Confidences du chauffeur du Ministre: “masques-barrières,  modes  d’emplois”

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Yoka Lye Mudaba est docteur en Lettres, diplôme qu’il a obtenu à l’université de Paris III (Sorbonne). De 1979 à 1989, il a été expert auprès du ministère de l’Education et du ministère de la Culture. Il est directeur général de l’Institut national des arts. Il a publié des recueils de nouvelles (Le Fossoyeur, Ed. Hatier ? coll. Monde Noir, 1977 ; Destins broyés, Ed. Saint Paul 1991), des pamphlets politiques (Lettres d’un Kinois à l’oncle du village, 1995 ; Kinshasa, signes de vie, 2000 Ed. L’Harmattan) et des pièces de théâtre (Tshira, Ed. Lakolé 1984). 

Billet...

Il  est  hors de lui, pour ainsi dire, mon patron Son Excellence le Ministre des Affaires Stratégiques et Tactiques (à prononcer avec respect…). Mon patron le Ministre (avec M Majuscule !) est rentré le week-end dernier,  accompagné de son épouse, « mère-ya-palais » ; il est rentré après une mission … stratégique en province. Mais les nouvelles qui l’attendaient au bercail ne sont pas réjouissantes.

Première mauvaise nouvelle : la mort inopinée  de son chien de garde, animal plus que fidèle, plus que loyal, et répondant au nom de « Stratège ».  Diagnostic provisoire du vétérinaire : Corona-virus ! Deuxième mauvaise nouvelle coronaire, pardon … corollaire : à  la mort du chien « Stratège », panique dans la résidence du Ministre, et même dans ce quartier mvuandu,  des  ‘’gens-d’en-haut’’. J’en ai eu moi-même la preuve en ramenant mon patron et son épouse à la résidence, depuis l’aéroport. Pas un chat dans la concession. Pas un cri d’oiseau. Pas de personnel de service domestique. Tout ce monde avait pris la tangente et avait confié les clés aux voisins (d’ailleurs passablement méfiants et distants…) Nous n’avons eu que le temps de trouver en catastrophe un hôtel des environs, en attendant que les services de notre dispensaire du quartier désinfectent la résidence de fond en comble.

Troisième motif de colère du patron : le fait que le garde rapproché et moi-même nous n’ayons pas été suffisamment proactifs. Aïe, comble d’imprévoyance justement : nous nous présentés à l’accueil, à l’aéroport,   sans masques-barrières. En somme nous nous sommes comportés, je l’avoue, en messagers apprentis sorciers, incapables de ménager le mental de notre chef par rapport à toutes les mauvaises nouvelles, surtout celle de la mort du chien de garde du nom de « Stratège »…

Inutile de dire que tout le personnel domestique de la résidence ministérielle a été révoqué,  et que les obsèques du quadrupède se sont déroulées, pour ainsi dire, dans la stricte intimité familiale ; mais aussi, par ailleurs, selon les règles sanitaires en vigueur : « mains-propres. Distance- respectueuse. Masques-barrières. Postillons- au- creux- du- coude… ».    Ah,  j’oubliais : la  chienne  du  voisin  du  Ministre, concubine éplorée du cabot défunt, accompagnait la dépouille sous bonne laisse, en traînant  la patte, le gosier étranglé d’émotion, avec des hurlements étouffés sous son masque-barrière attaché au museau.

… Néanmoins, une fois les émotions domptées et une fois de retour à la résidence préalablement désinfectée (dans un mélange de  javel,  de  jus de citronnelle bulukutu, de la pulpe fermentée  du fruit malebo et de parfum sauvage  kongo-bololo), mon patron de Ministre (avec M Majuscule !) a convoqué une réunion confidentielle de crise. Etaient présents : le Ministre, l’épouse du Ministre (‘’mère-ya-palais’’), la secrétaire particulière, le garde du corps rapproché et le chauffeur. Décision : la création d’une « Fondation-Stratégie » (en sigle FS), mais au nom de madame comme paravent et prête-nom. Objectif,  d’après les propres mots du patron: ‘’élargissement de la couverture préventive et, si possible, curative, à l’ensemble des êtres vivants, notamment ceux de la faune domestique ; et renforcement exceptionnel des capacités de distribution des masques-barrières et d’approche au profit des citoyens ‘’d’en-bas’’  certes, mais également au profit des animaux de compagnie (chiens, chats, perroquets, chauves-souris, pensionnaires de la basse-cour, etc.) ». En clair, la distribution gratuite et sans discrimination devait être opérationnelle  sans délais, toutes affaires cessantes. Question de casser le cou à la concurrence déloyale des  innombrables et innommables Fondations et Associations nées de rien, comme-ci comme ça, et soi-disant caritatives ; alors qu’en fait leurs activités, disait le Ministre,  se dévoyaient dans des buts lucratifs d’auto-promotion et d’autopublicité  sociopolitiques.

Au cours de la fameuse réunion de la Fondation FS, le Ministre a mis sur pied un Comité scientifique de proches à lui,  parmi les spécialistes du Corona-Virus,  avec mission : « le contrôle de conformité chimique, technique, bio-éthique, bio-esthétique des masques-barrières en distribution démocratique ».  Seule exception dans le choix de ces spécialistes en principe affidés du Ministre : un jeune premier très médiatique, alchimiste de plantes océaniques artémisinines, mélangées avec des mangroves fluviales et locales …

Autres décisions-phares : madame l’épouse a été confirmée, sans tapage, gestionnaire principale. Bien entendu, suivant instruction orale du Ministre, le chauffeur a été  désigné  dans les fonctions de « factotum-tous-tous-terrains » (ce mot énigmatique, imprononçable et titubant, c’était la première fois que je l’entendais…). Bien entendu, la secrétaire particulière a été, de même, placée dans les fonctions fantomatiques de «  conseillère occulte ».

Dès le lendemain, madame l’épouse, gestionnaire en titre, a convoqué sur recommandation du Comité de supervision scientifique : tous les couturiers,  tous les boutiquiers, tous les pharmaciens, tous les  commissionnaires, tous les bonimenteurs de la fabrication et du commerce des masques-barrières, avec comme messages : l’amélioration des modèles existants de ces masques, leur distribution gratuite et démocratique, et enfin leur conformité aux règles sanitaires, écologiques et légaux. Sur le marché en effet, on avait affaire  à une explosion de marques de masques-barrières les plus fantaisistes, les plus cocasses, les plus carnavalesques.  Par exemples :

-   les masques –sapeurs, inspirés des  pagnes Wax, avec des  motifs et des répliques assortis,  de la tête au pied (du foulard jusqu’aux chaussures, en passant par les vêtements et les sous-vêtements) ; et, en plus avec les effigies et les slogans des porteurs et des porteuses ;

-   les masques-cliniques, disponibles dans les hôpitaux et les pharmacies, moyennant ordonnances médicales ;

-   les masques-voyageurs, sorte de cache-nez et  de  coupe-lumière que les hôtesses de l’air distribuent lors des vols internationaux ;

-   les masques- bio, recueillis dans les tas de feuilles de papayer, d’avocatier ou de chikwangue ;

-   les masques-pende, sur le modèle des costumes rituels en raphia, couvrant l’entièreté du corps.

Tout ça a été amélioré dans la mesure du possible,  puis  distribué gratuitement selon les goûts et le statut des porteuses et des porteurs : dans les marchés encore ouverts, sur les trottoirs encore  déconfinés, dans les hôpitaux encore accessibles, dans les autobus encore en marche, dans les chenils encore désinfectés… C’est qu’à l’appel de madame l’épouse du Ministre, tous les couturiers, négociants et artisans avaient accouru, toutes tendances, tous styles et tous modèles confondus…

… Or, l’affaire-là a commencé à sentir mauvais quand des journalistes mal intentionnés, hostiles à cette campagne de bienfaisance, ont signalé  que « contrairement  aux fanfaronnades tapageuses de Son Excellence et de son épouse, que :  primo, les masques-barrières distribués n’avaient fait l’objet d’aucun contrôle d’hygiène ni de conformité ;  que secundo, l’entreprise gérée  par madame l’épouse s’alimentait des surplus, des surcoûts et des sur-‘’cop’’ évadés du Trésor Public ;  que tertio, les masques-barrières de la Fondation FS ont été retrouvés sur le marché noir, à tarifs spéculatifs, entre les mains vénales de revendeurs véreux ».

Vérification faite discrètement par mes propres soins, par mes propres réseaux, et à l’abri de la vigilance du Comité de supervision bio-éthique et bio-esthétique,  ce marché noir, ce business-‘’cop’’ des masques-barrières  était tripatouillé  par  la … secrétaire particulière et sa clique.

(YOKA  lye)