Deux décennies après l’adoption de la résolution 1325, Femme, paix et sécurité, Julienne Lusenge, activiste pro droits des femmes dresse un bilan de sa mise en œuvre en RDC. Dans une interview accordée à la rédaction Femme de Actualite.cd, elle parle également de l’importance de la reconnaissance des efforts de la femme au processus de paix.
Bonjour Madame Lusenge et merci de nous accorder cet entretien. Le monde célèbre cette année, les 20 ans de la résolution 1325 du Conseil de sécurité des Nations Unies et ses résolutions connexes de l'Agenda Femme, paix et sécurité. Quel bilan dressez-vous de la mise en œuvre de cette résolution en RDC ?
Julienne Lusenge : le bilan de la 1325 est bien outillé parce qu’il y a quelques progrès, mais il reste encore beaucoup à faire. Cette année, nous avons vu la ministre d’Etat en charge du genre, famille et enfant faire beaucoup d’efforts pour que le plan d’action national(PAN) puise être adopté par le gouvernement. C’est un grand pas. Il reste à présent de lancer l’implémentation de ce PAN mais aussi des ressources nécessaires pour l’avancement de ce plan. Au niveau de la société civile, nous avons à travers les organisations, vulgariser la 1325. C’est notre outil de base pour réclamer la place des femmes dans les négociations de paix, dans la participation politique et la gestion, la bonne gouvernance. C’est un outil très utile pour les femmes du monde entier mais, les décideurs doivent le connaitre pour faciliter son implémentation. Les pays membres des Nations Unies devraient fournir des efforts de connaitre cette résolution et la faire connaitre dans l’administration locale.
Pensez-vous que cette mise en œuvre est évolutive ? Ou nécessite-t-elle d’être renforcée ?
Julienne Lusenge : non, sa mise en œuvre n’est pas évolutive. Du coté de l’administration, les gens n'en parlent pas parce qu’ils ne la connaissent pas. Ce sont uniquement les ONG qui essayent de la vulgariser. Maintenant que le gouvernement a adopté le PAN, nous pensons qu’il va appuyer la mise en œuvre de la résolution 1325 femme, paix et sécurité.
Quels sont selon vous, les instruments juridiques publiés en RDC qui ont favorisé l’application des dispositions de la 1325 ?
Julienne Lusenge : il y a la Constitution, qui est venue booster la parité, le Code de la famille (…) plusieurs documents nationaux qui ont essayé de modifier le cadre juridique congolais en sorte que les femmes puissent jouir pleinement de leurs droits. C’est la mise en application qui pose problème.
Il y a aujourd'hui un nouveau glossaire des termes de cette résolution produit par Madame Annie Matundu. Que pensez-vous de cette œuvre ?
Julienne Lusenge : je la félicite vraiment ! Madame Annie Matundu a bien fait de mettre en place ce document parce que les Congolais, nous promettons très souvent d’écrire sans pouvoir le faire. Je demande à toutes les femmes, les organisations, les partenaires à acheter ce glossaire pour nous permettre d’imprimer encore plus et de faire également la traduction dans les langues nationales afin que les autres le lisent aussi. Ce document va faciliter la compréhension de la 1325.
La partie Est de la RDC continue à faire l’objet d'attaques armées et parmi les victimes, des femmes et des enfants. Que faudrait-il faire pour y rétablir la paix ?
Julienne Lusenge : pour rétablir la paix à l’Est, il faut juste de la bonne foi et la bonne volonté qui manquent auprès des dirigeants africains, les voisins de la RDC et aussi, les dirigeants congolais. Les groupes armés sont instrumentalisés par certains de nos voisins mais également certains politiciens pensent qu’ils doivent s’appuyer sur les groupes armés pour se positionner. Si nous voulons vraiment construire la paix, participer au développement de notre pays, nous devons tous regarder dans la même direction. Il est vrai que les femmes et les enfants sont les premières victimes mais, quand on touche à la femme, c’est toute la communauté qui est affectée. Ce sont les femmes qui nourrissent les communautés, elles se réveillent très tôt pour aller au champ, nourrir les foyers, elles maintiennent l’économie familiale. Quand elles ne peuvent pas accéder à leurs milieux de travail, ce sont les familles qui sont appauvries. Donc, il est important de faire participer les femmes dans les instances de prise des décisions à tous les niveaux, pour qu’elles puissent partager leur savoir et contribuer au bien-être de leurs communautés.
S’il existe déjà des solutions, pourquoi tardent-elles à être effectives ?
Julienne Lusenge : l’égoïsme des politiciens congolais constitue un blocage au processus de paix. Notre pays est géré par des partis politiques, des autorités morales. Ce sont eux qui dressent les listes des personnes qui doivent aller à la gouvernance. Ils ne mettent pas les noms des femmes, ils utilisent les femmes uniquement pour mobiliser les membres mais quand il s’agit des postes, on ne voit pas apparaitre les noms des femmes sur les listes. Les femmes politiques doivent elles-mêmes aussi exiger leurs places.
Le Conseil des gouverneurs de l'ICIP a décidé de vous attribuer le Prix ICIP Peace in Progress 2020 pour votre travail sur la « prévention et la réduction des violences et le renforcement de la participation des femmes à la consolidation de la paix » en RDC. Que représente cette récompense pour vous ?
Julienne Lusenge : chaque prix que je reçois, ce n’est pas un prix pour Julienne. Ce ne sont pas les efforts de Julienne toute seule, mais celui de toutes ces femmes qui luttent nuit et jour, partout en RDC pour faire avancer la consolidation de la paix, contribuer à la résolution des conflits, contribuer pour que les femmes puissent accéder à des postes de prise des décisions à tous les niveaux. Pour nous, c’est un prix pour les femmes congolaises et un appel à plus de responsabilité et d’engagement pour faire avancer les droits des femmes et construire la paix.
Comment les femmes doivent-elles participer au processus de paix en RDC ?
Julienne Lusenge : à partir de la base, les femmes doivent s’organiser pour construire la paix localement, elles organisent des sensibilisations, font des émissions dans les médias, des marches, rencontrent les groupes armés, les autorités locales, font des plaidoyers, viennent jusqu’à Kinshasa pour rencontrer les autorités, et lorsque ces dernières se déploient dans les provinces, les femmes font tout pour les rencontrer (bien que c’est encore difficile à ce niveau parce que la plupart de nos autorités ne comprennent pas la place des femmes dans toutes les négociations). Malgré tout cela, elles fournissent des efforts pour faire entendre leurs voix. A l’exemple des femmes d’Uvira, elles ont travaillé pour la sensibilisation des jeunes dans le cadre de l’accord-cadre d’Addis Abeba, à travers un projet que nous avons financé. Il y avait des jeunes qui possédaient des armes à feu. Les femmes ont tout récupéré et déposé auprès des services de sécurité. Après, c’est l’armée qui a commencé à demander aux femmes de multiplier les rencontres. En 2018, les femmes de Beni s’étaient levées pour dénoncer les crimes qui y sont commis, elles ont fait des marches et exigé à la Monusco d’aller combattre, et aux autorités de faire leur part. A Bunia également, les femmes font des actions.
En ce moment, le Chef de l’Etat a initié des consultations suite à la crise au sein de la coalition FCC-CACH. Quelles devraient être les priorités au cours de ces assises selon vous ?
Julienne Lusenge : tout ce que nous voulons, c’est la paix. Nous voulons également que l’agenda du peuple congolais soit établit: comment nous allons survivre après la pandémie Covid19, comment fournir de l’eau aux populations, de l’électricité, des routes de desserte agricole, pour que la population soit capable d’aller au Champs et ramener des vivres pour leur commerce. Comment assainir les forêts, mettre fin aux milices Codeco, Mai-Mai, (…) Il faut que tout cela fasse l’objet des discussions. Que les politiques congolais mettent leurs idées ensemble en faveur de la population. Nous les invitons tous à prioriser la vie des congolais avant de penser postes, argents, positionnement.
Quels rôles devraient jouer les femmes politiques qui vont y prendre part ?
Julienne Lusenge : les femmes parleront des mêmes sujets que les hommes. L’eau, l’électricité, les routes, la sécurité, tout cela concerne aussi les femmes.
En outre, Julienne Lusenge demande aux Nations Unies, après 20 ans de la résolution 1325, de placer également les femmes dans les postes de prise des décisions, augmenter le nombre des négociatrices femmes dans ses institutions et de faire en sorte que les pays membres mettent en réellement en application cette résolution. Que les partenaires mettent aussi les moyens nécessaires pour favoriser la mise en œuvre de cette résolution.
Propos recueillis par Prisca Lokale