En vue de mieux comprendre les dits et les non-dits du compte rendu de la deuxième réunion ministérielle entre la République démocratique du Congo et la République du Rwanda tenue le 30 juillet dernier dans la capitale de la République d'Angola, Actualité.cd s'est entretenu avec Tini Lembisa, chercheur suivant de très près les dynamiques sécuritaires dans l’Est de la RDC. Il avait, dans une tribune axée sur la "Crise dans l'Est de la RDC : bien voir la trappe tendue par Macron à Tshisekedi", alerté sur le risque de déviation du processus de Luanda au détriment de la RDC.
ACTUALITE.CD: quelle lecture faites-vous des conclusions de la dernière réunion ministérielle du processus de Luanda tenue le 30 juillet dernier ?
Tini Lembisa : Pour bien comprendre les termes du compte rendu de cette réunion, il importe de rappeler que, dans celui de la première réunion ministérielle tenue le 31 mars dernier, il était clairement indiqué les points de divergence entre la République démocratique du Congo et la République du Rwanda précisément au sujet de la cessation des hostilités proposée par la facilitation angolaise.
En effet, pour la partie congolaise, "le désengagement des forces implique le retrait des Forces de défense du Rwanda du territoire de la RDC". Tandis que, pour la partie rwandaise, "la cessation des hostilités implique un cessez-le-feu supervisé entre les FARDC et le M23, accompagné d'un processus de désengagement des Forces". A bien lire le compte rendu de la deuxième réunion ministérielle, notamment les termes des arrangements des parties prenantes, il y a lieu de constater l'alignement sur la position de départ du Rwanda. Ceci est non sans incidences sur le compromis repris sous le terme de "compte rendu" d'autant plus qu'il est signé par les deux Etats antagonistes ainsi que l'Angola, pays leur offrant ses bons offices.
ACTUALITE.CD: A Luanda, les parties ont convenu d'un cessez-le-feu à partir du dimanche 04 août à minuit (heure locale) ...
TL : Ce cessez-le-feu n'est assorti d'aucune clause sur la durée, renouvelable au besoin, pour son évaluation. De fait, il consiste en une reconnaissance du statu quo, c'est-à-dire, au bas mot, de l'admission de la persistance de l'occupation des pans entiers du territoire national par des troupes rwandaises avec entre autres conséquences, la poursuite de l'exploitation et du commerce illicite des ressources naturelles, particulièrement dans le site de Rubaya, sans oublier le coup porté sur l'espoir des populations vivant sous le joug de l'agresseur.
ACTUALITE.CD: Pourtant, ce cessez-le-feu est très salué par des partenaires extérieurs.
LT : Cette posture nous astreint à questionner le rôle des partenaires extérieurs dans les négociations de couloirs à Luanda. A ce stade, le cessez-le-feu dont il s'agit, ne concerne pas explicitement la RDC et le Rwanda. Il y est fait état d'un cessez-le-feu "entre les parties en conflit à l'Est de la RDC". Ceci ne signifie pas forcément cela, et laisse libre court à une extension dans les interprétations fondées sur des perceptions découlant du rapport entre, d'une part, l'esprit ayant prévalu sur le tapis vert à Luanda et, d'autre part, les dispositions expressis verbis du compte rendu dont la portée pourrait être saisie à la lumière de l'objet des négociations.
ACTUALITE.CD: il est un secret de polichinelle que le processus de Luanda vise à rapprocher uniquement Kinshasa et Kigali ...
TL : En effet. La conséquence logique aurait été de circonscrire explicitement l'objet des discussions de la deuxième réunion sur le problème opposant Kinshasa et Kigali plutôt que de l'axer explicitement sur "la situation de sécurité et de paix à l'Est de la République démocratique du Congo". Pour avoir participé à plusieurs réunions sur cette question avec le Rwanda et fort des notions théoriques que j'enseigne à l'université sur la Théorie de négociation, je puis me permettre d'affirmer qu'il est extrêmement utile d'être exagérément méticuleux dans le choix des mots pour limiter au mieux les risques de controverse sur les termes majeurs du compromis. Car, "la situation de sécurité et de paix à l'Est de la République démocratique du Congo" ne traduit pas clairement le problème opposant uniquement Kinshasa et Kigali. C'est, peut-être sans s'en rendre compte, donner libre cours, comme le souhaiterait Kigali, à l'ouverture des brèches difficiles à colmater.
Le Rwanda, au travers de son Ministre des Affaires étrangères, s'inscrit d'ores et déjà dans une certaine interprétation de "parties en conflit à l'Est de la RDC" que le facilitateur ferait oeuvre utile de clarifier sans délai. En effet, ceci pourrait avoir des incidences sur la marge d'actions militaires de la RDC dans la gestion d'autres conflits armés, étant donné le caractère systémique de la conflictualité dans l'Est du pays, notamment en Ituri, au Nord-Kivu et au Sud-Kivu.
ACTUALITE.CD: Dans une tribune publiée sur nos colonnes, vous aviez alerté sur le risque de détournement du processus de Luanda en y intégrant le dossier "FDLR".
LT : Le processus de Luanda ne concerne que la RDC et le Rwanda en référence au M23 exclu du processus de Nairobi puisque considéré comme un groupe essentiellement fantoche. Il va sans dire que, refusant de négocier avec le M23 perçu comme étant dépourvue de toute légitimité pour bénéficier des concessions congolaises, Kinshasa a accepté de discuter directement avec Kigali, le véritable antagoniste.
Par ailleurs, la résolution du problème posé par tous les autres groupes armés, tant locaux qu'étrangers, y compris les FDLR, est clairement définie dans le cadre du processus de Nairobi, à revitaliser. Le Kenya, pays devant assurer la facilitation, peine à convaincre Kinshasa de sa neutralité. L'EAC devrait en désigner un autre pour relancer ce processus en vue de sa coordination effective avec celui de Luanda.
En plaidant pour l'inscription du dossier des FDLR, relevant du processus de Nairobi, dans le processus de Luanda, il y a une nette volonté rwandaise d'enliser ce dernier processus tout en "légitimant" ses interventions militaires, de plus en plus reconnues et assumées par Kigali, dans l'Est du pays. Soutenue par le Président français, la proposition rwandaise, intégrée par la facilitation angolaise, impacterait le processus de Luanda.
ACTUALITE.CD:voulez-vous dire que ce serait, pour Kinshasa, une erreur d'avoir élaboré et présenté à Luanda un Programme de neutralisation des FDLR ?
LT : Lier le règlement du dossier M23 à celui des FDLR, c'est détourner le processus de Luanda de sa trajectoire. Ceci serait non sans conséquences. En effet, il y a deux conceptions des FDLR à bien garder à l'esprit.
Primo. Celle les considérant comme des combattants génocidaires ne représentant plus une véritable menace tactique, trente ans après le génocide de 1994 au Rwanda. Ces combattants ayant vieilli, et plusieurs opérations militaires menées unilatéralement par la RDC et/ou conjointement avec les forces rwandaises ou la Monusco, ayant contribué à réduire significativement leur nombre. Plusieurs centaines des ex-combattants ont été rapatriés au Rwanda. J'en suis un témoin oculaire. Cette conception des FDLR, bien en faveur de Kinshasa, n'est plus la seule qui prévale dans les sillages de la diplomatie sécrète.
Secundo. Il y a la conception considérant les FDLR comme une idéologie "génocidaire" inoculée par les Interahamwe et autres hutu extrémistes à leurs descendants occupant communautairement des espaces entiers, dont certains regorgent des ressources naturelles, dans le Nord-Kivu et le Sud-Kivu. C'est l'assertion développée par Kigali, et qui a prévalu lors de la dernière réunion ministérielle à Luanda.
En outre, dans le choix des mots, il est préférable de viser l'éradication plutôt que la neutralisation des FDLR pour vider le prétexte rwandais. Cette question est d'une complexité telle que je souhaiterai et conseillerai que la diplomatie congolaise opte pour des "actions internationales" sous la coordination notamment de la RDC, dans la mise en oeuvre des mesures militaires et non-militaires contre les FDLR. Ce, en vue d'anticiper sur les résultats en évitant que les responsabilités incombent à la partie congolaise.
Car le désarmement des FDLR, ne relevant pas de la sinécure, ne devrait pas faire le lit d'une énième prétention rwandaise sur la RDC. Je ne sais pas si l'usage des forces armées pourrait suffire pour "neutraliser" les FDLR causant plus de victimes sur le territoire congolais que sur l'espace rwandais. D'autres mesures s'imposent, y compris au-dela de la RDC. Il faudrait à cet effet une approche stratégique pour une prise en charge globale de cette question au travers de ses multiples déclinaisons. Ce, tenant compte de ses réseaux régionaux et internationaux attestant l'importance de s'attaquer en même temps aux sources internes et externes de financement des FDLR, à leurs mécanismes de blanchiment des capitaux ainsi que leurs circuits de ravitaillement en armes et en munitions.
ACTUALITE.CD: que pensez-vous du désengagement des Forces?
LT : Il est non moins frappant et intriguant de constater que, dans le compte rendu de la deuxième réunion ministérielle de Luanda, il n'est fait état ni des Forces de défense du Rwanda ni du M23. Ceci découle de l'élargissement du champ des parties prenantes relevant de la ligne d'échanges proche de la position initiale du Rwanda. Dès lors, parmi les Forces devant se désengager, il y a risque qu'il ne s'agisse pas seulement de l'armée rwandaise mais aussi de celles intervenant en appui à l'armée congolaise. Le tout étant (presque) conditionné à la neutralisation des FDLR.
ACTUALITE.CD:: comment entrevoyez-vous l'avenir ?
LT : Je suis fondé de penser que le Rwanda s'emploie à créer les conditions structurelles d'un retrait, qu'il souhaite unilatéral, de ses troupes du territoire congolais, en anticipant sur les dynamiques à venir notamment à la suite de l'investiture du (de la) prochain.e Président.e des USA en janvier 2025. Ce, sans exclure la possibilité d'une "récidive" liée aux résultats de l'opérationnalisation du Programme de neutralisation des FDLR dont il a pleinement connaissance.
A cet effet, les forces vives de la RDC ont intérêt de se mobiliser de manière coordonnée, tout en évitant des discours de haine et des violences verbales, pour accroître la pression sur le Rwanda et leurs soutiens. Ce, en vue d'obtenir un retrait, sous la pression nationale, des troupes rwandaises du territoire national. A voir les foules ayant inondé le stade des Martyrs à l'occasion des productions musicales, il y a de quoi déplorer que la société congolaise ne s'empresse de faire usage, dans le strict respect des lois et dans un bon encadrement, des moyens de pression populaire pour exprimer son attachement inconditionnel à la défense de la survie et de la dignité de la RDC et de tout son peuple.