ACTUALITE.CD : Félix Tshisekedi a nommé Emmanuel Tommy Tambwe Rudima, un ancien du CNDP et M23 à la tête du Programme de désarmement, démobilisation, relèvement communautaire (P-DDRCS). Certains activistes s'insurgent contre cette nomination eu égard à son passé rebelle. Qu'est-ce que cela vous inspire?
Josaphat Musamba Bussy : " Il y a eu beaucoup de remous à travers les réseaux sociaux tout comme dans le pays. Je viens de voir aussi une réaction du prix Nobel Denis Mukwege (ndlr:). Même si je ne suis pas très d'accord avec cette façon de voir les choses (les réactions contre Tommy), je pense que ces points de vue sont à écouter. Je ne suis pas d'accord, parce que ce qui compte pour ce poste, c'est l'expérience, la compétence. Son profil d'ancien rebelle est non négligeable, parce que, lorsque vous avez un rebelle, un leader de groupes armés qui est aussi associé dans le processus de démobilisation, réintégration et réinsertion, ça change un peu la donne, parce qu'il comprend les problèmes des groupes armés. Ce ne sont pas des militaires qui viennent imposer les choses. Ce ne sont pas des gens qui viennent de Kinshasa pour imposer les choses à la recherche de l'argent, non. C'est un rebelle, il comprend le problème, il peut y aller petit à petit. Il n'a pas un mauvais profil. Il a tout un parcours avec des réseaux à l'intérieur des groupes armés dans certaines zones. Ce qui pose problème, c'est un ancien rebelle qui a été soutenu par le Rwanda, et tu connais le narratif du Congo, les groupes armés, surtout le CNDP et le M23, ça pose problème lorsqu'il vient de cet axe là. Mais si c'était un ancien rebelle qui a été dans le MLC, qui a été dans le RCD-KML, qui a été chez Yakutumba, qui a été chez APCLS, chez Raïa Mutomboki, chez Kifuwa fuwa, ça ne causerait au temps de problème, et ça apporterait plus que quelqu'un qui vient d'une rébellion soutenue par le Rwanda avec tout ce que vous connaissez".
Qu'attendez-vous concrètement de ce nouveau programme ?
"D'abord, le nouveau programme tel que conçu c'est un nouveau concept : le président a remplacé le “R” de réinsertion et vient avec le “R” de relèvement communautaire. Il a essayé de créer ce programme comme une structure étatique. Ce que nous attendons, qu'il soit un programme à même de résorber la problématique des groupes armés, que ça soit un incitatif pour les autres groupes armés à se rendre, à déposer les armes, et à être réinsérer dans la communauté, et qu'il y ait un projet qui relèvement concrètement des communautés. C'est tout ce qu'on attend, un programme de démobilisation qui tienne compte des problématiques communautaires, qui résolve des conflits dans la partie est du Congo, et qui apportent un plus sur la politique sécuritaire "état de siège" ou la politique militariste Tshisekediste. S'il n'y a pas ça, même si on nommait Jésus, cela ne pourra apporter aucune solution. Si on nommait Jésus, sans une réelle réintégration, sans la prise en compte des revendications des groupes armés et un suivi fiable, ça ne va rien apporter. Donc, à mon niveau, donnons lui la chance, voyons voir ce qu'il va faire. Mais, à partir du moment où le concept semble être comme des ossements qui manquent la chaire, ça risque de poser un problème."
Qu'est-ce qu'il faut faire pour éviter les erreurs du passé dans le cadre de ce processus DDR?
"Tshisekedi vient de créer le P-DDRCS. Au-delà d'un programme trop technique, il le ramène comme un service public de l'État. Avec un programme comme une structure étatique, il y a tous les risques, ça pose problème. D'abord, le problème de loyauté qui risque d'être évoqué pour désigner les animateurs au niveau provincial ou local. Si vous voulez être nommé, il faut que vous soyez affilié à un parti comme UDPS, AFDC, etc, parce que ce sont eux qui sont au pouvoir, ce sont eux qui vont nommer les gens. C'est déjà un problème. En plus au niveau de désarmement, est-ce qu'on devra désarmer tous les groupes armés, est-ce qu'on devra désarmer aussi les communautés qui sont surarmées ? Ça c'est aussi un problème. L'autre chose, dans le programme on dit qu'on va réintégrer les combattants dans leurs communautés, il faut éviter de les reléguer en dehors de leurs communautés. Éviter de les renvoyer à Kamina, à Kitona, parce que ça pose problème. Car on ne parlera jamais de la réinsertion communautaire des ex-combattants, et on les ramène dans une autre zone. Il faut plutôt trouver des moyens de le faire au sein de leurs communautés, en associant les actions de justice transitionnelle.
J'ai vu dans le programme une sorte d'importation de concepts. On dit qu'on ne veut pas réintégrer les ex-combattants dans l'armée. Qu'est-ce qu'on veut? Il faut bien discuter cette logique. Moi j'ai vu un colonel, un ancien déserteur qui s'est rebellé contre l'État, et qui vient d'être réintégré dans l'armée. Le colonel John Tshibangu (un Luba, la tribu du chef de l'État, ndlr). Ce n'est pas parce qu'il est de telle ou telle affinité qu'on doit le réintégrer et les autres on refuse. Ça pose problème. Ce sont des choses qu'on doit mettre sur la table, et en discuter. L'autre difficulté, c'est la réintégration d'un ex-combattant dans un contexte de conflit, de vide sécuritaire. Je pense qu'il faut anticiper, assurer la sécurité et pacifier la zone pour pouvoir bien réintégrer les ex-combattants. Il faut aussi préparer les communautés à recevoir ces ex-combattants, ce que l'on n'a pas pu faire (dans les précédents programmes, ndlr). Il faut éviter l'approche DDR campiste, c'est-à-dire mettre toujours les ex-combattants dans un camp. Il faut aussi associer les coutumiers et non limiter le DDR au niveau territorial. Comment expliquer que vous allez réintégrer des gens dans un village, un groupement, et les chefs de village ou groupement ne sont pas impliqués? Il faut résoudre ce problème. Enfin, avec les groupes armés étrangers surtout les FDLR, les FNL, les RED Tabara, il faut que leurs pays ouvrent des espaces de discussion avec leurs combattants pour recevoir ceux qui veulent se rendre. Au moins là, on aura coupé l'alibi des groupes armés à pouvoir justifier leurs présences par l'existence des groupes armés étrangers".
Propos recueillis par Claude Sengenya