable, Ève Bazaiba, ait ordonné, au nom du Gouvernement congolais, la fermeture des sites du bassin de rejet de cette entreprise. Que pensez-vous de la réaction de CNMCC ?
Jeanne Nzuzi Nsamba : ces dons ne suffisent pas pour atténuer les impacts de la pollution. Il faut un plan pour dépolluer le quartier et la prise en charge des victimes.
Récemment, la pollution des eaux des rivières Kasaï et Tshikapa a causé des cas de diarrhées et de lésions génitales au sein des communautés. Au-delà de la prévention, quelle stratégie devrait adopter le gouvernement congolais pour obtenir réparation ?
Jeanne Nzuzi Nsamba : j'ai l'impression que les autorités congolaises traitent cette question avec beaucoup de légèreté. Il s'agit de la vie humaine. En tant que nutritionniste, je connais les conséquences de la consommation des métaux lourds sur la santé. Les impacts pourront apparaître dans 10 ou 20 ans. Mais, il faut qu'à travers les voies diplomatiques, la RDC puisse interpeller le gouvernement angolais, de sorte que les entreprises impliquées puissent indemniser les victimes. Le gouvernement congolais devrait aussi songer à aller vers les instances internationales, il y a des instruments juridiques internationaux qui règlent cette problématique, il faut s'y référer. C'est une question de droit et de santé. Il faut également mettre des moyens pour dépolluer ces milieux par des mécanismes qui pourront être soumis par des écologistes. Enfin, il faudra ré-alimenter les rivières.
Au niveau de l’Assemblée nationale, deux commissions d’enquêtes parlementaires ont été créées. L’une est « chargée de contrôler sur toute l'étendue du pays, la validité des titres miniers, des contrats conclus avec les exploitants privés et l'état de paiement des taxes et redevances dues à l'Etat ». Après des récentes allégations d’exploitation minière irrégulière au Sud-Kivu, quelles sont vos attentes au sujet de cette commission ?
Jeanne Nzuzi Nsamba : on se demande, comment a-t-on accordé des titres miniers sans ordre ? La Commission devrait aider le pays à dresser un état des lieux de l'exploitation, des titres miniers pour connaître leur conformité par rapport à la loi. Voir les titres qui peuvent être arrachés à ces entreprises. Signer des contrats en instruisant les entreprises au respect des lois, au paiement des taxes.
L’autre commission d’enquête veillera sur la mise en œuvre de la législation dans l'exploitation des forêts et des terres arables ainsi que les contrats de concessions forestières et agricoles conclus par le gouvernement de la RDC avec les opérateurs privés. Qu’attendez-vous de ladite commission ?
Jeanne Nzuzi Nsamba : on dit que la RDC est le deuxième poumon du monde. Tous les intervenants du secteur de l'environnement ont les yeux braqués sur la RDC qui détient un nombre élevé des tourbières. Quelles sont les décisions qui s'en suivent ? c’est tous les jours que nous voyons des grumes quitter le port de Matadi, que gagne la RDC ? Il faut une réglementation. Que la commission travaille en toute conscience et qu'à l'issue des enquêtes, les résultats soient présentés en plénière à l’Assemblée nationale et retransmis sur les ondes pour permettre au peuple congolais de suivre les conclusions des travaux. Cela fait partie de la redevabilité.
La Commission nationale des droits de l’homme (CNDH) a publié un rapport jeudi 23 septembre, sur la dernière manifestation de la coalition Lamuka. Elle recommande notamment au Gouvernement « d’assurer la formation des forces de sécurité aux droits de l’homme et au droit international humanitaire mais aussi d’initier un projet de loi fixant des mesures d’application sur la liberté d’exercice des manifestations ». Ces suggestions sont-elles faisables selon vous ?
Jeanne Nzuzi Nsamba : l’initiative de la CNDH est louable. La constitution de la RDC garantit le droit à la manifestation. La police doit être informée de tous les droits humains internationaux. Nous demandons aussi à ce que les manifestations soient organisées pour des causes défendables, notamment pour le bien-être de la population. Et si toutes les procédures prévues par la loi sont respectées, les marches se dérouleront sans incidents et elles seront encadrées par la police.
En ce qui concerne la riposte contre Covid-19, la RDC a reçu jeudi, plus de 250.000 doses de vaccins Pfizer, qui s’ajoutent aux différents types de vaccins notamment Moderna et AstraZeneca. Quel est votre point de vue sur la campagne de vaccination ? Que faire pour inciter plus de personnes à se faire vacciner ?
Jeanne Nzuzi Nsamba : je pense que l'acceptation de la vaccination est un acte volontaire. Le vaccin est une bonne chose pour garantir l’immunité collective. Le Chef de l'État et son épouse mais aussi le docteur Muyembe ont montré l’exemple en se faisant vacciner. Dans l'une de ses communications, le coordonnateur de la riposte a prévenu à propos d'une quatrième vague. Il y a tout intérêt pour la population à se faire vacciner. Il faudra aussi vulgariser les principes de protection, l'observation des gestes barrières.
En sport, l’Inspection Générale des Finances dit avoir intercepté près d’un million de dollars décaissés par le trésor public et logés dans le compte de la FECOFA sans un soubassement de sa part. Le Ministère a rejeté ces allégations mais l’IGF confirme. Quelle est votre perception du travail de l’IGF ?
Jeanne Nzuzi Nsamba : cette alerte peut toucher des sensibilités mais demeure une alerte pour que l'opinion nationale soit sensibilisée à la bonne gestion de la chose publique et au suivi de la répartition des fonds.
Un dernier mot ?
Jeanne Nzuzi Nsamba : chacun de nous devrait s’investir pour la bonne gouvernance, la redevabilité dans tous les secteurs de la vie publique. Nous devons faire un effort de transparence, de traçabilité pour inspirer les générations futures. Aidons nos communautés à s’intégrer dans la gouvernance locale de leurs entités par la proposition des projets de développement durable. Merci.
Propos recueillis par Prisca Lokale