L'Union Européenne partage les inquiétudes exprimées par l'ONG Justicia ASBL, relayées également par la lettre ouverte adressée le 4 octobre 2021 au Président de la République par un groupe de 185 ONGs congolaises quant à la possible spoliation du parc national de l'Upemba, à travers le projet de construction d'un barrage hydroélectrique à Sombwe par le consortium sino-congolais conduit par la société Kipay sur le bassin de la rivière Lufira, dans la province du Haut-Katanga.
Pour l'Union européenne, qui est un des principaux partenaires de la RDC en matière d’environnement, la construction d'un tel ouvrage au sein, ou même à proximité immédiate, d'une aire protégée est susceptible de violer la loi N°14/003 du 11 février 2014 relative à la conservation de la nature en République démocratique du Congo. Cette construction pourrait aussi affecter négativement la biodiversité, l’écosystème fluvial et le régime des crues de la rivière Lufira, également, les conditions de vie des communautés locales.
L’hydroélectricité, moteur du développement congolais
« Nous ne sommes pas contre le développement de l’énergie hydroélectrique et de l'hydroélectricité en RDC que nous soutenons activement à travers nos différents projets et programmes conduits dans un partenariat étroit de confiance avec les autorités congolaises. Bien au contraire, cet investissement dans les énergies renouvelables, voulu par le Président de la République, Félix Antoine Tshilombo Tshisekedi, constitue une priorité de notre programmation de développement pour la période 2021/2027 telle que nous venons encore de la discuter avec le Gouvernement congolais lors de notre dernier dialogue politique. Toutes les initiatives qui s’inscrivent dans le cadre légal établi sont évidemment bienvenues », déclare Jean-Marc Châtaigner, Ambassadeur de l'Union Européenne en RDC, dans une interview accordée mardi à ACTUALITE.CD.
Le diplomate européen ajoute « qu’il n’a naturellement aucune hostilité contre Kipay et son promoteur, Eric Monga, dont la trajectoire d’homme d’affaires sous le régime précédent et dans des années difficiles de gouvernance est particulièrement impressionnante ».
« Le dialogue n’a jamais été rompu avec Kipay pour fournir des éléments d’étude et d’alternative au projet sino-congolais si ce dernier s’avérait illégal et contraire aux engagements nationaux, continentaux et internationaux de la RDC. Un tel barrage ne peut en effet jamais être construit à l’intérieur d’un parc naturel, ce qui est pour l’instant notre analyse des dispositions de l’ordonnance 75/241 portant création du parc national de l’Upemba. Je vois mal qui de bonne foi pourrait se référer à la cartographie précédente établie pendant la période coloniale pour justifier la construction de cet ouvrage d’art, ce qui ne manquerait pas de léser les droits des communautés concernées ».
« En tout état de cause », relève Jean-Marc Châtaigner, se référant aux dispositions des articles 25 et 29 de la loi N°14/003, « l’autorisation du lancement d’un tel projet relève formellement de l’Institut Congolais pour la Conservation de la Nature (ICCN) et nécessite une étude indépendante d’impact environnemental et social préalable, assortie de son plan de gestion dûment approuvés conformément à la loi ».
Les centrales hydroélectriques des Virunga
Les initiateurs du projet de barrage hydroélectrique à Sombwe s'appuient de leur côté pour justifier leur démarche sur le modèle des centrales hydroélectriques du parc des Virunga, au Nord-Kivu. Ce qui est loin d'être la même chose. Les centrales hydroélectriques de Virunga énergies sont construites à Matebe (Territoire de Rutshuru), à Mutwanga (Territoire de Beni) et à Luhiro (Territoire de Lubero), en dehors du parc national des Virunga et à plusieurs kilomètres de ses limites.
L’ambassadeur de l’Union européenne souligne sur ce point « que la question de l’impact direct du projet sino-congolais de Kipay et Power China sur l’équilibre écosystémique du parc de l’’Upemba ne peut pas être passée sous silence ou sous-estimée.
« Je sais bien que certains veulent abusivement rapprocher le projet sino-congolais de Sombwe des projets hydroélectriques que l’Union Européenne soutient dans le parc des Virunga. On ne peut pas du tout comparer l’un avec les autres. Premièrement, parce que les projets de la fondation Virunga ne sont pas situés à l’intérieur du parc des Virunga, ni même dans les zones limitrophes ou tampons, ils sont situés à des dizaines de kilomètres du parc. Deuxièmement, parce que les ouvrages hydroélectriques réalisés ne sont pas des barrages ou des retenues d’eau, mais fonctionnent avec des canalisations forcées, dont l’impact environnemental sur les rivières concernées est extrêmement réduit. Troisièmement, parce que l’électricité produite par ces investissements a un impact social premier pour les populations des zones desservies qui ont désormais accès à l’électricité dans leurs foyers et pour générer des entreprises et créer de l’emploi. Ce n’est pas de l’électricité principalement dédiée à la consommation de l’industrie extractive, contrairement au projet sino-congolais de Sombwe. Enfin, parce que les revenus qui seront tirés de la vente de l’électricité financeront directement le fonctionnement des services environnementaux du parc des Virunga et non des actionnaires privés »
Financée par l'Union Européenne dans le cadre du Fonds Européen pour le Développement (FED), l'énergie des centrales hydroélectriques des Virunga est destinée aux populations riveraines du parc ainsi qu’à la ville de Goma pour ce qui est de la centrale de Matebe. Les projets ont créé notamment plus de 1400 emplois directs (salariés) (hors travailleurs journaliers), plus de 4000 emplois indirects sont créés dans les PMEs grâce à l’électricité, dont 400 occupés par d’anciens membres de groupes armés et 2000 par d’anciens chômeurs. 565.000 riverains et presque 40 entités sociales en milieu rural reçoivent de l’électricité (écoles, hôpitaux, tribunaux, etc.) bénéficient de l’éclairage public gratuit. Le projet du barrage de Sombwe vise en revanche les entreprises minières implantées dans la région du Katanga.
Le travail admirable des écogardes et des personnels de l’ICCN
En concluant son interview, Jean-Marc Châtaigner ne manque pas « de souligner le travail admirable accompli par les écogardes et les personnels de l’ICCN au service de leur mission et de leur pays, souvent même au sacrifice ultime de leur vie. Nous accueillons dans ce contexte très positivement l’annonce faite par l’ICCN de diligenter une enquête conjointe de l’ICCN et du CorPPN sur la situation prévalant dans le parc national de l’Upemba, où des menaces sont régulièrement exprimées à l’encontre de son directeur Robert Muir et des personnels de l’ICCN parce qu’ils essayent de faire respecter la loi, lutter effectivement contre le braconnage et les activités minières illicites. Une meilleure information et, sans doute, consultation et association par l’ICCN des communautés riveraines des parcs est nécessaire pour éviter le développement de campagnes mal intentionnées de désinformation et parfois même les graves diffamations portées qui vont à l’encontre de l’intérêt commun ».
Parc de l'Upemba : l’UE rejoint la société civile sur les risques environnementaux posés par le projet de barrage de Sombwe au Haut Katanga pic.twitter.com/A5yNAHfVNp
— ACTUALITE.CD (@actualitecd) October 15, 2021
Auguy Mudiayi