Plus de deux mois après la prise de Bunagana ainsi que de nombreuses localités, le M23 se consolide et renforce l’effectif de ses combattants dans le territoire de Rutshuru, dans l’est de la RDC. La rébellion procède par des recrutements de jeunes en Ouganda et dans les villages conquis du Nord-Kivu pour subir une formation accélérée sur la colline stratégique de Chanzu, ont confirmé à ACTUALITE.CD plusieurs sources crédibles.
Le M23 a recruté par force ces dernières semaines un nombre important de jeunes qui sont soumis à une formation à Chanzu, l’une de deux collines situées à cheval entre la RDC, le Rwanda et l’Ouganda. Les recrutements se font notamment par des “arrestations, intimidations, kidnappings”.
“Il y a ceux qui ont été pris dans des villages qu’ils [les M23] contrôlent. Ils intimident les jeunes, les arrêtent puis les amènent en formation à Chanzu”, a dit à ACTUALITE.CD un responsable local qui préfère ne pas être cité.
Le site de formation n’est pas choisi au hasard. C’est de cette colline de Chanzu que le M23 avait lancé son offensive en novembre 2021.
La ruse de guerre
La plupart des recrues sont trompées, indique la même source. C’est ce qui est arrivé il y a plus de deux semaines à une quarantaine de réfugiés congolais pris dans un camp en Ouganda.
“Ils sont allés au camp de réfugiés de Nyakabande (Ouganda) où il y a des congolais, ils ont embarqué 40 personnes à qui ils ont promis le travail. C’était en complicité avec les ougandais. Ces jeunes trompés se sont retrouvés en formation militaire à Chanzu”, a expliqué toujours sous anonymat ce responsable.
Une promotion des recrues est sortie récemment du centre de formation: “Il y a une semaine, plus de 150 jeunes sont sortis de la formation. Ils ont été visibles dans un premier temps avec des bâtons en mains en attendant les armes”, a-t-il confié.
Ces allégations sont confirmées par le chef du groupement de Jomba, Jackson Gachuki actuellement en fuite.
“Les réfugiés souffrent énormément dans le camp de Nyakabande, ils n’ont pas de nourriture ni de soins médicaux. Il y a ceux qui se rendent à Bunagana pour chercher de la nourriture mais ils sont pris par force pour aller dans le groupe armé. Ils sont pris aussi en Ouganda pour être enrôlés dans le camp des terroristes”, a-t-il indiqué à ACTUALITE.CD.
Quand l’enlisement du M23 inquiète
L’occupation de plus en plus longue du M23 inquiète dans la région. De nombreuses autorités locales qui ont fui leurs entités mettent la pression pour que le gouvernement libère les zones conquises par les rebelles.
“Nous nous demandons ce que nous allons faire parce que le gouvernement ne réagit pas, et la population continue toujours de souffrir. Par semaine au moins cinq personnes meurent dans le camp de Nyakabande, on aurait souhaité que le ministre des affaires étrangères aille en Ouganda. Quand le président de la société civile a eu l’information, il a fait pression au gouverneur et il est arrivé à Rutshuru. Il serait mieux que le gouvernement fasse tout pour que le M23 quitte le territoire”, a lancé Jackson Gachuki, chef du groupement de Jomba.
Jomba est un groupement de 8 localités dont 6 sont sous l’emprise du M23. Tous les villages et localités conquis ont de nouveaux dirigeants placés par la rébellion.
Visé expansionniste du M23
Le M23, en plus de consolider ses positions conquises dans le groupement de Jomba qui comprend la cité douanière de Bunagana, a l’intention d’étendre son influence au groupement de Busanza voisin. Les autorités locales de Busanza expliquent cela par de nombreuses tentatives d’attaques du M23 souvent repoussées par les FARDC. La dernière attaque remonte à dimanche dernier dans la localité de Musenzero.
“Les M23 ont fait incursion de la localité de Musenzero en provenance de Mungo qu’ils occupent, ils ont été repoussés par l’armée qui était vigilante. Lorsque le gouvernement a pris la mesure de ne pas importer et exporter via le poste frontalier de Bunagana, les M23 font tout pour occuper la petite frontière de Kitagoma, ils ont cette intention d’étendre leur influence”, a expliqué à ACTUALITE.CD Syllas Bangala, le secrétaire administratif du groupement de Busanza.
En avril dernier, le M23 disait pourtant "qu'elle n'a jamais eu l'intention de faire des conquêtes des espaces pour les administrer, notre seule motivation est le règlement pacifique de la crise".
Sur 15 localités du groupement de Busanza, le M23 occupe la seule localité de Mungo. Busanza accueille aussi de nombreuses familles qui ont fui les combats entre le M23 et l'armée.
Contexte
La RDC accuse toujours le Rwanda de soutenir la rébellion du M23. Le Chef de l'Etat congolais a opté pour la solution diplomatique afin de résoudre la crise. Dans cette optique, le président angolais Joao Lourenço a offert sa médiation. Il avait convoqué Felix Tshisekedi et Paul Kagame afin de tenter de trouver une solution à la crise. Malgré le cessez-le-feu décrété, les combats sont souvent signalés sur le terrain. Une autre rencontre de la commission mixte RDC-Rwanda a eu lieu toujours sous la médiation de Luanda. Les deux parties ont encouragé notamment le déploiement de la force régionale de l'EAC et la lutte contre les FDLR-FOCA que Kigali accuse de coaliser avec les FARDC dans l'Est du pays. Mais depuis, les choses n’avancent pas. Pendant ce temps, le M23 réclame un dialogue direct avec le gouvernement.
Patrick MAKI