Avec l'éventualité d'un retour de Donald Trump à la Maison Blanche, de nombreux experts s'interrogent sur les conséquences possibles pour la politique étrangère des États-Unis, notamment en Afrique. Quelles répercussions pour la RDC ? Entre risques de réduction de l’aide américaine, impact sur les ressources naturelles, et enjeux de diplomatie économique, ACTUALITE.CD a rencontré le Professeur Martin Ziakwau, spécialiste des relations internationales. Dans cet entretien, il éclaire les défis et les opportunités qui pourraient se profiler pour Kinshasa sous une nouvelle administration Trump.
ACTUALITE.CD : Quel serait l'impact de l'élection de Donald Trump sur la RD Congo ?
Professeur Martin ZIAKWAU :
L'approche isolationniste de Donald Trump pourrait entraîner un recalibrage de la politique extérieure américaine notamment en Afrique, influençant ainsi la coopération et les investissements. Une possible réduction de l'aide américaine pourrait impacter les projets de développement en RD Congo financés par l'administration américaine. Il va sans dire qu'il est essentiel pour cette dernière d'anticiper sur les changements dans la politique américaine pour en minimiser les impacts négatifs.
ACTUALITE.CD: Donald Trump pourrait-il insuffler une nouvelle dynamique dans la résolution de la crise sécuritaire dans l'Est du pays?
MZ : Il avait promis de revoir la loi Dodd-Frank, votée en 2010 sous le Président Barack Obama. L'un des aspects fondamentaux de cette loi consiste en l'obligation faite aux sociétés américaines à veiller à ne pas financer la reproduction des violences dans l'Est du pays, en s'assurant qu'elles ne tirent pas profit de l'exploitation et du commerce illicite des ressources naturelles provenant de cette partie du territoire congolais en proie à des cycles récurrents des conflits armés.
Dans ce cadre, l'initiative du Gouvernement congolais visant à poursuivre la firme américaine Apple est particulièrement significative.
ACTUALITE.CD : Ceci serait-il plutôt avantageux pour la RDC ?
MZ : Il est essentiel de prendre en compte le rapport de force des parties en présence. Plutôt que d'opter pour une mise en demeure à l'encontre d'Apple, une figure emblématique de la puissance économique américaine, la RDC aurait tout intérêt à privilégier une résolution diplomatique de ce contentieux pour se mettre à l'abri d'éventituels effets boomerangs.
En effet, le futur Présidentdes Etats-Unis d'Amérique a promis de restaurer le blason de son pays, notamment en soutenant ses opérateurs économiques. Dans ce contexte, il est crucial de reconnaître l'influence du secteur privé dans le processus décisionnel de politique extérieure américaine. Ainsi, Kinshasa aurait plus à gagner en envisageant une rupture avec la logique de confrontation, en faveur d'une démarche d'attraction. Cela impliquerait aussi, à l'interne, la mise en oeuvre et/ou la poursuite des réformes structurelles pour améliorer l'environnement des affaires au pays. Cette dynamique permettrait d'apaiser les tensions avec des investisseurs étrangers à attirer, et de renforcer la position de la RDC sur la scène régionale.
ACTUALITE.CD: Sur la situation sécuritaire, Donald Trump pourrait-il pencher pour la RDC contre le Rwanda?
MZ : Dans le contexte actuel, la question de sa position vis-à-vis de la RDC par rapport au Rwanda est pertinente. Ceci astreint à rappeler que la RDC a pointé du doigt Apple, l'accusant "d'utiliser dans ses produits des minerais stratégiques achetés au Rwanda ".
Cette situation soulève plusieurs interrogations. Tout d'abord, sur le soutien réel ou supposé d'Apple à Kigali. Ensuite, les ambitions de la RDC ainsi que ses stratégies pour capter l'attention et gagner des appuis des milieux influents américains en vue d'un changement de cap des USA sous Donald Trump dans la gestion de la crise de l'Est relevant d'une complexité souvent peu prise en charge.
ACTUALITE.CD : Kinshasa abritera l'an prochain le Forum AGOA. N'est-ce pas un indicateur de l'affermissement des relations américano-congolaises ?
MZ : Bien qu'il soit tentant de considérer l'organisation du Forum AGOA à Kinshasa comme un signe de renforcement des relations américano-congolaises, il convient de relativiser la portée de cet événement. Ce forum se déroulera dans un nouveau contexte de gouvernance aux États-Unis, dont le nouveau président a clairement promis d'augmenter les droits de douane pour lutter contre l'inflation ; ce qui réduirait les bénéfices liés à l'AGOA, dont l'un des principaux attraits est l'exemption des droits de douane pour les produits en provenance des pays africains.
Pour la RDC, il est donc impératif d'améliorer la qualité de ses offres afin d'optimiser son accès au marché américain. Cela requiert une attention particulière aux exigences spécifiques du marché et aux standards de qualité, qui sont de plus en plus élevés.
Le défi est d'autant plus complexe que, selon les chiffres officiels, les importations de biens en provenance de la RDC vers les États-Unis ont atteint environ 183 millions de dollars en 2022, marquant une baisse significative de 31,8 % par rapport à 2021. De même, le déficit commercial des États-Unis avec la RDC, s'élevant à 34 millions de dollars en 2022, représente une diminution de 39,5 % par rapport à l'année précédente.
Ainsi, même si le Forum AGOA pourrait servir de plateforme pour des discussions constructives, la RDC devrait aborder cette opportunité avec prudence et pragmatisme. Renforcer les partenariats, diversifier les produits exportés et répondre aux normes internationales seront des étapes cruciales pour revitaliser ses échanges commerciaux avec les États-Unis et tirer pleinement parti des avantages offerts par l'AGOA.
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