Kinshasa : après un mois de prison, Malafi parle de son séjour par un spectacle ce samedi à la Maison culturelle des Mwindeurs

Photo
Niamba Malafi

Artiste et directeur de l’espace culturel des Mwindeurs, Niamba Malafi revient d’un mois à la prison centrale de Makala, avec lui 5 danseurs du groupe Unity danse qui ont purgé la même peine. Invité du Desk culture de ACTUALITE.CD, il s’est confié sur son séjour dans cette maison carcérale et ses activités culturelles après ce passage qui l’a marqué.

Il sort de la prison avec un tas d’histoires à raconter, de questions et de projets. Aller en prison pour une cause culturelle est comme une mort en plein exercice de son travail, d’où l’expression “ Mort en exercice ” qu’il a réadaptée pour son cas. Cette expression fait également objet du titre d’un spectacle que Malafi a pensé et dont l’extrait sera présenté ce samedi 21 septembre à la maison culturelle des Mwindeurs.

Étant artiste, Malafi compte tout retranscrire en spectacle, car il estime que c’est le meilleur endroit où il peut trouver des réponses qui restent pendantes à ses différentes questions, entre autres, sur le côté juridique de la liberté d’expression artistique. Dans cet entretien, il se confie sur son séjour dans cet endroit où les rêves se frottent à l’irrationnel, les plus forts résistent, certains se créent, d’autres s’éclipsent.

ACTUALITE.CD : Quel sentiment as-tu en étant libre après un mois de prison ?

Niamba Malafi : Je pense que c’est un moment de traumatisme, un moment de stress parce que je n’ai pas ressenti la douleur de la prison pendant que j’y étais. C’est en sortant que je sens la pression de la prison et surtout avec les évènements qui viennent de se dérouler juste après notre libération. Certaines personnes qu’on a pu trouver là-bas sont mortes et je me dis que peut-être ça pouvait être moi à la place. Donc en ce moment, je pense que je devais rester calme, un moment de sincérité et mes émotions sont mélangées pour dire que je me réjouis de cette remise en liberté.

Une mise en liberté grâce notamment à la contribution de la communauté culturelle et artistique congolaise. Qu’est-ce que tu as envie de dire à tous ces gens là qui ont fait bloc pour soutenir ta cause ? Est-ce que tu t’attendais à ce que tu sois ainsi soutenu ?

Je ne sais pas si je m’attendais réellement à cette forte mobilisation que les artistes, culturels, voire les activistes ont tenue pendant que les danseurs et moi étions en prison. Je pense que je dois être très reconnaissant envers Dieu, l’éternel qui nous a gardés pendant tous ces moments et qui a donné la force à tous ces gens là pour se mobiliser, créer un bloc et de porter très haut notre voix. Mais je pense que, c’est un grand merci que je dois dire à tout le monde et après, il faut qu’on se questionne réellement aussi pour savoir quelle est notre force. Aujourd’hui on peut prouver qu’on est une force économique, on peut se soutenir mutuellement et cotiser quand il y’a un souci. Est-ce qu’il y a des cadres juridiques qui nous soutiennent ? 

Parce qu’il y a eu le soutien même du Ministère de tutelle qui est chapoté par Madame Yollande Elebe. Je pense que les soutiens sont venus des églises, des artistes, de partout et c’est vraiment un moment incroyable pour un cas d’une personne comme moi, c’est vraiment un grand soutien et je dois être très reconnaissant.

Un mois en prison, que retiens-tu de ton séjour dans cette maison carcérale ? Qu’est-ce que tu as envie de dire maintenant de tes souvenirs de l’un des endroits les plus redoutables de Kinshasa ?

Je pense qu’aller en prison pour des sujets culturels c’est vraiment une « mort en exercice, c’est mourir en pleine fonction » comme on le dit. Tout individu qui a déjà été dans la prison centrale de Makala sait très bien ce que veut dire mort en exercice et quand est-ce qu’on meurt en pleine fonction. Je pense que c’est aussi un endroit où les rêves peuvent être perdus soit on peut reconstruire d’autres rêves. Je suis sorti avec pas mal de projets artistiques parce que c’était aussi un moment de création ou une résidence de recherche pour un artiste. Vous m’avez mis dans des conditions où je suis face à plusieurs histoires, plusieurs effets et en tant qu’artiste, quand tu me donnes des citrons j’en crée directement des limonades et « mort en exercice » c’est peut-être la phrase qui va nous accompagner sur beaucoup de contenu culturel qu’on peut présenter pour mieux parler de la prison et aborder aussi la relation qui devrait exister entre le Ministère de la justice et celui de la culture. 

Peut-on dire que tu sors plus fort que tu étais entré ? 

J’avais 29 ans et 7 mois quand je suis entré, en sortant j’ai 29 ans et 8 mois. C’est-à-dire que j’ai un mois de plus, plus de maturité, plus de conscience, plus de projets. C’est aussi une possibilité de se dire quelles sont mes limites, jusqu’où je peux aller et quel est le combat que je dois arrêter ou continuer. Je pense qu’il y’a beaucoup de leçons à retenir pendant ces moments dans la fosse de Kinshasa.

A ce stade, tu es acquitté par la Cour d’appel de Matete, donc cet emprisonnement ne devait pas avoir lieu. Quelle procédure comptes-tu entamer pour obtenir la réparation ? 

« Mort en exercice », c’est la seule procédure qu’on peut faire. La réparation par rapport à qui ? Qui va réparer quoi ? Est-ce que je crois encore à la justice ou non ? Ce sont des questions et moi je pense que ces réponses en tant qu’artiste, le meilleur endroit endroit pour les trouver c’est sur la scène et on va vraiment décortiquer la mort en exercice pour trouver des réponses à toutes ces questions.

Dans vos activités culturelles, vous aviez prévu un évènement dénommé « Nuit des diseurs » qui devrait avoir lieu début août, ce qui n’a pas été fait notamment suite à ces évènements. Qu’est-ce qui est prévu alors pour la suite ?

Je pense qu’on a encaissé beaucoup de perte par rapport à cette activité dont la communication était déjà faite, les banderoles ont été posées partout dans la ville et les affiches faites. Les préliminaires ont été déjà organisés et la fin de l’activité a été morte en exercice. Donc cette année on devrait peut-être repenser à se reposer, continuer la programmation culturelle de la maison culturelle des Mwindeurs et voir comment on peut refaire les temps fort de notre programmation pour l’année prochaine avec l’accord de nos partenaires qui nous accompagnent dans nos évènements et ce n’est pas maintenant qu’on va se prononcer sur quoi faire. Ce qui est sûr ce qu’on a encaissé des pertes énormes. 

Vous parlez de l’espace culturel des Mwindeurs qui va fêter son anniversaire le 19 septembre, une célébration est prévue ici le samedi 21 septembre. Il est prévu une table ronde notamment sur la liberté d’expression artistique, vous voulez examiner le côté juridique entre autres. Vous pensez que la connaissance des droits fondamentaux s’impose aux acteurs culturels dans l’exercice de leur métier en RDC ? 

Oui, non seulement aux acteurs du secteur culturel mais ça s’impose sur tout le monde pare ce que nul n’est censé ignorer la loi et quand on veut que la loi soit bien dite il faudrait qu’on soit en mesure de connaître premièrement nos devoirs et nos droits par ce que même quand on était en prison je disais à tout le monde que nous ne sommes pas là pour aller pleurer qu’on nous libère ou qu’on quémande la liberté. On devait obliger la liberté, la liberté ne se négocie pas comme si on était entrain de demander quelque chose. Ce sont nos droits qu’on défend, quand on a tort on consomme l’infraction et quand on a raison on doit être acquitté. Et pour savoir lorsqu’on a tort ou raison il faut être conscient de ses devoirs et droits. 

Donc entant qu’artiste je pense qu’on doit connaître nos devoirs et nos droits et comment les gens qui sont dans la société les connaissent et des procès comme celui que nous venons de subir qui nous a emmené un mois dans la prison centrale de makala n’auront plus lieu. C’est pourquoi je pense entant qu’artiste que c’est l’une de réparations aussi de la république vis-à-vis de nous parce qu’on n’avait pas un plaignant.  On dira que c’est la république qui nous a mis en prison par le procureur Jonas KISUBI, du parquet de N’djiliqui avait entamé son procès avec les danseurs dont j’étais allé m’imprégner de la situation. Maintenant je pense qu’il faudrait qu’on se mette autour d’une table pour commencer la réparation. 

Se mettre autour d’une table, c’est soulever et dire nos droits et connaître nos devoir pour savoir comment avancer dans la société comme Mandela l’a fait aussi à son époque, il ne suffit pas de pointer du doigt aux autres, mais il suffit de trouver un moyen pour que la cohésion sociale reste le meilleur vecteur pour notre développement. 

Quel message apportera Malafi particulièrement à cette table ronde ? 

Venez. Nous allons aborder notamment notre expérience à la prison : ce qu’on a vu, ce qu’on a aimé, ce qui nous a affaibli, ce qui nous a rendu fort… Et c’est aussi une manière de donner un coup de pouce et beaucoup de courage à tous ces jeunes gens qui nous prennent comme modèles qu’il ne faut jamais abandonner. Beaucoup à ce niveau vont chercher à aller en exil ou s’expatrier, mais nous on est encore là, le secteur a besoin des têtes qui réfléchissent. On se propose comme une force concrète pour le développement du secteur culturel. Venez, on va discuter de tout et de rien. 

Une performance peut être envisagée ?

Oui, la performance « mort en exercice ». Je pense qu’on va peut-être dévoiler l’extrait de ce contenu culturel, qui raconte et qui retrace ce traumatisme qu’on a subi dans la prison. C’est aussi une manière pour nous de sensibiliser les artistes, les juridiques et la population en générale sur la loi ou les lois de deuxième génération. Donc c’est vraiment une performance artistique en lien avec le côté juridique et le côté communautaire.

On vous surnomme « le Mandela de la culture » maintenant. Tu penses avoir souffert pour une cause noble pourvu que d’autres artistes ne tombent plus dans ce grand piège ? 

Tu as vu comment les gens étaient mobilisés, je ne pense pas que si j’avais violé une fille les gens devraient me suivre comme ça. Ou si j’avais volé, commis un homicide ou si j’étais un détourneur des fonds publics on n’allait pas me soutenir comme ça. Je pense que si les choses ne changent pas des gens comme moi ou certaines personnes vont encore rentrer en prison pour les mêmes faits et les mêmes causes. Donc c’est nécessaire pour d’autres jeunes de se lever, de comprendre que si on veut notre changement il faudrait que cela passe par nous-même. Nos aînés ont fait ce qu’ils pouvaient faires mais ce n’est pas parce que la route a été faite qu’on ne peut pas avoir d’autres virages. 

A présent vous reprenez votre travail culturel que vous faites depuis plus de 15 ans maintenant, quel est le premier projet dans lequel vous allez vous lancer après la prison ? 

Est-ce que j’avais arrêté mon travail culturel quand j’étais en prison ? Parce que tout ce que je faisais en prison c’était écrire des projets culturels et peut-être qu’on va proposer aussi des programmes d’accompagnement pour la réinsertion sociale qui iront avec des instruments du secteur culturel en prison. Pour moi c’était un stage, une résidence de recherche. C’est vrai que j’étais privé de la liberté, mais la prison ne peut pas contenir une tête comme la mienne.

Lire aussi : Malafi après sa libération : « Tout ce que je faisais en prison, c’était d’écrire des projets culturels… pour moi, c’était une résidence de recherche » 

Propos recueillis par Kuzamba Mbuangu