Le mercredi 15 septembre 2021, redouté par d’aucuns, relève désormais du passé. A Kinshasa, particulièrement, la journée n’était pas si conforme à l’ordre habituel. Quand bien même l’appel à la mobilisation populaire contre le pouvoir lancé par Martin Fayulu et Adolphe Muzito, figures emblématiques de ce qui reste de « Lamuka », n’aurait pas produit, du point de vue matériel, des résultats escomptés. Rien de commune mesure avec les manifestations citoyennes d’autrefois initiées par l’opposition politique et marquées par la mobilisation de plusieurs milliers, voire des millions de Congolais sur tout, ou presque, le territoire national.
Dans la stratégie du tandem à la tête de « Lamuka », l’enjeu ne consistait certainement pas, faute de machine adéquate, à drainer des foules importantes. Mais plutôt à susciter des perceptions négatives dans le chef des observateurs au détriment de l’image voulue par les Gouvernants dont l’action est placée sous le signe du changement. En fin de journée, les « jumeaux » étaient certainement disposés de sabler champagne. Car, dès l’avant-midi, c’est la répression policière, dont le journaliste Patient Ligodi (d’actualité.cd et RFI) a notamment fait les frais, qui a le plus marqué l’opinion publique non sans le concours des médias nationaux et internationaux. Ce, aux dépens de l’ambition du Gouvernement, portée par son Porte-parole, engagé, oralement pour l’heure, dans la lutte pour le changement du narratif sur le pays. Occasion ratée !
Au-delà du vouloir …
Dès sa prise de fonction à la tête du ministère de la communication et médias, Patrick Muyaya, manifestement ambitieux, s’est résolu de relever un grand défi dans la guerre de communication que subit le pays à l’international. Ce, en prônant le changement de narratif comme nouveau paradigme de communication sur le pays. « Le changement de narratif est simple. (…) La RDC est aujourd’hui présentée comme un pays à problème. Nous avons des problèmes, comme dans tous les autres pays, mais nous sommes aussi un pays solution. (…) Aujourd’hui, nous voulons présenter la RDC comme un pays solution et non pas seulement comme un pays où on viole les femmes ou encore où se déroulent les mauvaises choses que l’on dépeint. », a-t-il expliqué à Vaticanews.
Comme l’explique Gustave Le Bon, « Pour progresser, il ne suffit pas de vouloir agir, il faut d’abord savoir dans quel sens agir ». Ceci est nécessaire pour capitaliser au mieux les opportunités de faire changer le narratif, relevant d’un double processus : d’une part, déconstruire les perceptions négatives suscitées et nourries, entre autres, par des postures discursives ayant présenté la RDC comme un « trou noir », et, d’autre part, élaborer des récits susceptibles de susciter des perceptions positives eu égard aux dynamiques sociétales dans le pays. La stratégie qui s’impose à cet effet est le développement de l’aptitude du Gouvernement à anticiper sur les événements, notamment sur le plan communicationnel, plutôt que de s’attarder le plus souvent à réagir. Comme jadis !
La marche de « Lamuka » n’était pas annoncée la veille. Le Gouvernement disposait d’une bonne marge de temps pour élaborer des modes opératoires dans le but non seulement d’imposer le strict respect de la décision du Gouverneur de Kinshasa l’ayant interdite (je n’en questionne pas ici la pertinence), mais surtout, censé prévoir les imprévus, de saisir cette opportunité afin de faire changer le narratif sur le pays en matière notamment de respect de la liberté de la presse. L’anticipation aurait suggéré aux services publics compétents de prendre en amont des dispositions d’encadrement des professionnels des médias, témoins oculaires des faits à la base des récits justificatifs de la pertinence ou non d’un changement de narratif sur la RDC.
Comme l’explique Isabelle Mahy (« "Il était une fois …" ou la force du récit dans la conduite du changement », 2008), « La démarche narrative nécessite d’abord de préfigurer l’action en posant les référents symboliques et le caractère temporel, en identifiant les buts de l’action qui sera relatée dans le récit et en dévoilant les motifs et les intentions. » Ceci atteste les lacunes dans les préparatifs, par les services publics habilités, du volet communicationnel de la marche de « Lamuka ». La réaction du Porte-parole du Gouvernement, ayant préconisé des sanctions contre les bourreaux de Patient Ligodi, tend à relever de l’« empathie professionnelle » qui ne participe pas, en dépit de l’intelligence émotionnelle ainsi exprimée, de la persuasion pour le changement de narratif sur la RDC. Bien au contraire, ça accuse un défaut de prévision stratégique ou des difficultés de faire bouger les lignes.
Défi de scénarisation persuasive
Le changement de narratif requiert du Gouvernement, entre autres, de se définir, de se construire une identité et de se fixer un cap clairement déclinable en termes de conversions de pratiques de gouvernance. Les membres de l’équipe gouvernementale devraient avoir une convergence des pratiques communicationnelles dont la coordination permettrait d’en affirmer la cohérence. A cet effet, l’instance de coordination, qui pourrait relever du Ministère de la communication et médias, sera tenue de se déployer de façon structurelle, et non pas conjoncturelle comme c’est souvent le cas, dans différents champs. Ce pour d’abord penser rigoureusement et préparer les récits qui doivent aller au-delà des informations de type institutionnel aux accents dithyrambiques souvent proposées à la consommation du public, et, ensuite, fixer, à l’aune de la réalité palpable, la portée des actions concrètes menées et non pas seulement envisagées par le Gouvernement.
En clair, il s’agit de changer de perspective communicationnelle jusqu’alors axée sur la propagande des Gouvernants. Il s’agit de régénérer la communication du Gouvernement. Ceci permet de favoriser la transparence et de renforcer la confiance entre gouvernants et gouvernés ; ces derniers maîtrisant la réalité du terrain. A cet effet, il est stratégiquement utile pour le Gouvernement de procéder, au regard des enjeux en cours et à venir, à un investissement suffisant dans le but de relever le défi d’une scénarisation persuasive.
Somme toute, le Gouvernement aura tort de ne pas capitaliser au mieux chaque opportunité de faire avancer le chantier du changement du narratif sur la RDC. Le mercredi 15 septembre 2021, il en a raté l’occasion.
Martin Ziakwau
Ancien journaliste
Docteur en Relations internationales
Enseignant à l’IFASIC