La taille moyenne d’une exploitation agricole par ménage diminue dans les zones rurales de la RDC et du Burundi suite à la pression démographique. Elle est suivie de la perte de fertilité à cause de la surexploitation. Conséquence : la population s’accapare des nouveaux espaces forestiers, y compris dans les parcs et aires protégées, à la recherche des nouveaux champs vastes et fertiles. Ce qui, en RDC, entraine la déforestation, la prédation de la biodiversité, notamment la faune et la flore, ou au Burundi, affecte les rivières. Mais ces migrations vers les forêts vierges à la recherche de nouveaux champs fertiles ne constituent pas une panacée, comme l’explique ce grand reportage collaboratif réalisé au Burundi par Arthur Bizimana et en RDC par Hervé Mukulu avec le soutien du Rainforest Journalism Fund en partenariat avec Pulitzer Center.
Herbes sous le feu, des arbres coupés inclinés sur les vieux troncs d’arbres dans la réserve naturelle de Monge,… C’est le paysage qu’offrent les alentours de la colline Kayombe en zone et commune Bugarama de la Province Rumonge au sud-ouest du Burundi. La forêt cède progressivement la place aux champs agricoles de pomme de terre et de choux.
Les agriculteurs cultivent jusqu’au-delà de la rivière Mahuba qui délimite la réserve naturelle de Monge avec les exploitations agricoles des particuliers en détruisant toute végétation au passage.
A la création de la réserve naturelle de Monge en 1989, sa superficie s’élevait à 5000 hectares et abritait 47 ménages autochtones, indique Niyongabo Cyprien, responsable de la réserve naturelle de Monge.
Cependant, sa superficie a diminué sensiblement au fil des années. Elle s’élève à 3200 hectares à l’heure actuelle. Plus de 30 ans après sa création, environ 2000 hectares sur 5000 hectares de la réserve naturelle de Monge sont déjà partis en fumée, regrette Niyongabo Cyprien.
Aujourd’hui, lorsque leurs champs ne produisent plus assez, les agriculteurs les abandonnent pour ouvrir des nouveaux espaces de la forêt:
« Par le passé, ces étendues nues étaient cultivables. Lorsqu’elles sont devenues infertiles, jusqu’à ce que les herbes n’y poussent pas; les agriculteurs ont défriché d’autres terres cultivables de la forêt. La présence des ménages à l’intérieur de la forêt est une menace pour Monge.”, se lamente Bizoza Léonidas, garde-forestier.
Les autochtones ne se sont pas arrêtés là. Ils se sont accaparés des terres de la réserve naturelle de Monge et les ont vendu aux migrants, car elles étaient très fertiles.
Les autochtones et les nouveaux occupants, leur nombre a augmenté. De ce fait, leurs lopins de terre sont devenus insuffisants pour toutes ces familles d’agriculteurs. Ils se sont par conséquent tournés vers la forêt pour agrandir leurs exploitations agricoles ou ouvrir des nouveaux champs, explique le responsable de la réserve naturelle de Monge.
«La forêt de Monge s’éteint petit à petit suite à l’augmentation de la population qui fait l’agriculture, pratique de l’élevage et coupe les arbres», alarme Cyprien Niyongabo.
«Si rien n’est fait dans l’immédiat pour la préserver, la réserve naturelle de Monge peut disparaître», avertit Niyongabo.
Un habitant qui a requis l’anonymat révèle que dans la région de Monge, certains agriculteurs occupent illégalement la réserve naturelle et d’autres l’exploitent avec l’aval des gardes forestiers. Il évoque le cas des agriculteurs qui ont étendu leurs exploitations agricoles dans la forêt de Monge aux alentours de la colline Kayombe, en zone et commune Bugarama, province Rumonge au sud-ouest du Burundi.
Pour y cultiver, ils donnent le pot de vin dit « Ikibando» aux gardes-forestiers. Qui se traduit par « Gros bâton » en référence aux bâtons que les éco-gardes se munissent lors des patrouilles
« Les intermédiaires entre les agriculteurs et les garde-forestiers collectent de l’argent et en offrent aux garde-forestiers» révèle cet informateur.
“Dans tel cas, on cultive sans qu’il y ait des tensions avec les gardes. C’est depuis longtemps qu’ils s’arrangent ainsi. Tu vois maintenant, la forêt qui était dense cède la place aux champs agricoles”, fait remarquer cet habitant de kizuga, à environ 1km de la réserve naturelle forestière de Monge.
« S’ils avaient eux aussi consenti à donner le pot de vin, ils seraient épargnés des poursuites de tout le temps», ajoute-t-il.
Pour se justifier, les écogardes disent que la forêt de Monge est exploitée clandestinement pendant les heures hors services.
Berchmans Hatungimana, directeur de l’Office Burundais pour la Protection de l'environnement reconnaît que les écogardes sont parfois complices de l’attribution des terres dans les forêts.
« Dans la mesure où ils sont attrapés, ils sont révoqués de leurs fonctions et ensuite traduits en justice», précise-t-il.
A l’ouest du Burundi, nous sommes en RDC, dans la province du Nord-Kivu, les limites du plus vieux parc d’Afrique, le Virunga, sont en perpétuelle menace suite à la recherche par les riverains agriculteurs des nouvelles terres à cultiver.
“Pour cultiver dans le parc, il y a certaines personnes qui se font passer pour des chefs coutumiers de la région, s’accaparent des terres du parc et les vendent aux pauvres ignorants, car beaucoup ne connaissent pas les limites qui séparent le parc et des terroirs traditionnels voisins du parc.”, indique Nzilamba Mukwahabiri Tridon , chef du service de l’agriculture, pêche et élevage AGRIPEL de la commune rurale de Kyondo qui ouvre la voie au parc des Virunga en territoire de Beni (Nord-Kivu).
Mais il n’y a pas que ceux qui se font passer pour des coutumiers qui s’introduisent dans ce patrimoine de l’humanité. D’autres y vont clandestinement, convaincus que les terres des Virunga sont plus fertiles que les leurs surexploitées.
Quand un individu commence à cultiver dans le parc en clandestinité, il est suivi par les autres qui envient sa récolte, poursuit Nzilamba Mukwahabiri Tridon. Les premiers à s’y introduire arrivent mêmes à vendre les terres du parc aux nouveaux arrivants.
Et ces champs n’attirent l’attention des éco-gardes que quand ils deviennent nombreux. En représailles, les gardes-forestiers vont jusqu’à détruire les récoltes de ceux qui envahissent le parc pour les décourager.
Ils attendent presque la maturation des cultures plantés illégalement dans le parc comme le riz, le manioc, … juste avant la maturation, ils viennent tout raser à terre, réduisant ainsi à zéro le travail clandestin de 6 mois à 2 ans et arrêtent également les fautifs”, témoigne Nzilamba Mukwahabiri Tridon.
Pour être libérés des geôles des gardes-forestiers, ils vont jusqu’à vendre leurs biens laissés ici au village pour payer les amendes. », un cercle vicieux de pauvreté que déplore l’agronome Nzilamba Mukwahabiri Tridon
Bienvenue Bwende, chargé de communication du PNVi est ferme face aux violations des limites : « toute activité illégale dans le parc est un crime environnemental. Le Virunga est un espace inviolable ». Mais les gens y vont toujours car n’ayant pas de choix: “« A cause des conflits fonciers et des éboulements des terres, on y va comme ça mais ce n’est pas là qu’il y a la solution » se désole Kavira Kavalami Marie José, directrice du Centre d’Etude des Mécanismes pour le Développement Local de Kyondo.
Les parcs menacés, difficile cohabitation entre l’homme et la faune
La taille moyenne d’une exploitation agricole par ménage diminue progressivement dans les zones rurales du Burundi.
En 2015, l’Institut National des Statistique du Burundi (INSBU en sigle) montre que la taille moyenne d’une exploitation agricole d’un ménage ayant 6 enfants s’élevait à 0,5 hectare en 2015.
Pour pallier l’exiguïté et l’infertilité des terres, les cultivateurs dépassent les limites des parcs. En conséquence, les animaux sauvages ravagent leurs cultures : « Nous cultivons les champs agricoles aux alentours du parc. Toutefois, les animaux viennent ravager nos cultures», se lamente l’agriculteur Hasabamagara qui cultive aux alentours du parc national de la Ruvubu quand nous l’avons croisé à Rwamvura, en commune Kigamba et province Cankuzo dans la partie Est du Burundi.
Les responsables du parc tentent de s’expliquer. D’après eux, le code forestier du Burundi de 2016 prévoit la zone tampon d’un kilomètre (1 km) entre les limites des parcs et les champs des particuliers.
“Cependant, nous constatons que les agriculteurs cultivent jusqu’aux limites des parcs. Parfois, ils dépassent les limites des parcs et remettent en cause les dimensions du parc” observe le responsable du Parc national de la Ruvubu Bakundintwari Marc.
L’absence de la zone tampon limite la liberté des animaux :”Quand ils sortent dans les parcs, ils se retrouvent directement dans les ménages et dans les champs des citoyens”, explique le responsable du Parc national de la Ruvubu.
La situation est similaire aux tours des Virunga dans l’est de la RDC : des villages et champs se prolongent dans l’aire protégée, et des animaux en provenance du parc envahissent les habitats ou détruisent des cultures, entrainant un conflit entre l’homme et la faune.
«Au Sud (du parc national des Virunga, ndlr) , des villages de pêche qui ont existé avant la création du parc ne cessent de croître comme Kamandi , Kisaka, Muramba, Kyavinyonge, jusqu’à s’étendre dans le parc, au Nord, les villages n’ont plus de champs fertiles et s’approprient des terres arables dans le parc comme c’est le cas de Mayangose, Nyaleke ou Kanyatsi. Il y a aussi défis des limites au centre : Kasindi, Isale, Karuruma et Lubirihya. Aussi, les agriculteurs voient les animaux du parc détruire leurs cultures dans leurs propres champs. Des situations qui entrainent des conflits entre l’homme et la faune.”, fait savoir le professeur Paul Vikanza, chercheur en environnement et développement des populations à l’Université catholique du Graben (UCG) basée à Butembo (Nord-Kivu).
.En RDC comme au Burundi, les responsables des parcs peinent à résoudre le problème. «S’ils (les animaux,ndlr) ravagent les cultures, les fonctionnaires du parc notent et s’en vont. Personne n’est dédommagé. Par contre, s’ils attrapent les chasseurs dans le parc de la Ruvubu, ils purgent leur peine», déplore l’agriculteur Hasabamagara du Burundi.
En guise de solution, les agriculteurs organisent des patrouillent et protègent leurs cultures. «Lorsque les animaux sauvages commencent à sortir dans le parc, nous organisons des rondes nocturnes et allumons les feux pour les empêcher de ravager nos cultures», raconte l’agriculteur Hasabamagara Marc.
Si les agriculteurs s’absentent, ne fût-ce qu’un seul jour, aux rondes nocturnes, ces animaux peuvent tout ravager. Ils attestent ne dormir à la maison qu’après la récolte.
Les grands mammifères comme les buffles causent énormément des dégâts. Il y a parfois de mort d’homme.
Au sud-ouest du Burundi, dans la réserve naturelle de Monge, les agriculteurs tendent des pièges aux animaux sauvages afin qu’ils y tombent s’ils viennent ravager leurs cultures, explique Léonidas Bizoza, écogarde. Or, le piégeage tue et fait fuir les animaux, constate Léonidas.
L’incendie, l’autre défi
Autour du parc national de la Ruvubu, à l'est du Burundi, les agriculteurs brûlent les herbes qu’ils ont défrichées dans les champs: « nous regroupons toutes les herbes et les brûlons. La cendre est utilisée comme intrant agricole. On le met à chaque jauge de haricot et de maïs. », assure Ndikumana Sylvie, agricultrice que nous avons rencontré sur la colline Rwamvura.
Dans certains cas, le feu peut doubler d’intensité et dépasser la capacité d’extinction de celui qui l’a allumé et s’étendre sur les collines et les parcs, révèle Surwanone Gloriose, agricultrice de la commune Bweru, en province Ruyigi.
Dans d’autres cas : « nous pouvons brûler les herbes la journée lorsque le soleil brille encore. Si on rentre sans toutefois avoir bien vérifié que le feu s’est éteint, il peut augmenter et s’étendre sur d’autres lieux. Ainsi, le feu de brousse voit le jour», poursuit-elle. Ce qui entraine des feux de forêt.
“Les feux de brousse effacent les limites du parc de la Ruvubu et permettent aux agriculteurs d’agrandir leurs champs dans le parc” regrette le responsable du parc de la Ruvubu.
Chaque année, le Burundi connaît les feux de brousse. Les trois aires protégées qui ont fait objet de notre enquête ont toutes connu récemment les feux de brousse.
Alors que le Burundi a perdu 366 hectares de forêts primaires humides de 2001 à 2022, ce qui représente 1.1% de la perte de la couverture arborée au cours de la même période, la RDC a perdu, quant à elle, a perdu 6.33 millions d’hectares de forêts primaires humides, ce qui représente 35% de la perte de la couverture arborée au cours de la même période. La superficie totale de forêts primaires humides au Burundi et en RDC a diminué respectivement de 1.4% et 6.1% au cours de cette période.
GRAPHIQUES 1
Ces pertes de couverts forestiers correspondent donc à la destruction des habitats d’animaux. Ce qui fait partie des facteurs de la disparition et de la diminution d’animaux sauvages et d’autres écosystèmes. Selon le chercheur Nzigidahera, le Burundi a déjà enregistré plus de 10 espèces d’animaux disparues depuis la fin des années 1950.
En 1985, Curry - Lindahl mentionnait la présence de 200 éléphants. A l’heure actuelle, il ne subsiste aucun éléphant. Le dernier éléphant a été exterminé en décembre 2002 dans le Parc National de la Rusiz i.
La disparition des espèces fauniques n’est pas sans conséquence.
«Les recherches ont montré par exemple que la levée de la dormance des semences de l’espèce endémique « d’Hyphaene » communément appelé faux palmier devrait passer dans l’intestin de l’éléphant. Mais, comme les éléphants ont disparu, la régénération de cette espèce se fait d’une façon vraiment lente à tel point qu’elle est en voie de disparition »” révèle Berchmans Hatungimana, directeur de l’OBPE.
En plus, les champs agricoles dans le parc de la Rusizi fragilisent les berges de la Rusizi prenant sa source dans le lac Kivu. Cette rivière Rusizi traverse trois pays de l’Afrique centrale, dont la RDC, le Rwanda et le Burundi avant de se jeter dans le lac Tanganyika.
Aux bords de la rivière Rusizi du secteur Palmeraie (Burundi), les champs agricoles de maïs, de riz, de choux, etc. fourmillent. Ces champs touchent à la rivière. Les agriculteurs ne laissent aucun intervalle entre leurs champs et la rivière tel qu’exigé par la loi. “Nous cultivons aux bords de la rivière Rusizi, car nous accédons facilement à l'eau pour arroser nos cultures” se justifie Agnès Irakoze, agricultrice.
Ainsi, pour irriguer les cultures, les agriculteurs creusent des puits sous le sol au bord de la rivière Rusizi et l’eau monte. “Nous commençons alors à puiser de l’eau dans ces puits avec des arrosoirs” explique Ryarambabaje Philippe, agriculteur que nous avons rencontré aux bords de la Rusizi, sarclant les champs de Maïs. Néanmoins, ces puits rendent les bords de la rivière Rusizi mous et sont à l’origine de leur effondrement. Le code forestier prévoit pourtant la zone tampon de cent mètres (100m) entre la rivière et les champs dans la partie qui touche le parc, indique Pacifique Ininahazwe, responsable du parc national de la Rusizi.
“Cette zone tampon devrait être réservée pour servir de corridor pour les hippopotames lorsqu’ils quittent une zone vers l’autre ou lorsqu’ils quittent la rivière pour aller brouter les herbes qui se trouve à proximité de Rusizi” déclare le responsable du Parc de la Rusizi.
Néanmoins, cette zone tampon ne reste que sur papier, avoue Pacifique Ininahazwe. Quand on va sur terrain, c’est une autre réalité parce que toute cette partie est actuellement occupée par les champs de riz, de maïs, etc.
Et lors que les animaux qui sortent des eaux ne trouvent pas de quoi se remplir le bide, ils ravagent les cultures des particuliers, indique le responsable du parc de Rusizi. Les hippopotames vont même au-delà des 100 m parce que les agriculteurs ont défriché les herbes qui servent de nourriture pour ces troupeaux. Ainsi, les conflits entre homme et faune s’emplifie.
Et quand la démographie s’en mêle
« Je suis né dans une fratrie de 10 enfants. Nous avons trois petits lopins de terre. Après avoir partagé la propriété foncière laissée par nos parents, personne n’a hérité un lopin de terre où on peut semer trois kilogrammes (3 Kg) de haricot», nous a confié Kamariza Emelyne lorsque nous l’avons rencontré à Nyarurambi, en commune Gatara et province Kayanza, au Nord du Burundi.
Gatara fait partie des communes les plus densément peuplées au Burundi. Selon Ndikubwimana Donatien, conseiller chargé de questions politiques, administratives, juridiques et sociales de la commune Gatara , la densité de la population, en commune Gatara, s'élève à 847 habitants au km² alors que la densité moyenne nationale s’élève à 310 hab./km².
Et face à ces défis, le partage des exploitations agricoles familiales est souvent objet de conflits entre les membres de la famille.
« Notre exploitation familiale est mal partagée, car je suis pauvre. Notre père était polygame et a épousé deux femmes. Je suis né de la première femme. Mes frères et sœurs de la première femme sont tous morts. Ceux de la deuxième femme ont survécu. Après avoir partagé notre héritage, la grande partie de la terre est revenue aux enfants nés de la deuxième femme. Vous comprenez qu’il y a eu de l’injustice,», nous raconte Ngendabanyikwa Venant, agriculteur que nous avons croisé à Muhingira, en zone et commune Gatara.
Si les moyens financiers s’améliorent, Ngendabanyikwa compte saisir encore la justice.
Les conflits fonciers poussent la population de kayanza à passer une grande partie de leur temps derrière la justice, indique Ndikumana Vianney, chef du cabinet du gouverneur de la province Kayanza. Parfois, ce lopin de terre qui fait objet de conflit est très exigu et ne peut rapporter grand-chose, constate-t-il.
Les relations sociales sont tendues entre les membres de familles à tel point qu’ils s’accusent de sorcellerie lorsque l’un d’entre eux tombe malade, argüe Ngendabanyikwa Venant.
Pour Hakizimana Sylvestre, agriculteur habitant à Nyarurambi, la situation est encore tolérable à l’heure actuelle. Vu la recrudescence des mariages qui ont lieu chaque semaine, il faut attendre et voir ce qui va se passer dans les dix prochaines années, prédit-il.
A l’heure actuelle, la famine conduit certaines personnes qui n’ont pas des champs à voler dans les champs agricoles des autres.
«Nous ne passons presqu’ aucun jour sans résoudre les différends liés au vol dans les champs. » affirme Sixte Ndayizeye, chef de la colline Nyarurambi.
Avant d’ajouter : “Parfois, le dépassement des limites des terres peut s’empirer à tel enseigne que la population se bat à coups de poings et de machettes.”
Depuis l’instauration du conseil des notables, il y a environ une année, nous avons reçu 47 conflits, indique Nyabenda Gordien, un des notables de la colline Nyarurambi. Cependant, plus de 30 conflits sont liés au litige foncier, explique Nyabenda Gordien.
Selon Ndikumana Vianney, chef du cabinet du gouverneur de la Province Kayanza, l’exiguïté des terres est source de conflits entre parents et enfants. « Nous avons déjà vu des cas où les enfants demandent à leurs parents pourquoi ils les ont mis au monde. Imaginez en tant que parent si un enfant te pose cette question. C’est honteux».
Dans d’autres cas, les enfants battent leurs parents et arrivent au stade où ils peuvent les tuer, car il se dit que son parent est égoïste. Il n’a pas préparé son avenir.
Selon le professeur Aloys Ndayisenga, géographe de formation et enseignant à l’Université du Burundi,: « les burundais sont très attachés à la terre et à l’enfant. Ce comportement s’observe même parmi ceux qui ont fait de longues études. Et ça date de très longtemps.”
Traditionnellement, l’enfant était considéré comme une richesse, un prestige social pour les parents et une protection contre les vieux jours. Avoir beaucoup d'enfants signifiait avoir une main d’œuvre gratuite pour l’agriculture, explique le chercheur. Cette mentalité n’a pas changé, constate cet expert.
La transmission des terres de père en fils a été à l’origine de morcellement des terres depuis plusieurs décennies. Actuellement, les familles font face à l’exiguïté des terres, atteste cet expert.
L’exiguïté des terres a engendré des conséquences multiples dont la misère généralisée, la famine, le chômage, la réduction de la production agricole, la surexploitation des terres et leur appauvrissement, analyse cet expert.
Cela a également été à l’origine des conflits liés à la terre. Si on va aux tribunaux burundais, on trouve que les conflits fonciers sont de loin les plus nombreux, conclut-il.
Selon le rapport annuaire statistiques du Burundi publié en Mars 2023 par l’Institut National des Statistiques du Burundi, sur 18 892 litiges reçus en 2017, 15 237 sont des litiges fonciers, soit 80, 65 %.
Toujours selon INSBU, ces litiges fonciers ont triplé en quatre ans : ils sont passés de 5 307 litiges fonciers en 2013 à 15 237 litiges fonciers en 2017.
GRAPHIQUE 2
Migrer vers les forêts vierges n’est plus la solution
Comme au Burundi, en RDC, surtout au Nord-Kivu, les conflits fonciers dus à la croissance de la population se posent.
Le chercheur congolais Paul Vikanza, spécialiste en environnement et développement des populations note que la démographie est galopante dans les territoires environnant le parc des Virunga, notamment dans les régions montagneuses de Lubero, devenant un danger. Dans cette région faite des terres dénudées par la culture et exposé à l’érosion, faute de jachère, des paysans sont aujourd’hui condamnés à pratiquer des techniques culturales rudimentaires faites des labours répétés sans amendements des sols.
Dans certaines agglomérations rurales de plus de 50 mille habitants comme Kyondo; “aujourd’hui, celui qui a un grand champ, réalise difficilement deux parcelles.”, témoigne l’agronome Nzilamba Mukwahabiri Tridon. “C’est ces deux parcelles qu’il subdivise pour planter ici les choux, là les oignons, ou la pomme terre,…Et la production devient insuffisante”, complète madame Kavira Kavalami Marie José, directrice du CMDL-Kyondo.
Dans la coutume des peuples de la région majoritairement de la tribu Nande/Yira, une famille nucléaire a en moyenne 6 enfants comme le mentionne l’UNICEF. Pourtant la terre, cet héritage qui se transmet du père au fils, petit-fils, se fait de plus en plus rare.
« Aujourd’hui, vu le nombre d’enfants dans une famille, on peut subdiviser une parcelle de 25 mètres en trois portions pour trois fils. C’est compliqué. Ici nous avons deux activités. L’agriculture et l’élevage. La terre est devenue très rare. Il y a une surpopulation dans notre agglomération. », explique Kasereka Kataliko Charles, Secrétaire administratif de la commune rurale LUUTU.
Obligés à migrer!
Face à cette insuffisance des terres à cultiver, les habitants de Lubero migrent vers le parc des Virunga ou d’autres régions à forte présence des forêts vierges. Paluku Musunzu Evary est l’un de ces cultivateurs qui ont été contraints de quitter le territoire de Lubero à la recherche des nouvelles terres arables dans le parc des Virunga, dans la région de Beni.
«Je me suis retrouvé ici en fuyant les problèmes dans ma famille. Parce que nous nous disputions un champ. Quand j’arrive ici, je trouve qu’il y a de l’espace et que l’on peut faire ce que l’on veut. L’on peut prendre autant que l’on veut d’espace de champ sans que l’on vous dise que ça c’est un champ du grand-père ou de tel. On commence une nouvelle vie », se remémore-t-il allègrement. Parti seul, il y a vécu six ans avant que son épouse le rejoigne avec son enfant.
Kanyere Amande Des Anges, enseignante à l’école primaire Chamboko et agricultrice ayant des champs à Aveyi, Potobu, Maleki, des villages situés à une dizaine de km de la commune rurale d’Oicha (Beni, Nord-Kivu), s’est retrouvé dans la région suite aux mêmes circonstances. « A Masereka, nous n’avions plus assez de champs puisque la famille était devenue nombreuse et cela entraînait des conflits du genre l'aîné de la lignée impose que ce soit ses enfants qui prennent les champs de la famille. Alors, on nous disait qu’ici (Oicha) on pouvait avoir des champs, cultiver et récolter tout ce que l’on veut. Nous sommes venus. Nous avons eu des champs», se réjouis-t-elle.
Ces nouveaux arrivants ouvrent des nouveaux champs et seule la guerre en cours contre les rebelles terroristes des Forces démocratiques alliées (ADF) dans la région de Beni (Nord-Kivu) et Irumu (Ituri) les empêche à aller plus loin dans la forêt infectée par des miliciens. Et quand certains tentent de regagner leur Lubero natal, le malheur s’accentue. Car même les petits lopins de terre qu’ils ont abandonné, ils ne les retrouvent plus.
“ Là, aujourd’hui, il y a l’insécurité. La population qui s’était déplacée d’ici jusque-là maintenant retourne ici et ces gens deviennent des déplacés de guerre dans leurs propres villages. Et ceux dont les portions de terre étaient déjà occupés par leurs frères, en voulant les récupérer, cela crée des conflits entre eux.”, se désole Kasereka Kataliko Charles, Secrétaire administratif de la commune rurale Luotu.
Changement climatique
Selon l’Institut National des Statistiques du Burundi, plus de 80% des burundais sont des agriculteurs et comptent sur les précipitations pour cultiver et produire. Néanmoins, la pluie est tantôt abondante, tantôt rare : « Par le passé, il pleuvait à temps, lors du jour de l’assomption. La saison culturale A dit « Agatasi » débutait en septembre pour prendre fin en Février tandis que la saison culturale B dit « Impeshi » démarrait en Février et se terminait en juin » déclare NDIKUMANA Sylvie, agricultrice.
Les choses ont changé : « Par exemple, pendant l’année culturale 2022-2023, la pluie est tombée tardivement entre la fin de novembre et le début de décembre et a pris fin vers la fin du mois d'avril. Pire encore, nous avons fait face aux pluies diluviennes mêlées des vents violents. La grêle a enfoncé le clou dans le marteau en détruisant nos cultures.» s’indigne-t-elle.
Pendant ces dix dernières années, on relève tantôt une baisse, tantôt l’irrégularité des précipitations à travers le Burundi. Selon le rapport de l’Institut National des Statistiques du Burundi publié en Mars 2023, les précipitations à la station météorologique de Imbo, située à l’ouest du Burundi sont passées de 94,3 mm en 2011 à 66,3 mm en 2021.
Alors que la pluie diminue ou est irrégulière, la température monte et détruit également les cultures. Selon le rapport de l’INSBU publié en Mars 2023, la température à la station météorologique de Imbo est passée de 29,8 °C en 2011 à 31,7°C.
Également , une étude de la pluviométrie de la région menée sur une période de 50 ans par le Professeur Sahani Walere, chercheur en gestion des catastrophes naturelles à l’Université catholique du Graben (UCG-Butembo), montre que dans la région de Butembo (Nord-Kivu), il y a une diminution du nombre des pluies mensuelles.
“Il y a déjà eu des perturbations très sensibles pendant la petite saison pluvieuse. C’est-à-dire, on a perdu en termes d’amplitude et en termes de longueur des pluies 25% en 50 ans ; ce qui est une catastrophe en gestion des risques naturels. Et ça se remarque durant la petite saison pluvieuse, les agriculteurs en milieu urbain sont complètement déboussolés par rapport aux activités à mener », explique le professeur Sahani Walere.
Muser sur nos traditions, la loi et les innovations pour mieux gérer nos terres
« Pour résoudre le problème des champs, ce que nous pouvons demander à notre Etat est de voir comment les familles vivaient avant. Nous avons perdu la dignité humaine. Aujourd’hui, celui qui a l’argent parvient à s’emparer d’un bien commun alors que tout le monde connait la vraie vérité. Et ils vous disent que la loi foncière n’est pas ainsi parce qu’ils suivent les lois des blancs. Pourtant, nous vivions dans nos villages tout en sachant chacun sa part de terre qui lui donne droit de cité. Il faut que les problèmes de terre soient résolus par la coutume. », insiste notre interlocuteur à Oicha, Paluku Musunzu Evary.
« Les conflits fonciers commencent maintenant quand les patriarches (vieux sages du village) viennent tous de mourir. Quand ils étaient là, il n’y avait aucun conflit de terre. C’est une grosse erreur de se battre pour les champs. Les champs sont très traditionnels. Ce n’est pas bien de se battre pour ça », insiste Kahindo Malime, 82 ans, un conservateur de la tradition rencontré à Luutu.
En RDC, la crise des champs agricoles familiaux qui s’observe avec cruauté principalement dans le territoire de Lubero est due à un problème de la planification des terres. Il y a eu un manque des prévoyances dans l’étude des paramètres sociaux économiques de la zone explique Katembo Juhudi Duparc, géomaticien de l’Institut de Recherche Intégrée de l’Université Chrétienne Bilingue au Congo IRIN/ UCBC. Heureusement, une loi sur l’aménagement du territoire en cours d’examen au parlement congolais pour aider à résoudre le problème.
« Au niveau national, il y avait un vide juridique. Heureusement, le pays vient de se doter d’une politique nationale d’aménagement du territoire et d’une loi votée. Avec ces outils, les provinces vont se doter des plans provinciaux d’aménagement du territoire et d’interventions foncières », se réjouit-il. Car ce travail est en cours en province du Nord-Kivu. Un travail que l’UCBC réalise en partenariat avec la Coordination Provinciale de la Commission nationale de la réforme foncière.
Ce qui permettra de mettre en place des modèles de gestion intégrée des territoires, explique Msc Shukuru Kyowero, enseignant au département des eaux et forêts à l’Université Catholique du Graben (UCG).
« Il faut des modèles des gestions intégrés des terroirs avec une agriculture intégrée où on applique la rotation des cultures, de la sylviculture et de l’élevage», encourage-til.
Mais en RDC, il faudra également combattre le phénomène de «latifoundisation» des terres par des richissimes hommes d’affaires qui s’accaparent des vastes étendues des terres sans bien les exploiter dénonce Muyisa Wasukundi Sorel, doctorat en cotutelle à l’école régionale d’aménagement des forets des territoires tropicaux ERAIFT Kinshasa et à l’Université de Liège en Belgique.
« La latifundisation des terres. C’est-à-dire, il y a des riches qui s’emparent des vastes étendus des terres dans certaines zones et laissent à coté une masse des paysans sans terres. Si on peut arriver à conscientiser ces propriétaires terriens qui d’ailleurs n’exploitent pas adéquatement leurs vastes étendus des terres, ça serait intéressant. Ils peuvent faire valoir leurs terrains à travers ces paysans sans terre à travers une gestion intégrée du territoire», recommande Muyisa Wasukundi Sorel, doctorant à l’Ecole régionale d’aménagement des forets et des territoires tropicaux (ERAIFT).