Dans les ruelles bondées des marchés de Kinshasa, la silhouette des femmes commerçantes domine le paysage. Parfois seules, parfois en groupes, elles gèrent des petits étals où fruits, légumes, poissons, viandes et tissus multicolores se côtoient. Le long des rues des marchés, des voix s’élèvent, rivalisant avec le bruit incessant de la circulation et des marchands ambulants. Ces femmes, surnommées "les mamans commerçantes", sont les piliers de l'approvisionnement alimentaire à Kinshasa. Le Desk Femme d'Actualite.cd en a rencontré quelques unes pour explorer leurs pratiques commerciales, les rapports de solidarité ainsi que les impacts des politiques économiques sur leurs activités.
Le quotidien de ces femmes commence dès l'aube et se termine bien après le coucher du soleil.
Dorcas Kamba, 45 ans, vend des légumes et des fruits au marché du rond-point Ngaba. "Je me lève à 4 heures du matin pour acheter mes produits au marché de gros, mais aussi pour rejoindre des cultivateurs dans leurs champs afin de me procurer des légumes. Avant de m'installer sur mon étal, je commence d'abord par faire le tour des différents quartiers pour vendre un maximum avant de m'installer au marché", raconte-t-elle debout sur son étal faisant appel aux clients qui passent. "C’est un travail difficile, mais il faut se battre pour subvenir aux besoins de la famille."
La réalité de ces femmes commerçantes est marquée par une forte autonomie financière, mais aussi par de nombreuses difficultés. Manque de financements, absence de structures de soutien, compétitions avec d'autres vendeuses, et les aléas liés aux prix instables des marchandises, sont des obstacles constants dans leur quotidien.
"J’achète généralement mes épices à Zigida et je les revends en tenant compte de tous les coûts, y compris le transport. Mais il arrive que certaines voisines vendent les mêmes épices que moi à des prix plus bas, selon l'endroit où elles les ont achetées. Plutôt que de laisser mes épices pourrir, parce que dans ce cas, aucun client ne voudra les prendre à mon prix, je me vois obligée de réduire mes prix et accepter des pertes", s’indigne Mireille Meso, vendeuse d’épices au marché de l’UPN.
Un réseau de solidarité
Malgré ces défis, un esprit de solidarité règne sur ces marchés. Les femmes commerçantes de Kinshasa ne se contentent pas seulement de vendre des produits : elles créent des liens et forment des réseaux d'entraide. "Nous nous soutenons mutuellement. Si l’une de nous rencontre une difficulté, elle peut toujours compter sur les autres pour des conseils ou une aide financière", affirme Titi Ngoie, commerçante de poissons au marché de Matete.
La solidarité va au-delà des simples gestes : elle se traduit aussi par la formation et le partage de techniques commerciales. "Quand je débute avec un nouveau produit, j'apprends souvent des plus expérimentées", confie Aminata Ogenago, qui vend également des tissus et des vêtements au marché de Matete. "Parfois, elles me conseillent sur la manière de négocier avec les clients ou de stocker mes produits pour éviter qu’ils ne se gâtent."
Au-delà de la simple vente de biens, les femmes commerçantes de Kinshasa ont su s’adapter et faire preuve d’innovation. Certaines d’entre elles ont lancé des pratiques de paiement par mobile money, une option qui facilite les transactions. D’autres, comme Rosalie Kasato, spécialisée dans la vente de riz, proposent des ventes à crédit. " Les clients n'ont pas toujours l'argent liquide, donc je leur permets de payer plus tard", explique-t-elle. "C’est une stratégie risquée, mais cela me permet de fidéliser ma clientèle."
Cependant, ces pratiques commerciales ne sont pas sans risques. La fluctuation des prix, les imprévus économiques et les tensions sociales peuvent rapidement bouleverser les équilibres. "Parfois, on fait face à des pénuries, ou les prix des produits augmentent de façon imprévisible. Cela nous oblige à changer de stratégie du jour au lendemain", confie Sophie Mwepu, une autre commerçante de légumes.
L'impact des politiques économiques
Les politiques économiques du gouvernement congolais ont un impact direct sur le quotidien de ces femmes. Les taxes imposées par les autorités locales, souvent considérées comme trop lourdes, sont l’un des principaux fardeaux. "On nous demande de payer des taxes, mais les services publics sont inexistants. Où va cet argent ?" s’indigne Dorcas Kamba.
Les réformes économiques récentes, bien que favorisant la croissance de certains secteurs, n’ont pas eu un impact significatif sur l'économie informelle dans laquelle ces femmes évoluent. Pour elles, le soutien reste insuffisant. "Les politiques économiques ne tiennent pas toujours compte de notre réalité. Les crédits et les subventions sont difficiles d’accès pour nous. C’est pourquoi nous devons compter sur nous-mêmes", renchérit-elle.
Malgré ces obstacles, l’esprit d’entreprise des femmes commerçantes de Kinshasa ne faiblit pas. Beaucoup d’entre elles rêvent de faire grandir leurs affaires et de sortir de l’informel pour intégrer le marché formel. Mais pour cela, elles réclament plus de soutien. "Si on nous donnait des crédits à taux réduit, de la formation, ou même une aide pour accéder à des infrastructures de stockage modernes, on pourrait faire encore mieux", souligne Rosalie Kasato.
Les témoignages de ces femmes prouvent qu’elles sont les actrices principales de la vie économique à Kinshasa, et leur parcours mérite plus qu’une simple reconnaissance : il exige un soutien concret pour assurer leur développement et leur permettre de prospérer dans un environnement économique plus juste.
Nancy Clémence Tshimueneka