Le contrôle et le trafic illicite des minerais demeurent des problèmes persistants au Nord-Kivu, une région sujette aux conflits armés impliquant les groupes locaux et le M23 soutenu par le Rwanda. Rubaya est particulièrement concerné. Malgré la suspension du processus de traçabilité en raison des activités des groupes armés sur ce site, la production de minerais se poursuit. Normalement, cette situation rend tous les minéraux extraits dans la région inéligibles pour le marché international. Cependant, plusieurs sources citées par le groupe d’experts des Nations unies ont indiqué que les minerais étaient acheminés en contrebande vers le Rwanda et la province du Sud-Kivu, où ils étaient étiquetés et blanchis dans divers sites miniers.
« La production des sites de la concession PE4731 a été soit introduite clandestinement au Rwanda soit blanchie dans la chaîne d’approvisionnement officielle en utilisant les étiquettes de l’Initiative de la chaîne d’approvisionnement en étain de l’Association internationale de l’étain pour les minerais produits dans le site PE76, où les activités minières étaient encore autorisées », expliquent les experts onusiens dans leur rapport de décembre 2023.
Opération complexe
Pour comprendre le fonctionnement de ce mécanisme, les experts onusiens expliquaient en 2021 comment la contrebande transfrontalière de tantale et d’étain non étiquetés vers le Rwanda se déroulait. Trois propriétaires de dépôts improvisés dans la périphérie de Goma, Minova et Kalungu, avaient informé le Groupe d’experts que leurs principaux acheteurs de coltan et de cassitérite étaient des négociants établis à Goma qui vendaient ces minerais au Rwanda. Deux représentants d'autorités minières du Nord-Kivu et un officier de justice ont indiqué que les contrebandiers utilisaient de faux compartiments dans des camions parfois interceptés à la frontière de Goma-Rubavu. Le cas en mars 2021 d’un camion transportant 24 sacs de coltan en est une illustration, expliquent les experts onusiens. Le lac Kivu continuait aussi d’être utilisé comme voie de contrebande vers le Rwanda, comme l’avaient décrit trois contrebandiers qui faisaient passer illégalement de l’étain, du tantale et du tungstène depuis le territoire de Kalehe vers le Rwanda.
Situation actuelle
Le 10 février 2023, la Société minière de Bisunzu (SMB), qui détenait les droits sur les principaux sites de production autour de Rubaya, a suspendu ses activités et quitté le site avec l’ensemble de son personnel. Les mineurs, qui étaient pour la plupart membres de la Coopérative des exploitants artisanaux miniers de Masisi (COPERAMA), ont néanmoins continué de travailler, y compris sur les sites de l’entreprise. Le 26 février 2023, le M23 a occupé Rubaya, mais a été chassé quelques jours plus tard par des groupes armés locaux. C’est dans ce contexte, que le 28 février 2023, à la suite de la découverte d’une cache d’armes sur sa propriété à Masisi, le directeur de la SMB, Edouard Mwangachuchu a été arrêté puis inculpé de crimes graves, notamment de trahison et d’association de malfaiteurs.
Par la suite, le 15 mars 2023, les activités et les exportations de la SMB ont été suspendues par la Ministre des Mines. Ces derniers temps, le Groupe d’experts a reçu des informations selon lesquelles le processus de traçabilité a bel et bien été suspendu, bien que la production se poursuive à Rubaya. Cependant, cela n’a pas empêché le trafic illicite des minerais vers le Rwanda. Selon ces experts onusiens, les transporteurs de produits miniers travaillant à Rubaya ont rapporté que la route de la contrebande de minerais au Sud-Kivu, de plus en plus utilisée depuis l’occupation de Mushaki par le M23, a été progressivement abandonnée au profit de comptoirs basés à Goma, qui est redevenu un point de transit pour la contrebande vers le Rwanda. Il reste également à clarifier le rôle que jouent les groupes armés locaux présents à Rubaya.