États généraux de la justice : l’IGF plaide pour l’adaptation du code pénal aux nouvelles infractions de la criminalité financière et une réforme des immunités

Cérémonie d'ouverture des états généraux de la justice en RDC
Cérémonie d'ouverture des états généraux de la justice en RDC

"État des lieux du phénomène de la corruption et du détournement des deniers publics : Quelle réponse judiciaire ?", tel est le sous-thème abordé par Jules Alingete Key, Inspecteur général et chef de service à l'Inspection générale des finances (IGF), samedi 9 novembre, aux travaux des états généraux de la justice en cours à Kinshasa, capitale de la République Démocratique du Congo.

Après avoir exposé le faible accompagnement de la justice dans la lutte contre la corruption et le détournement de fonds publics, Jules Alingete Key a formulé une série de recommandations en faveur de réformes visant à renforcer cette lutte. En premier lieu, il a appelé à l'adaptation du code pénal congolais aux nouvelles infractions de la criminalité financière.

"L'adaptation du code pénal congolais aux nouvelles infractions de la criminalité financière est essentielle. Il y a un sérieux problème : aujourd'hui, notre code pénal, je ne sais pas de quand date la dernière révision, peut-être de 2004. Je ne suis pas juriste, mais on constate que, dans notre code pénal, il manque des dispositions concernant certaines infractions propres à la criminalité financière moderne. Cela fait que parfois, au niveau du parquet, des faits constituant manifestement des actes de corruption ou de détournement ne sont pas clairement définis par la loi, et on finit par être débouté," a expliqué Jules Alingete Key lors de son intervention au centre financier de Kinshasa.

Dans le même registre, en se basant sur le fonctionnement des institutions congolaises, le numéro un de l'IGF a également souligné la nécessité de réformer la question des immunités, qui, selon lui, rend la justice et les organes de contrôle "impuissants".

"La réforme des questions liées aux immunités est cruciale. Dans d’autres pays, y compris en Afrique, les membres du gouvernement ne sont pas les gestionnaires publics. Ils contrôlent l'administration, tandis que ceux qui dépensent l'argent de l'État sont des administratifs. Ici, c'est l'inverse : 80% de la gestion publique est entre les mains des membres du gouvernement, qui bénéficient d'immunités. Comment peut-on avancer ? Nous avons opté pour un système où les membres du gouvernement gèrent 80 % des ressources, devenant ainsi des cibles de contrôle, mais ces personnes sont immunisées. La justice et les organes de contrôle deviennent de plus en plus impuissants face à cette situation, d'où la nécessité de résoudre ce problème," a plaidé le chef de l'IGF.

Par ailleurs, Jules Alingete Key a souligné l’importance d’une trilogie "volonté politique, organes de contrôle efficaces et accompagnement de la justice" pour atteindre les résultats escomptés dans la lutte contre la corruption et le détournement de fonds.

"Tout commence par une volonté politique. S’il n’y a pas de volonté politique, il n’y a pas de lutte contre la corruption. Le deuxième élément, ce sont des organes de contrôle efficaces. La volonté politique seule ne suffit pas ; sans organes de contrôle efficaces, on n’avance pas. Le troisième élément, qui est le pilier de cette lutte, c’est la justice. Si la justice n’est pas capable de réprimer sévèrement les actes de corruption, les avancées resteront timides. Partout dans le monde, la lutte contre la corruption est portée par la justice. Les organes de contrôle préparent les dossiers pour la justice, et c'est la justice qui agit," a-t-il affirmé.

Face au faible soutien de la justice dans son format actuel, Jules Alingete Key a réitéré sa demande de création d'un parquet financier pour mieux lutter contre la corruption et le détournement des deniers publics.

"Nous avons estimé qu'il est nécessaire de créer un parquet financier. Pourquoi ? Parce que, dans la plupart des dossiers, nous avons constaté que le ministère public rencontrait des difficultés pour comprendre notre travail. Nous avons affaire à des magistrats qui, de par leur formation, peuvent être réticents face aux chiffres. Il nous arrive de passer un ou deux mois à expliquer un dossier au ministère public pour qu'il puisse le défendre et amener les responsables devant le juge. Voilà pourquoi nous plaidons pour la création d’un parquet financier, comme cela se fait ailleurs, avec des magistrats spécialisés formés dans les infractions financières," a précisé le patron de l'IGF.

Lancés par le président Félix Tshisekedi, les travaux des états généraux de la justice se poursuivent sous le thème : "Pourquoi la justice congolaise est-elle qualifiée de malade ? Quelle thérapie face à cette maladie ?". Ces travaux, qui se termineront le mercredi 13 novembre 2024, visent à faire un diagnostic de la situation de la justice congolaise et à proposer des solutions et des réformes pour redresser ce secteur. De nombreux participants venus de divers horizons prennent part à ces assises.

Ces travaux interviennent neuf ans après les états généraux de 2015, organisés sous le président Joseph Kabila Kabange par le ministre de la Justice et des Droits humains, Alexis Thambwe Mwamba.

Clément MUAMBA