L’alphabétisation ou le lettrisme renvoie aux compétences de base que sont la lecture et l'écriture ou encore le calcul. Ces quelques matières sont d’une telle importance pour une société que depuis 1967, le monde célèbre la journée internationale de l’alphabétisation le 8 septembre. Ces quelques compétences qui peuvent être intégrées dans différentes langues sont des facteurs de dignité et de droits humains pour une société plus instruite et durable.
Si le monde se bat dans le domaine, les défis en matière d'alphabétisation persistent toujours. L’UNESCO rapporte des chiffres à la hauteur d’au moins 763 millions de jeunes et d'adultes qui ne disposent pas de compétences de base en alphabétisation en 2020. “La récente crise de la COVID-19 et d'autres crises, telles que le changement climatique et les conflits, exacerbent ces défis. Le confinement planétaire lié à la pandémie de Covid-19 a perturbé l’éducation de plus de 91% des élèves”, précise cette organisation des Nations unies.
Et d’ajouter :
“L'alphabétisation est au cœur de la création des sociétés, tandis que les progrès dans d'autres domaines du développement contribuent à susciter l'intérêt et la motivation de chacun à acquérir, utiliser et développer davantage ses compétences en alphabétisation et en calcul”.
Aussi, l’évolution exponentiel du contexte mondial a actuellement une signification particulière dans les régressions de l'alphabétisation, ce qui crée les inégalités entre les régions du monde, les pays et les populations. Selon l’UNESCO, dans les pays à revenu faible et intermédiaire, la part d'enfants de 10 ans qui ne savaient pas lire et comprendre un texte simple est passée de 57 % en 2019 à près de 70 % en 2022.
D’où la journée internationale de l'alphabétisation est célébrée cette année sous le thème : “Promouvoir l'alphabétisation pour un monde en transition : bâtir les fondations de sociétés durables et pacifiques”. L’alphabétisation rentre dans le quatrième objectif de développement durable.
Le cas RDC
Pour ce qui concerne la République Démocratique du Congo, l’alphabétisation est déjà consacrée par la constitution du 18 février 2006. Dans son article 44, elle stipule que l’éradication de l’analphabétisme est un devoir national pour la réalisation duquel le gouvernement doit élaborer un programme spécifique. Cependant, jusqu’en 2020, le pays comptait 29% des personnes âgées de 15 ans et plus analphabètes.
Des chiffres effrayants pour Yann Kheme, enseignant d’école secondaire. Réagissant à ACTUALITE.CD, il déplore ce manquement et établit un parallélisme entre les comportements antisociaux de certains congolais avec le niveau d'instruction.
“Ça suscite de la pitié, en effet. Est-ce que les objectifs fixés par les autorités pour lutter contre ce fléau ont été atteints ? Que reste-t-il à faire ? Sont-ils suffisamment accompagnés ces acteurs qui œuvrent dans ce domaine ? C'est des questions que je me pose. Ce problème qui touche une grande partie de la population congolaise est à déplorer. Dans ces chiffres, il faut préciser que les femmes et les filles sont les plus touchées. Avoir accès à l'instruction est un droit garanti dans les textes fondamentaux. Atteindre un certain âge et manquer ce rendez-vous est un frein pour le développement personnel, communautaire et national, avec toutes les conséquences possibles”, a-t-il dit à ACTUALITE.CD.
Pour Edimo Lumbidi, animateur culturel et enseignant du Lingala, cette journée doit permettre de réfléchir autour de ce que peuvent faire les intellectuels, les instruits pour propager la connaissance de nos langues, surtout sur le plan écrit. Il pense que l’école congolaise actuelle alphabétise sur des langues étrangères et analphabétise dans langues congolaises. Ce qu’il réfute en appelant au recours aux humanités classiques.
“Il y a un problème, on est juste alphabète parce qu’on maîtrise les langues occidentales. La majorité de citoyens congolais, les lettrés, sont ceux qui écrivent mieux le français et l’anglais mais qui ont du mal à écrire le Kintandu, le lingala etc. On parle d’alphabétisation chez le congolais lorsqu’il maîtrise la langue d’ici. Comment parler d’un citoyen qui ne maîtrise pas sa langue locale mais qui connaît la langue des autres, ça n’a pas de sens. Nous sommes déjà obligés de recourir à nos langues”, a dit Edimo Lumbidi.
Gratuité de l’enseignement de base, un son de cloche
Depuis 2019, l’enseignement primaire est accessible gratuitement dans les établissements publics en RDC. Ce qui a permis à plus de 6 millions d’enfants de regagner le chemin de l’école. Un effort qui peut bien contribuer à alléger ce chiffre alarmant sur l’alphabétisation dans le futur. Pas suffisant pour Yann Kheme qui pense aux plus âgés qui sont dans la même situation.
“Il faut saluer l'application de cette disposition constitutionnelle par le Chef de l'État, qui sans doute vise aussi à réduire, sinon à éradiquer l'illettrisme au Congo. Mais le problème de l'illettrisme ne concerne pas que ceux qui sont en âge scolaire. Il y a des jeunes et des adultes qui se retrouvent dans la même situation”, dit-il.
Et d’ajouter :
“C'est déjà bien que des décisions courageuses soient prises pour garantir l'accès à l'éducation de base à tous, en amont. En aval, il s'agira de trouver et de former les acteurs, c'est-à-dire les enseignants qui accompagneront ces élèves dans l'atteinte desdits objectifs”.
Emmanuel Kuzamba