Le conte, un outil pour l’éducation -Entretien avec Jovitha Songwa-

conte autour du feu
Ph. ACTUALITE.CD

Kinshasa a enregistré quelques spectacles de conte en cette fin du mois de mars. Ces soirées presque plus d’actualité à l’ère moderne ont été organisées à l’occasion de la journée mondiale du conte ou pour la semaine de la francophonie.

L’envie de conter chez les acteurs, le besoin d’écouter dans le public, la nécessité, l’importance du conte dans l’éducation ou la formation de l’humain, n’ont pourtant pas tari. Des foules considérables ont pris part aux deux soirées successivement le 19 et le 20 mars, à l’Institut Français de Kinshasa et au Centre culturel Baya art.

Répondant aux questions de ACTUALITE.CD, la conteuse Jovitha Songwa a laissé entendre ses regrets de voir la passe que traverse le conte, qui est sur le point de ne plus exister. Elle revient sur son importance dans la citoyenneté, ses propositions, les langues utilisées pour conter, etc.

ACTUALITE.CD : C’est quoi l’importance du conte dans un monde moderne ?

Jovitha Songwa : le conte permet de retenir des histoires, pas seulement, mais aussi des leçons morales. Si vous conseillez quelqu’un à la manière de la loi, sa partie va vers le mal interdit, mais vous lui racontez une histoire, elle peut s’identifier à ce personnage et changer directement.

On peut nous décrire toute une loi, des centaines de livres, ça peut disparaître dans la tête mais une histoire, elle reste. On s’identifie à la personne qui, dans l’histoire, a commis tel acte ou tel autre et on est persuadé de ne plus le poser.

Le conte, c’est aussi un moyen de pouvoir s’exprimer parce que dans le conte, on utilise des syntaxes, des conjugaisons, et ces choses facilitent, favorisent la diction. Si on sait placer les verbes, les temps, là où il faut, ça facilite l’éloquence. Ça permet de rêver aussi, ça détend.

Ne voyez-vous pas que le conte en RDC est en voie de disparition ?

Le conte n’existe plus. Dire que c’est en voie de disparition, c’est peser nos mots, je suis cru, ça n’existe plus. Voilà pourquoi il y a certaines bêtises qui se font. Le conte n’existe plus parce qu’on pense que c’est ancien, mais il ne faut pas jeter les anciennes marmites, elles peuvent vous servir d’un moment à un autre. Je prie que le conte revienne en RDC comme avant parce qu’il y a des gens qui n’ont jamais vécu ça, et c’est merveilleux.

Vous êtes née à Kinshasa, est-ce que vous racontez vraiment les contes à la manière des ancêtres ?

Oui ! Parce que moi, je le dis souvent, mon papa ne me frappait pas. Quand je faisais une bêtise, il me faisait asseoir et me racontait des histoires. Et pas seulement à moi mais aussi à mes frères et sœurs, sauf que ce n’était pas autour du feu.

Mon papa est né au village, il a vécu les palabres, les nuits des contes. Il nous racontait ceux-là à la manière qu’il a apprise au village et c’est de la même manière que moi aussi je conte parce que je l’ai copiée chez mon père, qui a copié chez son père, qui a copié chez son père et ainsi de suite.

À l’Institut National des Arts, est-ce qu’on enseigne le conte ?

On n’a pas le cours de conte, mais c’est enseigné comme genre littéraire. On n’a que le département théâtre avec des sous cours où tu peux venir avec une histoire de conte pour raconter. On enseigne aussi la diction pour faire le conte. Le théâtre sort du conte, il y avait d’abord un acteur qui disait tout le texte en forme de conte ou de mono théâtre, ensuite est venu le deuxième, le troisième et aujourd’hui, nous avons beaucoup d’acteurs sur scène.

Pourquoi les artistes qui passent par ce département à l’INA ne se spécialisent pas ou ne font pas vivre le conte ?

Parce que ce n’est pas valorisé. C’est le théâtre qui est mis en avant malheureusement. Il n’y a plus de conteurs, ils n’existent plus, ils sont rares.

Et vous-mêmes, vous irez avec le conte jusqu’où ?

Moi, je veux continuer avec ça jusqu’à ce que ma vie se termine. J’ai commencé le conte à l’âge de 8 ans, je ne savais pas que c’était ça, j’ai même créé mon propre conte à ce même âge. Je me dis que je suis née pour faire du conte. Je peux faire du théâtre ou de l'humour mais le conte, c’est mon ami d’enfance.

Vous conter plus en français, ne pénalisez-vous pas les langues nationales ?

Non ! On nous enseigne en français même si la moitié de la RDC comprend le Lingala. Je pense que le français peut aussi nous permettre de vendre notre culture ailleurs. Le Lingala, c’est bon pour nous également, j’ai des contes en Lingala. Il y aussi des finalités didactiques et pédagogiques dans ce que je fais.

Propos recueillis par Emmanuel Kuzamba