Exposition Kolwezi, un jour, un rêve : plongée dans les mines du Lualaba

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Exposition "Kolwezi, un jour, un rêve"

Une des principales fonctions de l’art est de permettre une approche sensible des réalités qui nous entourent, une autre façon de soupeser les faits voire l’actualité vers un univers imaginaire qui peut avoir des conséquences sur les actions concrètes. Toucher les hommes, aussi bien ceux représentés dans les toiles que ceux qui visitent les œuvres, l’exposition “Kolwezi, un jour, un rêve” traite d’un sujet qui ne laisse pas insensible.

Jusqu’au 9 mai, la troisième salle d’exposition de l’académie des beaux-arts se transforme en une zone minière de la province du Lualaba, notamment dans la ville de Kolwezi. Chef-lieu de cette province précitée, la ville est située sur la route nationale 39 à plus de 2000 km au sud-est de Kinshasa et à l'Ouest de la ville de Likasi. Le nom de la ville de Kolwezi rime avec les mines, comptant un important centre minier de cuivre, cobalt et zinc. Suffisant pour captiver les attentions.

Entre la rigueur et l'imagination, le passé et le présent, 3 artistes peintres ont utilisé la fonction politique de l’art pour évoquer un sujet tranchant dans la gestion des richesses congolaises actuellement. Catheris Mondombo, Idris Kitota et Gloire Isuba ramènent vers un univers qui interpelle et qui doit interpeller. Enfants mineurs ou exploitation artisanale, mauvaise condition de travail, tout est passé par les pinceaux de ces jeunes. Ils invitent, à travers leurs productions artistiques, à contempler la valeur de l’humain perverti par les autres humains.

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Mine, la richesse nationale 

Dès le premier pas dans la salle d’exposition, une mine d’argile reçoit les visiteurs, elle attire par son volume et sa couleur. Haut d’environ un mètre, elle fait entrer dans l’exposition qui s’étend sur des représentations plus complexes, avec des messages directs. Au-dessus de cette mine, des bêches avec yeux, perchées sur le haut. Quoi de plus normal que d’illustrer le lieu et l’instrument artisanale utilisé dans ces lieux de richesse et de tristesse pour les uns et les autres.

Dans l’œuvre de Catheris Mondombo, on est pas dans devant un style narratif mais l’artiste nous pose devant des situations. Artiste attaché au social et à l’économie des kinois, il travaille sur le support avec une technique mixte sur bâche plastifiée usagée. Ces supports fripés, exténués, détournés de leur usage d’affiche publicitaire, semblent évoquer l’histoire d’un quotidien tourmenté, non pas à Kinshasa, mais à Kolwezi, cette fois-ci.

Avec des titres tels que “Exploitation”, “Retour”, “Clef du futur”, “Ceci n’est pas une voiture rouge”, et la technique d’acrylique sur bâche usée pour la plupart des tableaux de Catheris, le génie se dégage dans la mélancolie. Près de 10 toiles qui forcent une discussion avec soi-même autour d’une réalité qui touche une partie du pays mais avec des répercussions évidentes sur la vie collective. En gros, l’artiste représente des travailleurs des mines ayant perdu tout espoir et qui n’en bénéficient pas.

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En attendant la revanche du sol sur le sous-sol - prôné par le gouvernement congolais comme moyen de sortir de la pauvreté en RDC- de nombreuses personnes se retrouvent dans les mines par nécessité ou contraintes plus fortes que leurs ambitions d’évoluer dans un autre domaine. Le pays possède 80 millions de terres arables mais l’agriculture n’est pas encore la priorité des priorités. Le Conseil Consultatif Présidentiel pour le Pacte National de l’Agriculture et de l’Alimentation n’existe que depuis une année, les résultats étant toujours en cours de téléchargement.

Même côté minier, la RDC a un potentiel riche et varié, encore mal connu et par conséquent inexploité. Rien que la province du grand Katanga regorge d'importants gisements de cuivre à haute teneur et des minerais associés tels que le cobalt, le zinc, le plomb. Parmi les minerais exploités, il y a l'argent, le cadmium, le rhénium, la platine, le manganèse, l'étain, le charbon, l'uranium. Ces ressources sont concentrées dans le District du Haut-Katanga ainsi que dans les Villes de Kolwezi et de Likasi. Les gisements de pegmatites sont également exploités à Manono dans le district de Tanganyika.

La RDC reste l'un des plus grands producteurs mondiaux de cobalt malgré un manque chronique de contrôle sur le secteur minier et le quasi-effondrement de la Gécamines. Selon un document du FAO, la ceinture de cuivre centrafricaine, située le long des frontières entre la RDC et la Zambie et entre la RDC et l'Angola au sud du Katanga, contient plus d'un tiers des réserves mondiales de cobalt (34%), ainsi que des quantités significatives de cuivre (10%), de nickel, d'uranium, d'argent et de plomb.

Exploitation artisanale 

Sur un mode empreint de mélancolie, Gloire Isuba montre des enfants aux visages ternes perdus dans les mines. On assiste, explique-t-on, à leurs jeux tristes dans ce décor qui leur est une prison à ciel ouvert. Portée certes par une intention poétique, les toiles de l'artiste ne sont ni amusement ni divertissement, elles interpellent.

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“Des personnages peints assez négligemment, des enfants portant d’immenses bottes. À croire qu’elles auraient été empruntées aux enfants soldats entrés avec Kabila-père au milieu des années 90 par l’est de la RDC. Cette scénographie superpose deux couches de misère, le monde minier dans sa vaste immobilité horizontale et l’humanité déchue”, souligne Patrick Tankama Critique d’art.

Gloire peint des enfants détournés de leurs milieux naturels, obligés de travailler dans les mines et de manière artisanale, une situation qui sévit dans cette ville de Kolwezi si riche et si pauvre. Pourtant, l’article 32 de la convention internationale des droits de l’enfant indique que “les États parties reconnaissent le droit de l’enfant d’être protégé contre l’exploitation économique et de n’être astreint à aucun travail comportant des risques ou susceptible de  compromettre son éducation ou de nuire à sa santé ou à son développement physique, mental, spirituel, moral ou social”.

Peu d'enfants creusent. La plupart font les nettoyages des minerais et d'autres transportent vers les camions, témoigne un habitant de Kolwezi à ACTUALITÉ.CD. 

« La présence des enfants dans les mines avec de grosses bottes illustre premièrement l’exploitation de ces derniers dans ce milieu, avec des moyens que je pense destructeurs de leur avenir et devenir », ajoute Gloire Isuba. 

Selon les dispositions du Code Minier, Loi n° 007/2002 du 11 juillet 2002 en son article 109, une exploitation est réputée artisanale lorsque les facteurs techniques et économiques qui caractérisent certains gîtes d’or, de diamant ou toute autre substance minérale ne permettent pas d'en assurer une exploitation industrielle, mais permettent une exploitation artisanale ; de tels gîtes sont érigés dans les limites d'une aire géographique déterminée, en zone d'exploitation artisanale.

Le secteur artisanal est caractérisé par un faible niveau de mécanisation (technique de ramassage et grattage dommageable pour l'exploitation industrielle) ; peu ou pas d'application des normes de santé et de sécurité ; faible productivité parce que l'extraction nécessite beaucoup de mains d'œuvre ; et de fortes présences d'enfants et des femmes surtout dans les carrières d'extraction et autour des puits pour ce qui concerne les enfants.

La ruée vers le cobalt 

Sur des tableaux en noir-obscur peints en fusain blanc et huile sur toile, Idris Kitota interroge entre autres les connaissances des congolais sur leurs propres minerais. Il s’imagine après une probable révolution qui ferait que ses compatriotes se mettent en ordre de bataille pour revendiquer leurs droits. Il se questionne sur le discours qui tiendrait au moment de parler des minerais dits critiques notamment. Ce qui reste un constat, plusieurs congolais entendent parler de la richesse du sous-sol de leur pays, sans savoir exactement l’utilité de certaines matières premières.

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Ce jeune artiste travaille sur une imitation de l’effet que produit la lumière en éclairant les surfaces qu’elle frappe et en laissant dans l’ombre celles qu’elle ne frappe pas. Son art dans cette exposition, permet d’entrer en communion d’esprit avec d’autres individus, d’avoir l’impression de partager des moments, des sentiments et des émotions avec eux, d’être empathique vis-à-vis de ce qu’ils ressentent.

Dans toile qu’il a intitulée “Que sais-tu”, des points bleus cohabitent avec du fond noir. Plus attentivement, on remarque des mains qui les tiennent. Une image de la richesse que le Congo détient en ce qui concerne ce minerai du moment. 

Premier pays producteur du cobalt au monde, deuxième pour le cuivre, la RDC détient un sous-sol tellement riche et stratégiquement nécessaire dans la cadre de la transition énergétique dans laquelle se dirige le monde, notamment suite au changement climatique. Quoi qu’au centre des enjeux, la RDC ne dispose pourtant pas d’une politique, d’un agenda, d’une stratégie pour que ces minerais profitent à la population congolaise.

Avec l’appétit croissant de l’industrie automobile, la demande globale du cobalt pourrait doubler d’ici 2030. La RDC détient 60% des réserves mondiales connues du cobalt. Le pays a produit 115 371 tonnes de cobalt en 2022, représentant 68% de la production globale. Paradoxalement, la RDC demeure l’un des pays les plus pauvres du monde selon la Banque mondiale. Plus de 72% de la population de la RDC vit avec moins de 1,9 dollar par jour.

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Kuzamba Mbuangu