Les congolais se sont réveillés littéralement sonnés au lendemain du match de football qui a opposé à Kinshasa les Léopards à l'équipe du Sénégal. Dans les rues, les transports et les marchés, les gens affichent des mines tristes et déconfites, comme s'ils sortaient d'un mauvais rêve.
Ce match, ils y tenaient tant. C'était l'occasion de voir leur pays revenir dans la cour des grands, à la Coupe du monde, 51 ans après la mythique équipe des Léopards du début des années 70, qui domina à l'époque toute l'Afrique. Mais après une entame glorieuse, qui fit palpiter à l'unisson tout le pays grâce à une avance de deux buts à zéro, la seconde période va s'avérer cauchemardesque. Le retour au score et la victoire sur le fil de l'équipe du Sénégal vont martyriser les cœurs des supporters et plonger le pays dans la stupeur.
Des scènes outrancières de vandalisme dans le Stade des Martyrs témoignent de l'ampleur de la déception.
Certes, il faut déplorer et condamner ces actes d'incivisme qui n'ont pas lieu d'être, car le sport est une affaire de fair-play. Le baron Pierre de Coubertin, père des jeux olympiques modernes, avait exhorté les nations à une catharsis afin d'expurger le sport des sentiments chauvins et hostiles. Le sport n'est pas la guerre, et il est normal qu'il y ait un gagnant et un perdant. La défaite de la sélection nationale n'est pas “ *une déroute nationale* ”.
Cependant, de mon point de vue les réactions violentes des jeunes supporters congolais ne sont pas simplement épidermiques. Elles cachent un mal être profond, lié à un enchaînement d'humiliations intervenues ces dernières décennies. Les défaites récurrentes de notre armée sur le front de l'est, l'occupation de notre territoire par deux pays voisins qui y massacrent et pillent à leur guise, la maltraitance de nos compatriotes dans certains pays voisins et tant d'autres déboires constituent des tragédies intériorisées. D'autant que même les crimes de génocide perpétrés sur nos populations sont moqués sans compassion par d'autres africains, comme on l'avait vu lors de la CAN en Côte d'Ivoire. Ce sont des éléments constitutifs de névroses, nourries par une insuffisance de valorisation et une accumulation d'amertume.
Aussi, la jeunesse congolaise est à la recherche d'un idéal héroïque auquel s'accrocher, ainsi que de hauts faits et de victoires pour redorer notre blason. C'est à cela que tiennent souvent les mythes fondateurs des états. D'ailleurs, nous avons nous-mêmes pour habitude d'invoquer nos figures héroïques (Lumumba, Kimbangu, Kimpa Vita etc). Seulement, ces figures de gloire datent de l'époque coloniale. La jeunesse a besoin de héros modernes et de nouvelles victoires. C'est pourquoi l'engouement derrière l'ancien ministre de la justice, Constant Mutamba, a été à un moment très fort. Son discours, empreint de populisme et d'un certain idéal de rupture, avait rencontré les attentes d'une grande partie de la jeunesse. D'où une forme d'indulgence dans l'opinion publique face à la condamnation judiciaire dont il a fait l'objet. Mais, cette quête d'idéal et de valorisation peut rendre vulnérable notre jeunesse, car elle aura tendance a s'accrocher à tout discours séduisant.
Sera-ce suffisant pour repartir un jour à la chasse ?
Charles Kabuya