En République Démocratique du Congo, les droits et l'accès à la santé sexuelle et reproductive des jeunes restent préoccupants. D’ailleurs, jusqu’en 2022, un article de l’OMS Afrique indiquait que seulement 17 % des jeunes et adolescents ont accédé aux services de santé dans l’ensemble du pays. Quelles sont les barrières et que faire pour améliorer la qualité de ces services ? Nous avons interrogé Brady Bilala, un juriste et expert consultant dans ce domaine.
Bonjour Me. Brady Bilala et merci de nous accorder de votre temps. Pouvez-vous décrire brièvement l’état actuel des droits et de l’accès à la santé sexuelle et reproductive pour les jeunes à Kinshasa ?
Brady Bilala : Bonjour Actualite.cd et merci. En RDC de manière globale et à Kinshasa de manière particulière, l’accès aux services de santé sexuelle et reproductive des jeunes demeure encore limité, car la sexualité reste un sujet tabou au sein des familles congolaises. La plupart des femmes n’en parlent pas, pensant que discuter de la sexualité encourage les jeunes à s'engager dans des relations sexuelles, oubliant ainsi que les jeunes ont droit à l’information sur leur vie sexuelle. De ce constat, nous pouvons conclure sans contrainte que l’état actuel des droits à l’accès à la SSR au niveau national pour les jeunes est encore alarmant. La majorité des jeunes n’ont pas accès à l’information et aux services de SSR.
Quels principaux obstacles identifiez-vous en matière d'accès des jeunes aux services de santé sexuelle et reproductive (SSR) à Kinshasa ?
Brady Bilala : Il y a un manque d’information et de formation en la matière, ainsi qu’un manque de services SSR adéquats pour les jeunes en raison de l’indisponibilité des produits et services de SSRAJ.
L’éducation sexuelle dans les écoles à Kinshasa est-elle adaptée aux besoins des jeunes ? Si non, quelles améliorations proposeriez-vous ?
Brady Bilala : À Kinshasa, comme dans les autres provinces, l’éducation sexuelle complète (ESC) n’est pas encore adaptée aux besoins des jeunes, car chaque école a son propre programme d’enseignement. Par exemple, les écoles catholiques utilisent un programme différent de celui des écoles de l’État. Dans l’ensemble, l’ESC n’est pas encore adaptée dans les écoles de Kinshasa. Nous proposons qu’il y ait un programme unique qui prenne en compte tous les aspects de l’ESC.
Comment les normes socioculturelles influencent-elles les attitudes et comportements des jeunes en matière de SSR, et comment peut-on les changer ?
Brady Bilala : Nos us et coutumes, ainsi que la religion, ne favorisent pas l’amélioration de l’environnement social en matière de SSR. Selon nos us et coutumes, la sexualité est un sujet tabou qui ne mérite pas d’être abordé avec les jeunes, par crainte de les encourager à la prostitution. Cela constitue des barrières et des blocages à l’accès à une bonne information sur la SSR. Nous pouvons remédier à cela en intensifiant les sessions de sensibilisation communautaire qui impliquent directement nos leaders communautaires (parents, chefs coutumiers, leaders religieux, etc.), ainsi qu’en menant des sessions de formation et d'autres activités.
Sur une échelle de 0 à 10, à quel niveau situez-vous les réponses disponibles aux besoins des jeunes en matière de SSR ? Quelles actions concrètes recommanderiez-vous pour améliorer l'accès aux services SSR pour les jeunes, en particulier les adolescentes ?
Brady Bilala : Je situe le niveau à 3. Il est important de multiplier les sessions de sensibilisation et d’information communautaire sur la SSR en impliquant toutes les parties prenantes (parents, enseignants, leaders religieux, chefs coutumiers, etc.) comme mentionné ci-haut ; de rendre disponibles les produits SSR pour les jeunes dans les établissements de santé du secteur public, privé et confessionnel ; de mener des plaidoyers auprès des autorités compétentes pour améliorer l’offre de services SSR pour les jeunes ; ainsi que de former des prestataires de soins sur l’offre de services SSRAJ.
Un mot aux décideurs politiques pour mieux protéger les droits sexuels et reproductifs des jeunes en RDC ?
Brady Bilala : Que les décideurs politiques s’impliquent davantage pour améliorer le bien-être intégral des jeunes en SSR en mettant en œuvre les engagements et traités internationaux que le pays a signés, tels que le Protocole de Maputo et les Engagements de l’Afrique de l’Ouest et du Centre concernant l’éducation sexuelle complète. Les décideurs politiques doivent également rendre disponibles les méthodes contraceptives pour les jeunes afin de leur permettre un accès facile.
Propos recueillis par Prisca Lokale