Le président Emmanuel Macron a décidé de remplacer en France la célèbre Ecole nationale d’administration (ENA) par l’Institut du service public (ISP). Pour nous éclairer, le docteur Hubert Petit a répondu à nos questions. Il est médecin épidémiologiste, ancien élève et maître de conférences à l’ENA, spécialiste de santé publique, ancien haut fonctionnaire et diplomate de l’Union européenne. Il a été plusieurs années en poste à Kinshasa, proche des anciens élèves de l’ENA en République démocratique du Congo. Son expérience congolaise est décrite dans son ouvrage « Une éna est née » (Ena RDC, 2015).
Question - Pourquoi changer le nom de la prestigieuse ENA ?
Hubert Petit - Dans un contexte de pandémie mortelle, l'ENA internationale semble en effet être une victime collatérale. Différents variants de l'institut du service public (ISP) sont apparus dans des projets successifs d’ordonnance sur la haute fonction publique.
Ces variants ont traité du cadre général de l’ISP, des administrateurs de l’Etat, des inspections générales, des juridictions administratives et financières, etc. mais rien n’est dit sur l'ENA à l'international. Pourtant, les soixante-quinze ans de l’histoire de l'école ont en permanence promu cette dimension internationale, comme en témoigne l’exemple congolais.
Q. – Comment se présente l’Institut du service public (ISP) qui remplace l’ENA ?
HP - En vertu de l’ordonnance sur la haute fonction publique, l'ISP est un établissement public de l'Etat à caractère administratif placé sous la tutelle du Premier ministre et du ministre chargé de la fonction publique. Il assure en France la formation initiale des fonctionnaires destinés à accéder au corps des administrateurs de l'Etat ainsi qu'à ceux d'autres corps de fonctionnaires susceptibles d'exercer des fonctions supérieures.
Le remplacement de l’ENA par l’ISP touche à des fondamentaux qui ont rendu cette école victime de son succès. Le concours d’entrée, qui se voudrait plus ouvert, entérine pourtant une évolution déjà amorcée depuis plusieurs années. La scolarité, moins académique et plus professionnelle, est en cohérence avec sa vocation originale d’école d’application. La sortie programmée vers des fonctions opérationnelles, avant celles de contrôle, procède d’une adaptation aux réalités managériales.
L’ISP n’est donc pas un établissement public à caractère scientifique, culturel et professionnel, à la différence par exemple de mon ancienne Ecole des hautes études en santé publique. Cela implique que l'ISP ne peut pas délivrer seul des masters ou des doctorats, pourtant essentiels dans leur usage international, sauf à s'associer par des partenariats avec des établissements universitaires.
Q. – Le remplacement de l’ENA a-t-il un impact à l’international ?
HP - Le débat franco-français sur les mérites et les méfaits de l’école a largement occulté sa dimension internationale. En effet, quel est le point commun entre l’éna, l’airbus, le champagne et le camembert ? Ce sont des marques protégées, mondialement connues, des atouts à l’international. Dès lors, la perte de la marque ENA, au profit d’un ISP à vocation interne, crée des remous légitimes au sein des associations d’anciens élèves dans le monde, y compris en RDC.
L'ENA a en effet formé depuis l’origine plus de douze mille élèves internationaux en parallèle de la formation des élèves français. Elle a assuré l’accueil d’élèves étrangers dans les cycles internationaux et les masters spécialisés, elle a préparé aux concours de recrutement de l’Union européenne. Les élèves congolais, aux côtés des élèves français, ont ainsi suivi à l’ENA des cycles de formation de haut niveau.
Q. – Que deviennent ensuite les anciens élèves internationaux de l’ENA ?
Les anciens élèves internationaux occupent aujourd’hui des postes d'influence diplomatique partout dans le monde mais aussi de haute responsabilité nationale, comme le nouveau ministre des finances de la RDC. L'école dispose de plus de cent trente partenariats avec des pays étrangers et des institutions homologues, elle a formé plus de neuf mille responsables européens à la présidence du conseil de l'Union européenne, ce qui est crucial à ce niveau dans les interactions institutionnelles et dans les mécanismes de prise de décision politique.
Les associations, au travers d’anciens élèves au sein de leur confédération mondiale, se montrent aujourd’hui déterminées à sauver la marque ENA internationale contre un variant mortel. La confédération, qui compte quarante-trois associations à travers le monde, y compris en RDC, permet aux anciens élèves de diverses nationalités de maintenir et de développer des échanges entre les pays membres.
Q. – Y a-t-il une solution pour la marque ENA internationale ?
HP - Délivrer sur ordonnance une dimension internationale à la formation des hauts fonctionnaires, c’est s’inspirer directement du rapport Thiriez de janvier 2020 sur la haute fonction publique, qui est repris pour une large part dans la réforme.
Que dit la proposition 12 de ce rapport ? La mission propose de conserver, en raison de son impact et du rayonnement de la France, la marque ENA à l'international. L'ENA internationale, ou ENAi, serait ainsi une filiale du futur ISP.
Cette proposition était censée combler le vide laissé par l’abandon de la marque ENA dans la réforme. En s’inspirant de la recommandation du rapport, une solution consisterait à insérer littéralement, après la cinquième phrase de l’article 2 de l’ordonnance, ce qui suit :
« L'école nationale d'administration internationale, ou ENAi, filiale de l'institut, est chargée notamment des actions de formation des hauts fonctionnaires aux questions européennes. Les élèves étrangers, pour leur part, suivent la scolarité dans les mêmes conditions que les élèves français ».
C’est ce qu’il fallait délivrer sur ordonnance. CQFD