Pendant que les autres pays producteurs de cobalt représentent chacun moins de 10 % de la production mondiale, la République démocratique du Congo détient à elle seule, 70 % de la production, dont 15 à 30 % proviennent de mines dites artisanales et à petite échelle où les mineurs utilisent leurs propres ressources pour extraire les minerais. Un secteur devenu l'eldorado pour les sujets chinois et indo-pakistanais qui achètent ces minerais à bas prix, avec tout ce qui a comme violation des lois et qui ternit l'image de ce secteur artisanal en RDC.
Cette exploitation artisanale permet à des nombreuses entreprises de se ravitailler auprès des creuseurs d'autant plus qu'elle fournit un complément crucial à l’exploitation minière industrielle à grande échelle, qui produit la majeure partie du cobalt dans le monde. Ici, le constat qui est fait est que des "puissantes forces économiques attirent des personnes démunies vers l’exploitation minière dans des régions qui n’offrent pas d’autres moyens de subsistance".
L’exploitation minière artisanale se déroule souvent à proximité des opérations industrielles à grande échelle, car les mineurs sont attirés par les concessions minières des entreprises dont les réserves de cobalt sont prouvées. D'après Jean-Marie Tshizainga Sanama, ancien ministre des mines de la province du Lualaba, "bien que mal organisé, ce secteur offre des opportunités d’emploi à des centaines de milliers de mineurs en RDC et nourrit des millions de personnes si l’on tient compte des familles des mineurs".
En réalité, plusieurs sources contactées affirment que le secteur artisanal génère beaucoup plus d’emplois en RDC que l’exploitation minière à grande échelle, qui fait largement appel à des machines plutôt qu’à des humains. Car dans ce marché florissant, la RDC a une carte importante à jouer avec son économie qui dispose de plus de 60% des réserves mondiales de cobalt.
Mines artisanales, un refuge des sans emplois
L’exploitation minière artisanale a un fort impact sur la réduction de la pauvreté et la croissance des revenus locaux, en particulier en ce qui concerne les emplois moins qualifiés. Outre son importance économique, l'exploitation artisanale est confrontée à un certain nombre des défis en matière de durabilité qui continuent à faire débat dans les médias, même au sein des organisations non gouvernementales. Ces défis comprennent les risques de diligence raisonnable, surtout pour ce qui inclue le travail des enfants et le manque de transparence au sein des chaînes d'approvisionnement locales.
D'autres aspects tels que la rémunération inéquitable des exploitants artisanaux ou les conditions de santé et de sécurité au travail inadéquates représentent des défis tout aussi importants. Ces défis se manifestent sur fond d'un faible niveau de formalisation du secteur artisanal.
Cartographie des sites miniers artisanaux
Pour la seule province du Lualaba où l'on retrouve le cobalt, l'on dénombre d'après les données fournies par les services techniques du Ministère des mines, dont SAEMAPE (Service d’assistance et d’encadrement des mines artisanales et à petite échelle), plus de 100 mines artisanales du cobalt, dont 58 sites sont administrativement viables. Et l'évaluation de ces données indiquent qu'il existe plusieurs coopératives opérant sur des sites miniers artisanaux de cobalt qui présentent un potentiel de développement à long terme. Cependant, d'autres sites d'exploitation minière artisanale et à petite échelle ne permettent pas à ce jour un engagement de ce type, pour diverses raisons. C'est entre autres, l'informalité et l'illégalité dans le secteur artisanal et à petite échelle, qui constituent des obstacles majeurs pour la mise en place de programmes de soutien. Cela implique le risque que les partenaires de la RDC dans ce secteur, ne s'intéressent qu'à un nombre restreint de mines, ne stimulant que peu d'améliorations significatives sur l'ensemble du secteur de l'exploitation minière artisanale.
Dans cette province du Lualaba, environ 200.000 personnes travaillent comme mineurs (creuseurs) informels dans les mines artisanales de cobalt. Donc, dans la chaîne d’approvisionnement, ces dernières sont liées à des risques majeurs en termes des droits de l'homme, selon plusieurs documentations et rapports publiés par des ONG locales, membres de la société civile, consultés par ACTUALITE.CD. La prédominance de l’exploitation minière artisanale génère des défis importants pour la mise en œuvre pratiques d'approvisionnement responsable. Mais bien qu'ils soient illégaux, ces creuseurs travaillent pour enrichir les expatriés.
Secteur minier artisanal, eldorado des expatriés
L’exploitation minière artisanale et industrielle sont intimement liées en République démocratique du Congo. En dehors du nombre considérable de personnes qui affluent vers les sites miniers industriels à grande échelle pour tenter de récupérer de petites quantités du précieux minerai, il est pratiquement impossible de séparer le flux de cobalt issu de ce secteur artisanal. Ce secteur connaît la forte présence des expatriés qui prennent d'assaut les sociétés coopératives appartenant aux congolais. Ces chinois et indo-pakistanais achètent ce produit à vil prix, c'est-à-dire, comme bon leur semble. Cela, malgré des multiples appels à contestation de la part des responsables de ces sociétés coopératives locales.
Ces expatriés font tout sur terrain, pour imposer leur mode d'achat de ce minerai précieux utilisé dans la fabrication des batteries électriques. Une situation que dénoncent les responsables locaux. C'est le cas de John Muteta, gérant et président de la Coopérative minière de l'émergence artisanale du Lualaba (COMEAL), qui exploite la mine artisanale de Lenge, dont le permis d'exploitation appartient à l'entreprise minière COMIDE (Congolaise des Mines et du Développement) .
"Ces expatriés imposent le prix de nos produits comme bon leur semble, ou comme ils le souhaitent. Le prix est imposé, vous n’êtes même pas en mesure de discuter de vos propres marchandises. Nous sommes en tout cas consternés par cette situation. Nos autorités doivent s'y pencher pour des solutions adéquates. En plus de ça, on impose trop de taxes et redevances aussi bien formelles qu’informelles aux coopératives minières et tenanciers de dépôts. Est-ce que vous savez, pour qu'une société coopérative minière arrive à s’acquitter de ses obligations fiscales, elle doit débourser plus de 18000 $ USD pour commencer à travailler sur un site minier, en plus de payer des redevances fondées sur le volume. Maintenant avec tout ce que ces expatriés nous imposent comme prix, comment allons-nous nous développer ? Nous pensons que l'État devrait tout faire pour que nous soyons rétablis valablement dans nos droits", a confié John Muteta.
Ainsi pour harmoniser les régimes fiscaux national et provincial afin d’éviter la double imposition de taxes et de redevances sur l'exploitation artisanale qui ne fait qu'enrichir les expatriés, la société civile recommande à l'État de pouvoir publier un arrêté interministériel fixant des taux des droits et frais en rémunération des services rendus à percevoir par le SAEMAPE en vertu de l’article 542bis du Règlement minier, mais aussi publier un arrêté ministériel fixant les modalités de perception de la taxe de 5 % du revenu annuel de chaque société coopérative minière à titre de contribution aux coûts de réhabilitation des sites miniers, comme le prévoit l’article 417 du Règlement minier afin d'instituer de nouvelles zones d’exploitation artisanale viables et soutenir les sites miniers actuels en s’assurant également de leur viabilité.
"Nous société civile, pensons que pour bien permettre à ces coopératives et mineurs illégaux de bien travailler, l’État congolais doit tout faire pour rendre viables les zones d'exploitation artisanale. Les articles 109, 112 et 113 du code minier doivent aussi être respectés. Un combat que nous continuons à mener même lors de plusieurs ateliers organisés à Kolwezi, où se trouve d'ailleurs la plus grande réserve de ce minerai, des organisations internationales et locales que nous représentons recommandent au gouvernement congolais d'user de son pouvoir pour permettre à ces creuseurs et coopératives de vendre plus facilement leurs produits au prix réel", explique Mike Lameki, coordonnateur de l'ONG Congo Espoir.
Alors pourquoi cette exploitation artisanale demeure jusqu'à ce jour, un eldorado des chinois et indo-pakistanais ? Cette question est loin de trouver de réponse. Mais d'après les explications d'un expert en matière des mines à la Direction de protection de l'environnement minier à Kinshasa, qui a requis l'anonymat, "il n'est pas bon de condamner l'État". Car, dans les différentes initiatives, l'État veut à ce que toutes ces sociétés coopératives profitent des mines congolaises. Toutefois, il n'évite pas la question selon laquelle, le secteur minier artisanal est un eldorado des expatriés.
"En fait, dans l'esprit de l'autorité qui avait instauré tout ce qui a trait à l'artisanat, l'idée était de comment donner la richesse aux congolais. C'est-à-dire, comment les congolais pouvaient se retrouver dans les mines parce que quand on est dans le secteur industriel, il est très difficile pour les petits peuples de se retrouver et accumuler les richesses. C'est comme ça que vous avez vu la loi organiser tout ce qui est artisanal et aider les coopératives à migrer pour devenir des petites mines. Donc, ça devrait être échelonné. Mais cette situation a été vraiment remarquée au moment où la tonne du cobalt est allée jusqu'à 100.000 $ USD vers 2017. Et c’est là où on a vu que les congolais ne se sont pas vraiment retrouvés, parce que inféodés par les expatriés, les chinois sont entrés partout", a-t-il démontré.
Et d'ajouter :
"Les congolais eux-mêmes préfèrent travailler directement avec les petits chinois et indiens que de réfléchir sur comment faire pour garder cette ligne à 100% nationale. Ils ne pensent même pas à ça. On avait à l'époque créer un lien entre la DPEM et le SAEMAPE pour travailler et avancer ensemble. Que la DPEM apporte son expertise dans ce que SAEMAPE n'avait pas, malheureusement ça n'avait pas marché."
Cet expert démontre qu’il est vraiment déplorable surtout que lorsque l'évaluation est faite, l'opinion constate avec regret qu'il n'y a pas d'épanouissement et que tout tourne en rond.
Qui approvisionne les entités de traitement des minerais
En se référant au code et règlement minier, il est clairement dit que ce sont les sociétés coopératives qui doivent approvisionner ces entités en minerais. Celles-ci sont des capitaux qui viennent installer des usines sans avoir un gisement. Elles reçoivent des agréments pour qu'elles arrivent à bien travailler. En recevant ces avis favorables, ces entités vont dresser une liste des sociétés coopératives avec lesquelles, elles ont signé un contrat d'approvisionnement. Malheureusement dans la faisabilité, c'est là où les congolais sont véritablement dupes. Partout où le reporter d’ACTUAITE.CD est passé, aucun congolais n'est permis de vendre directement les produits auprès d'une entité de traitement. Il est obligatoire d'avoir un commissionnaire chinois ou indo-pakistanais, comme qui dirait les congolais sont-ils devenus étrangers dans leur propre pays. Un malaise qui gagne toujours le terrain, et qui pousse à s'interroger "à quand la fin de cette magouille ?"
Création de la Société générale du Cobalt
Après plusieurs recommandations faites par les différents partenaires de la RDC dans le secteur minier, le gouvernement a été obligé de créer en 2019, l'Entreprise Générale du Cobalt (EGC), qui désormais, devrait détenir le monopole d'achat et de vente du cobalt artisanal en développant une chaîne de valeur responsable. Le but était d'améliorer l'exploitation, les conditions de vie des mineurs artisanaux, appelés "creuseurs". Malheureusement depuis, cette entreprise publique est restée largement inactive jusqu’à aujourd’hui, et c'est la RDC qui est actuellement perdante en matière de fiscalité, selon le rapport ITIE, publié il y a peu.
D'après l'esprit de la création, EGC devrait veiller à ce que la production artisanale et à petite échelle de cobalt soit entreprise conformément aux normes définies. L'objectif de ces normes est d’assurer des conditions de travail décentes et de supprimer les principaux risques sociaux, éthiques et environnementaux qui ont historiquement affecté la production artisanale de cobalt.
Les normes d’exploitation dans le secteur artisanal d’EGC ont été établies par le Comité technique d’EGC pour fournir un référentiel afin de définir les standards de la production artisanale que EGC s’engage à respecter par l’achat d’un cobalt responsable. Le comité technique d’EGC a élaboré les normes pour les aligner sur la législation de la RDC en tenant dûment compte des travaux entrepris par d’autres acteurs dans le but de développer des normes de chaîne d’approvisionnement responsable pour la production artisanale de cobalt. Utopie ou réalité, la question reste pendante.
Au regard de tout ceci, l'opinion constate que l’État congolais n’est toujours pas en mesure de résoudre ce problème, d’autant plus que les sociétés coopératives dans leur globalité, ne disposent pas encore de zones d’exploitation artisanale viables. Malgré tous les efforts déployés par ses partenaires dans ce secteur, le gouvernement ne sait pas jouer son rôle de régulateur, car il ne sait pas fixer le prix de son cobalt issu de la production artisanale envahie par les chinois et indo-pakistanais. Et de ce fait, les creuseurs ne peuvent pas vendre leurs produits directement à l’unité de transformation. Ils sont obligés de passer par un commerçant chinois ou indo-pakistanais qui a le pouvoir de faire le lien entre les mineurs artisanaux et l'unité de transformation. Bref, les mines artisanales en RDC, sont un véritable eldorado pour les expatriés qui s'enrichissent au détriment des congolais.
Ben AKILI