Sous le soleil ardent de Kalemie, Neema, une mère courageuse, se fraye un chemin à travers la foule dense du port. Avec un enfant accroché à son dos et un autre qui la suit de près, elle porte ses maigres possessions d’une main déterminée. Kalemie, dans la province du Tanganyika, est son foyer depuis trois ans. Aujourd'hui, elle prend une décision audacieuse : traverser le lac Tanganyika pour commencer une nouvelle vie à Uvira, dans la province du Sud-Kivu.
À l'entrée du port, alors qu'elle vérifie les horaires des bateaux, Neema tombe sur une équipe de vaccinateurs. En mission pour atteindre les zones difficiles d'accès, ces professionnels dévoués l'interpellent. Ils lui expliquent patiemment l'importance de la vaccination, surtout pour les enfants de moins de cinq ans. Neema hésite, mais la détermination et la sincérité dans leurs yeux la convainquent.
Aisha et Rémy, ses deux enfants, n'ont pas été vaccinés depuis un an. "Je ne les ai pas vaccinés parce que j'étais toujours occupée à chercher de la nourriture et à m'occuper de mon commerce," confie Neema, les traits tirés par la fatigue mais les yeux pleins d'espoir. Son emploi du temps chargé l'a empêchée de suivre le calendrier vaccinal de ses enfants.
Les vaccinateurs ne se contentent pas de prodiguer des conseils. Rapidement, ils préparent leurs outils et vaccinent Aisha et Rémy sur place, là, au port. "Ils viennent tous deux d'être vaccinés ici," dit-elle avec un sourire de soulagement. "Ils m'ont conseillé de poursuivre leur programme de vaccination, et je vais le faire."
Ce moment simple mais crucial au port de Kalemie transforme le départ de Neema en une histoire d'espoir et de responsabilité retrouvée. Alors qu'elle se prépare à embarquer sur le gros bateau Amani pour Uvira, le cœur un peu plus léger, elle sait qu'elle a fait un grand pas pour la santé et le bien-être de ses enfants.
Pour relever les défis de la vaccination de routine, les vaccinateurs du Programme Élargi de Vaccination (PEV) ont établi un point de vaccination au port de la Société Nationale des Chemins de fer du Congo (SNCC) à Kalemie. Leur objectif : identifier et vacciner les enfants zéro-dose et ceux dont le calendrier vaccinal est incomplet, notamment ceux qui traversent la frontière.
Grâce à cette stratégie, environ une centaine d'enfants sont vaccinés chaque mercredi, jeudi et vendredi. Les mères commencent à s'habituer à signaler si leurs enfants ont été vaccinés ou non, exhibant fièrement la carte de vaccination de leurs enfants. Cette approche communautaire est cruciale pour améliorer la couverture vaccinale et s'assurer que chaque enfant reçoit les vaccins nécessaires.
Malgré des résultats encourageants, les équipes de vaccination font face à des défis persistants. Beaucoup d'enfants n'ont pas de carnet de vaccination et leurs mères ne se souviennent pas des vaccins déjà administrés. John, un mobilisateur social de l'équipe du PEV installée au port, explique: "De nombreux parents ne savent pas si leurs enfants ont été vaccinés ou non, et n'ont pas de carnet de vaccination. C'est un problème, car nous ne savons pas s'ils ont déjà reçu tous les vaccins. Mes collègues et moi-même procédons à un contrôle physique de ces enfants, en recherchant certains signes et cicatrices, puis nous leur administrons le vaccin si nécessaire."
Au cours de la troisième semaine de juillet, John et ses collègues ont repéré plus de 295 enfants dont le calendrier de vaccination était incomplet, et d'autres dont la dernière vaccination remontait à neuf mois au lieu de quinze.
Renforcer la vaccination, un combat continu .
Les derniers résultats de la couverture vaccinale pour 2023 montrent une baisse nationale de 8 % en RDC, soulignant l'urgence de maintenir et d'intensifier les efforts de vaccination, notamment dans des régions éloignées et difficiles d'accès comme le Tanganyika.
Bordée par le lac Tanganyika, le fleuve Congo et la rivière Lukuga, cette province située à l'est de la RDC est marquée par un relief accidenté et des zones reculées, compliquant l'accès aux services de santé. Néanmoins, le Tanganyika, avec ses 11 zones de santé réparties sur six territoires, a pris les devants en matière de vaccination, atteignant une couverture de 74 %. "Des équipes spéciales ont été mises en place dans chaque zone pour vacciner les enfants zéro-dose et sous-vaccinés, ainsi que les communautés cibles difficiles à atteindre," explique le Dr Pierre Kitenge, médecin chef de zone du programme élargi de vaccination dans le Tanganyika.
Des campagnes de vaccination de masse sont régulièrement organisées pour immuniser un grand nombre d'enfants en peu de temps, soutenues par des initiatives de sensibilisation intensives pour encourager la participation des communautés locales. Les cas de poliomyélite, par exemple, ont diminué de 75 % au Tanganyika entre 2022 et 2023 grâce à ces campagnes, malgré une faible couverture vaccinale et des défis géographiques et comportementaux. Le nombre de cas de poliomyélite est passé de 168 à 46, dont 36 causés par le type 1 et les 5 restants par le type 2. "En analysant les statistiques de ces deux dernières années, on se rend compte que la situation est en train de s'améliorer, mais plusieurs autres efforts sont nécessaires pour intensifier les stratégies de vaccination et lutter contre les maladies dangereuses comme la polio," remarque Dr Jean-Pierre Kitenge Mikenza. Il attribue cette tendance baissière aux campagnes de vaccination organisées l’année dernière et en janvier, mars, juin et juillet de l’année 2024 .
En octobre 2018, la Fondation Bill et Melinda Gates (BMGF) et les provinces du Tanganyika et du Haut-Lomami ont signé des protocoles d'accord pour renforcer et améliorer la vaccination de routine et stopper les épidémies de polio. Le Lualaba a rejoint ces efforts en juin 2021. Les trois provinces partageaient le même profil épidémiologique : un taux de mortalité infantile supérieur à 40 pour 1000, une couverture vaccinale complète inférieure à 50 %, plus de 10 % d'enfants non vaccinés dits "zéro dose" et un risque élevé d'épidémies.
La mise en place du point de vaccination à Kalemie est un exemple de l'innovation et de la détermination nécessaires pour surmonter les défis de la vaccination de routine. Avec le soutien continu de partenaires comme la Fondation Bill et Melinda Gates et l'engagement des communautés locales, il est possible de protéger plus d'enfants contre les maladies évitables par la vaccination et de progresser vers une couverture vaccinale universelle dans la province du Tanganyika.
Par Yves Ndjadi, spécialiste en communication de PATH-RDC détaché auprès du Programme élargi de vaccination