Raréfaction prochaine des véhicules à essence et diesel : quelles perspectives pour les transports routiers en RD Congo ?

Ph/actualite.cd

En se référant aux derniers chiffres de l’Agence Internationale de l’Energie (AIE), on apprend que la vente des véhicules électriques (VE) a doublé entre 2020 et 2021, établissant un nouveau record à 6.6 millions de véhicules vendus en une année. En se situant à près de 10 % des ventes mondiales de voitures en 2021, la flotte des VE dans le monde aura ainsi atteint 16.5 millions, soit le triple du nombre rapporté en 2018.

Si la perspective d’un accroissement rapide des parts de marché du VE est salutaire pour l’humanité, en raison du fait que le transport routier est responsable d’environ 18% des émissions de gaz à effet de serre dans le monde, cette situation pourrait néanmoins devenir source d’inquiétude pour certains pays en développement, et plus particulièrement la République Démocratique du Congo.

Et pour cause : avec un taux d’électrification encore inférieur à 20%, un réseau électrique urbain en état de surcharge quasi permanent, l’adoption non contrôlée du VE pourrait s’avérer fatale à l’économie et à la société congolaises dans son ensemble en raison de la pression démesurée que subirait l’infrastructure électrique déjà en souffrance.

Compte tenu de l’interdiction de la vente des véhicules à combustion interne (VCI) à l’horizon 2035 dans de nombreux pays exportateurs de véhicules vers l’Afrique, les enjeux économiques, sociaux et environnementaux pour la RD Congo requièrent la plus grande attention de la part des pouvoirs publics. Car, adopter la politique de l’autruche consistant à ne rien décider et  miser sur une adaptation spontanée du système serait, de notre point de vue, exposer le pays, son économie et l’ensemble de la population à une situation très délicate.

Pour prévenir cette situation potentiellement désastreuse, nous proposons une stratégie déclinée en trois axes : (1) le développement des transports de masse, (2) l’amorce et le développement de la production automobile locale,  (3) la promotion des services de mobilité partagée.

La modernisation et l’expansion rationnelles des infrastructures et des unités de transport de masse (bus, trains, métros et tramways) en milieu urbain offrent l’avantage d’une efficience énergétique sensiblement élevée, améliorant au passage la fluidité du trafic routier ainsi que la  qualité de l’air. L’électrification prioritaire de cette catégorie de transport permettra à coup sûr de tirer un meilleur parti de chaque kilowattheure fourni par un réseau électrique congolais déjà déficitaire. Par ailleurs, ceci contribuera à améliorer la sécurité énergétique du pays, en réduisant sa dépendance vis-à-vis de l’importation des combustibles fossiles.

Etant donné l’état du réseau électrique, l’attention devra être particulièrement accordée aux technologies susceptibles d’alléger la pression sur le réseau public. Prenant exemple sur le tramway, l’intégration de systèmes photovoltaïques, de dispositifs de stockage d’énergie et de régénération de l’énergie durant les phases de freinage peuvent contribuer à réduire la consommation des unités de transport, partant la fourniture de l’énergie par la SNEL, notamment aux heures de pointe.

Outre le développement d’un transport de masse moderne, la RD Congo  devrait se doter d’une industrie automobile locale comme dit ci-dessus. Mais, celle-ci se focaliserait en premier lieu sur la fabrication de VCIs économiques, à faible émission de CO2 et autre protoxyde d’azote. En considérant à la fois le faible taux de motorisation de la RD Congo (environ 15 véhicules par 1000 personnes), sa forte croissance économique depuis quelques années, son importante croissance démographique ainsi que son faible taux d’électrification, on réalise que ces facteurs pris globalement font de ce pays un potentiel « eldorado » du VCI.

Cependant, l’essor d’une telle industrie reste principalement tributaire du pouvoir d’achat de la population congolaise,  lequel demeure encore modeste à ce jour. Dans l’hypothèse de son amélioration substantielle, les jours à venir, la présence d’une industrie automobile locale permettrait au Congo de continuer à disposer de suffisamment de VCIs à des prix abordables, tout en opérant une transition en douceur vers des modèles plus respectueux de l’environnement.

L’Etat devrait cependant établir et veiller au respect strict des standards en matière d’efficience énergétique, en matière de pollution ainsi qu’en matière de sécurité. L’exigence du respect des standards préétablis éviterait aux fabricants la tentation  de produire et de commercialiser des gammes de véhicules « très » bon marché à l’acquisition, cependant coûteux à l’utilisation, peu écologiques et à système de protection simplifié à l’excès.

Durant la phase de migration vers des modèles électriques, priorité serait accordée aux véhicules électriques hybrides rechargeables (VEHR), donc équipés à la fois des batteries et de moteurs à combustion interne. Ceci offrirait l’avantage de maintenir une flexibilité suffisante vis-à-vis des contraintes opérationnelles des réseaux électriques, sans pour autant affecter la mobilité des personnes.

La migration intégrale vers les modèles électriques purs ne se ferait qu’au fur et à mesure de l’accroissement de la capacité et de la fiabilité des infrastructures électriques.

À l’instar des transports de masse permettant de réduire le besoin en véhicules individuels tout en offrant cette fois-ci flexibilité, économie de temps et d’argent à ses usagers, ainsi que réduction d’émission de CO2 dans l’atmosphère, les services mobilités partagées ci-après, peuvent être considérés comme les mieux adaptés à l’environnement congolais. Il s’agit du covoiturage, du transport à la demande et de l'auto partage. Si le covoiturage est déjà pratiqué dans les centres urbains comme Kinshasa, les plateformes facilitant le transport à la demande et l’auto partage sont encore inexistants ou du moins méconnus. Des stratégies restent donc à mettre en place en vue de capitaliser sur le potentiel qu’offre cette catégorie de services de mobilité.

En conclusion, face à cette dynamique globale d’électrification des transports routiers qui va en  s’accélérant, les pouvoirs publics congolais devraient, dès à présent, lever des options et mettre en œuvre des actions appropriées, en adéquation avec le contexte qui est le nôtre. Toute négligence de notre part exposera le pays à des tumultes économiques et -sociaux de portée difficile à prédire.

Comme le déclarait Winston Churchill : « Mieux vaut prendre le changement par la main avant qu'il ne nous prenne par la gorge. »

Auteurs :

Sandro Masaki Mukalu est Chef des Travaux (Polytechnique, Unikin), Doctorant en Génie Électrique (Université de Pretoria), et spécialiste de la Gestion de l’énergie et énergies renouvelables

Simon-Blaise Masaki Ngungu est Professeur Ordinaire en Sociologie à l’Université de Kinshasa, Docteur en sciences de l’environnement et aussi spécialiste en sociologie du travail. Il compte un grand nombre de publications scientifiques dans ces domaines de recherche, tant dans des revues nationales qu’internationales.