RDC: "la CNDH, une institution en quête de crédibilité", nouvelle étude d'Ebuteli, proposant des pistes "concrètes" pour notamment renforcer son autonomie

Présentation d'une nouvelle étude d'Ebuteli sur la CNDH
Présentation d'une étude d'Ebuteli sur la CNDH

Ebuteli, institut congolais de recherche sur la politique, la gouvernance et la violence, a organisé mardi 15 juillet à Kinshasa un forum public consacré aux résultats et recommandations de la note thématique « la CNDH, une institution en quête de crédibilité ». Cette étude propose une analyse des principaux défis rencontrés par la Commission nationale des droits de l'homme (CNDH), notamment les tensions internes, les contraintes budgétaires, les enjeux de gouvernance et les attentes croissantes vis-à-vis de son mandat de protection des droits civils et politiques.

" Notre étude a mis en lumière trois catégories de défis majeurs qui affectent son bon fonctionnement : • les tensions internes, avec des retards et contestations autour de la désignation des commissaires, alimentés par des soupçons de politisation. Cela a beaucoup affecté la stabilité de l'institution avec ces querelles qui ont persisté même juste après la mise en place de la nouvelle équipe en 2022 ; • Des crises de gouvernance, notamment en 2023, où une plénière élective avait démis le président de ses fonctions avant son rétablissement par la justice. Cela a impacté le fonctionnement de la CNDH, qui n'a pas pu à l'époque déposer à temps ses prévisions budgétaires et on a vu des conséquences plus tard ; • Des contraintes financières, avec un budget limité (autour de 6 millions USD) ne permettent pas un déploiement effectif dans toutes les provinces. Des mises en congé technique ont été observées, faute de ressources suffisantes. En outre, même les crédits budgétaires votés par le Parlement ne sont pas toujours exécutés à la hauteur prévue, réduisant l’efficacité de l’institution sur le terrain ", a expliqué Trésor Kibangula, Directeur du pilier politique à Ebuteli.

Un rôle marginal lors des élections de 2023

La CNDH occupe une place essentielle dans la protection des droits de l’homme en RDC. Née d’un processus long et parfois tumultueux, elle s’inscrit dans la continuité de l’ancien Observatoire des droits de l’homme de la période de transition. Ce n’est qu’en 2013, à la suite d’une loi, qu’elle est formellement instituée comme organe d’appui à la démocratie.

" Nous avons observé de près l’action de la CNDH pendant les scrutins de 2023. L’institution affirme avoir déployé 1 500 observateurs, mais aucun rapport public n’a été rendu disponible sur leur activité. Plusieurs rapports internes, portant notamment sur des violations graves des droits humains, n’ont pas non plus été publiés, les rapports de la CNDH sont confidentiels, souvent réservés à certaines autorités et cela pose un problème de lisibilité sur le travail. Cette opacité s’explique en partie par une forme d’auto-censure institutionnelle. Comme le disait le président Nsapu, « la CNDH n’est pas une ONG, c’est une institution publique, elle doit agir avec prudence » ", a fait remarquer Trésor Kibangula.

Et de poursuivre :

" Cette prudence traduit la volonté de ne pas entrer en confrontation avec les autorités politiques, d’autant que la CNDH dépend directement du budget de l’État pour fonctionner. Les décisions sensibles sont parfois contournées par l'institution qui privilégie des rapports confidentiels. Ils nous ont dit qu'ils avaient documenté une trentaine de violations graves des droits de l'homme pendant les élections mais le document était déposé directement au niveau de la justice malheureusement on n’a pas non plus vu ou constaté de suite judiciaire par rapport à ça, c'est un défi concilier cette neutralité, cette volonté de ne pas fâcher les institutions et l'exigence démocratique d'avoir une sorte de vigile de nos droits fondamentaux ". 

Un dilemme politique : réforme ou statu quo ?

Selon Trésor Kibangula, la conclusion de cette étude soulève une question fondamentale : que faire de la CNDH ? Il a rappelé que durant les débats sur la révision constitutionnelle, certaines voix au sein du pouvoir ont évoqué sa suppression ou sa fusion avec d’autres structures. Ces propos traduisent une réelle remise en question de sa pertinence.

" Nous écartons clairement cette option. Supprimer la CNDH créerait un vide dangereux, car elle reste la seule institution publique investie d’un mandat spécifique de protection des droits humains. Il est donc urgent d’envisager une réforme structurelle, afin qu’elle devienne un acteur crédible et indépendant ", a fait savoir M. Kibangula.

Pistes de réforme proposées

Dans une démarche constructive, ce forum a permis de promouvoir un dialogue inclusif et transparent entre les acteurs politiques, la société civile et d’autres partenaires nationaux et internationaux sur le rôle, le fonctionnement et l'indépendance de la CNDH, au-delà du cadre électoral. Il a permis également de proposer des pistes concrètes pour renforcer la crédibilité et l’autonomie de cette institution, dans un contexte marqué par de fortes tensions politiques et une détérioration persistante de la situation des droits humains, notamment dans l’est du pays.

" Nous proposons plusieurs leviers pour refonder la CNDH : • Repenser le processus de désignation des commissaires, en s’inspirant de modèles comme celui du Ghana : Appels à candidatures publics et transparents, critères clairs et publiés, Sélection par des commissions pluralistes (Parlement, société civile, universités, magistrats, observateurs indépendants); • Encadrer le vote de désignation des membres, par un scrutin secret, et non plus à main levée; • Limiter le rôle du Président de la République à une investiture formelle, sans pouvoir discrétionnaire de blocage ; • Garantir des mandats non renouvelables ou limités, pour préserver l’indépendance des commissaires; Imposer la publication annuelle des rapports, des procédures, et des comptes rendus d’activité; • Renforcer le contrôle citoyen via des mécanismes d’évaluation participative et des indicateurs de performance publique ", recommande Ebuteli par le biais de son Directeur du pilier politique.

Et d'insister :

" La CNDH ne peut plus continuer à fonctionner comme une institution sous perfusion. Elle doit retrouver sa vocation première : être un vigile crédible des droits fondamentaux, au service de la démocratie congolaise. La réforme de la CNDH n’est pas seulement une option technique ; elle est un choix politique majeur. Le pays ne peut se permettre un affaiblissement de ses mécanismes de contrôle démocratique, surtout dans un contexte où les droits humains restent fortement exposés ". 

Dans le cadre du projet Actions citoyennes pour la transparence des élections (Acte), l'institut congolais de recherche Ebuteli publie une série de notes thématiques sur les institutions impliquées dans la gestion du processus électoral en RDC. 

Cette série comprend cinq études : un rapport approfondi sur la Commission électorale nationale indépendante (Ceni) et l’organisation des élections de 2023, ainsi que des notes sur le Conseil supérieur de l’audiovisuel et de la communication (CSAC), le Conseil national de suivi de l’accord et du processus électoral (CNSA), la Cour constitutionnelle et la Commission nationale des droits de l’homme (CNDH), objet du dernier forum. 

Chaque étude vise à analyser le fonctionnement de ces institutions, leur niveau d’indépendance et les dynamiques de politisation qui les entourent, en formulant des recommandations constructives pour renforcer leur transparence et leur contribution à des processus électoraux futurs crédibles et inclusifs.

Clément MUAMBA