"Nous dormons sous les tirs et nous nous réveillons sous la même mélodie": des déplacées de l’Est racontent leur quotidien

Photo/ Droits tiers
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Dans un contexte où la guerre et les violences continuent de déstabiliser l’Est de la République Démocratique du Congo, plusieurs milliers de personnes ont été contraintes de fuir leur foyer, et même les camps de réfugiés, laissant derrière elles des vies brisées et des villages dévastés. Le Desk Femme d'Actualité.cd a rencontré ce mercredi 29 janvier 2025 quelques déplacées. Elles partagent leur quotidien difficile, entre espoir et incertitude.
Milène Mwika, mère de trois enfants, a fui le camp de Lushagala. Elle raconte : "j'ai perdu mon mari dans les combats. Depuis, je n'ai plus de maison, plus de terres. Nous étions réfugiés à Lushagala, mais avec la résurgence des combats, nous avons été obligés de fuir. Actuellement, nous marchons sans même savoir où nous allons, errant toute la journée sans issue. Je pleure pour mes enfants, pour leur avenir. Je ne sais pas ce que l'avenir nous réserve, mais je fais de mon mieux pour les protéger. Que Dieu nous vienne en aide", confie-t-elle.
Les conditions de vie dans les camps sont particulièrement difficiles : manque d'infrastructures, de nourriture, et d'accès aux soins de santé. "Nous dormions sur des matelas usés, les enfants tombaient souvent malades, et nous avions du mal à trouver suffisamment de nourriture. Actuellement, c’est encore pire et désastreux. Je n’ai plus la force , mais qui prendra soin de mes enfants ?", ajoute Milène, visiblement épuisée par les conditions de vie.

Les déplacés font face à une situation économique particulièrement fragile. Les villages dévastés sont presque entièrement désertés, les routes coupées, et l'accès à l'emploi reste quasi inexistant pour ceux qui fuient les zones de conflit. 

"Avant la guerre, j'avais un petit commerce. Je vivais tranquillement avec ma famille. La guerre m'a tout pris : mon mari, mes deux grands garçons enrôlés de force par les rebelles, ma maison et tous mes biens. Aujourd'hui, je me retrouve dans une maison d’accueil avec mes plus petits, confrontée à toute sorte de précarité. Mon cœur se déchire chaque fois que les souvenirs me reviennent. Je me dis que j'aurais préféré ne jamais naître, car je ne connaîtrai jamais plus un chez-moi, aux côtés de mon homme et de tous mes enfants", confie Sophie Menemene, une autre déplacée.

Un retour incertain

Pour certains déplacés, l'idée de retourner un jour dans leur région d'origine semble une perspective lointaine, voire irréaliste. Les villages sont souvent réduits en ruines, les infrastructures détruites, et l'insécurité demeure omniprésente. 

"La situation dans notre région est toujours incertaine. Nous dormons sous les tirs et nous nous réveillons sous la même mélodie. Comment retourner à la maison ? Comment retrouver la vie paisible d’avant ? Il n’y a plus de maison, ni d’école, ni de services de santé. Comment tenir encore dans cette vie ? Comment faire pour survivre ? À quand la fin de ce cauchemar ? Nous sommes épuisés. Seigneur, aie pitié de nous", soupire Madeleine Bishisha, 45 ans, actuellement à la rue après avoir fui les combats à Saké.

Malgré l'absence de perspectives immédiates, l’espoir reste une force motrice pour ces déplacés. Ils veulent croire que la paix reviendra un jour, même si l'attente semble interminable. 

"Nous prions chaque jour pour que la guerre cesse et que nous puissions retourner chez nous pour reconstruire nos vies. Nous sommes encore jeunes, nous avons besoin de vivre et de réaliser nos rêves. Chaque jour est une lutte pour trouver à boire et à manger. Nous rencontrons des femmes en détresse, elles disent avoir été violées à plusieurs reprises. La rue nous fait peur, mais où pourrions-nous encore aller pour nous cacher ? Même les bébés sont tués et violés tous les jours. Qu’avons-nous fait au monde pour mériter cela ? Quelle est notre faute pour subir tout ceci ? Nous sommes fatigués de voir nos parents souffrir pour nous protéger, épuisés d’errer sans abri, de fuir sans cesse. Nous en avons marre", déclare Marie, 21 ans, l’une des filles de Madeleine.

L’aide humanitaire, insuffisante face à l’urgence

Les organisations humanitaires, présentes dans les camps, apportent une aide indispensable, mais elle reste largement insuffisante pour répondre aux besoins grandissants des déplacés. « Nous faisons tout ce que nous pouvons pour soulager la souffrance, mais les ressources sont limitées, et les besoins continuent de croître. De plus, avec les combats en cours, nous avons du mal à maîtriser le mouvement des déplacés. L'absence de financements stables et les difficultés d'accès aux zones les plus touchées par le conflit aggravent encore la situation », explique un représentant d'une ONG internationale, qui préfère garder l’anonymat.

Dans les camps, la solidarité entre déplacés est primordiale, mais elle ne suffit pas à compenser les carences structurelles auxquelles ils sont confrontés. "On se soutient, on échange des conseils, mais ce n’est pas suffisant pour offrir à nos enfants un avenir. Nous avons besoin d’une véritable aide pour repartir sur de bonnes bases", conclut Ermelys Kianza, 35 ans, qui vit dans un camp pour déplacés.


Nancy Clémence Tshimueneka