La France, qui a étrangement perdu son emprise sur le Mali, refuse de laisser indéfiniment s’effriter sa marge d’influence en Afrique. Il y va de la sécurisation de son rôle et de son prestige dans le concert des nations. Longtemps reléguée dans les dynamiques de pacification de l’Est de la RD Congo et de la région africaine des Grands Lacs, dont il est reproché d’avoir contribué à la déstabilisation pour n’avoir pas réussi à empêcher le génocide, Paris veut marquer son "retour" dans le bas fond du jeu géopolitique dans cette aire du continent où il a été longtemps contrarié par les Anglo-saxons.
Après avoir réussi à sceller la réconciliation entre son pays et le Rwanda, Emmanuel Macron a su exploiter habilement, dans l’ordre de la diplomatie ad hoc, la présence, à New York, de Paul Kagame et Félix Tshisekedi pour s’inscrire en première ligne dans l’apaisement entre Kigali et Kinshasa, tous membres, à la suite de Paris, de l’Organisation internationale de la Francophonie (OIF). La RDC en est le premier partenaire africain eu égard au nombre impressionnant de potentiels locuteurs natifs de la langue française tandis que le Rwanda, dont est issue le secrétaire général de cette institution, se veut un membre actif quoique devenu membre du Commonwealth. En novembre, les chefs d’Etat et de Gouvernement des pays membres de l’OIF tiendront, en Egypte, leur grand-messe statutaire. La promotion de relations pacifiques entre les pays membres n’y sera certainement pas passée sous silence.
Reste à bien scruter les premiers pas de bons offices de Paris dont le communiqué suscite interrogations et intrigues.
Reconnaissance explicite de la présence des FDLR en RDC
Emmanuel Macron n’a officiellement rien proposé comme voie de résolution du problème sécuritaire dans l’Est du pays. Par contre, il a réussi à offrir, dans une symbolique du cadre non moins significatif, la détente aux deux Chefs d’Etat. Parallèlement, ou presque, les épouses de ces derniers étaient dans une décontraction apparente largement et diversement commentée sur la toile mondiale.
La France est consciente du rôle qu’elle peut jouer pour faire avancer les efforts d’éradication des FDLR, dont la principale description est leur participation au génocide. Ceci pourrait requérir un appui de Paris aux services de sécurité et de défense du Rwanda et de la RDC dans une coordination d’actions coercitives contre les FDLR. En effet, Kigali considère que la présence de ce groupe armé aux Nord-Kivu et Sud-Kivu constitue une menace sérieuse à la sécurité des populations et des institutions du Rwanda.
Pourtant, du haut de la tribune de la 77ème session ordinaire de l’Assemblée générale des Nations Unies, le Président Tshisekedi a affirmé que « les FDLR ont été décapitées et réduites à néant par les Forces Armées de la RDC, FARDC, en étroite collaboration avec l’Armée rwandaise dans le cadre des opérations conjointes menées au cours de dernières années. La RDC a rapatrié plusieurs éléments des FDLR et leurs familles. Dès lors, les Congolais se demandent de quelles FDLR parle-t-on ? ».
Vingt-quatre heures après le discours du Président de la RDC, Macron, Kagame et Tshisekedi « ont également convenu d’intensifier durablement leur coopération pour lutter contre l’impunité et mettre un terme à l’action des groupes armés dans la région des Grands Lacs, dont les Forces démocratiques pour la libération du Rwanda (FDLR) », selon le communiqué publié par l’Elysée. Une reconnaissance sans ambages de la menace que constituent les FDLR dont l’objectif officiel de l’activisme, au Congo, est le Rwanda de Paul Kagame.
Ambiguïté sur le sort du M23
En contrepartie de ce qui passe pour une concession de la RDC, les trois chefs d’Etat « sont convenus d’agir de concert pour obtenir au plus vite le retrait du M23 de toutes les localités occupées et le retour des déplacés de guerre de ces localités à leur domicile (…) ». Ce, en se référant « au processus de Luanda ». C’est à ce stade qu’il faille ouvrir l’œil, et le bon, pour éviter à l’Etat congolais un avenir chargé de nuages. Car, la Feuille de route, dont est issu le processus de Luanda, comprend des dispositions susceptibles d’exposer la RDC à des risques de prolongation de l’éphémérité de la paix comme observée depuis près de trente ans.
A titre d’exemple, un point, apparemment superfétatoire, de la Feuille de route de Luanda évoque explicitement le « retour des réfugiés » engageant Kigli et Kinshasa. En réalité, ceci ne concerne point le Rwanda dont le discours officiel, soutenue par des instances internationales, porte sur la clause de cessation (c’est-à-dire ne plus considérer comme réfugiés des citoyens rwandais qui refusent de retourner dans leur pays alors que les conditions de leur accueil et de leur prise en charge y sont réunies). Par contre, la géante RDC doit préalablement relever deux défis : créer les conditions logistiques d’accueil, et organiser le retour de plusieurs dizaines de milliers de réfugiés vivant dans les camps au Rwanda. Validation, à coup sûr, de la thèse de Friedrich Nietzsche : « le diable se cache dans les détails ».
En effet, évoquer le « retour des réfugiés », c’est, à n’en point douter, remettre sur le tapis les facteurs endogènes de la conflictualité dans l’Est du pays : problèmes foncier, démographique, politique (reconnaissance ou déni de la nationalité congolaise à ceux considérés, à tort ou à raison, comme des étrangers). De quoi faire ainsi brouiller la dimension exogène du problème sécuritaire axé sur le soutien du Rwanda au M23, et conforter Kigali dans sa stratégie de longue date non pas d’annexer une partie du Kivu (comme d’aucuns le prétendent à tort, à mon avis) mais plutôt d’y exercer une forte influence pour y maintenir la situation sécuritaire comme telle aussi longtemps qu’elle lui sera favorable. Quitte à alterner des tactiques : détente et tension.
Aux experts de la RDC de redoubler de vigilance pour ne pas laisser les initiatives de bons offices, telles celles de Présidents Emmanuel Macron et João Lourenço, comporter, sans forcément une complicité active de ces derniers, des trappes dont Kinshasa pourrait être, de nouveau, victime.
Lembisa Tini (PhD)