RDC : la colonialité du savoir. Cas de l’histoire scolaire en RDC (Tribune)

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A la suite de la tribune du député Claudel-André Lubaya, le Professeur Hippolite Mimbu, enseignant à l'UCC et à l'UPC, revient également sur la nécessité de revoir le programme scolaire d'histoire.

Lire aussi : RDC : à l’approche du 30 juin, le député Lubaya plaide pour « la correction du programme scolaire d’histoire »

L’importance de l’histoire et de la conscience historique est largement reconnue. Cette communication  se propose de répondre à la question suivante : quelle idée le  Congo  met-il dans la tête et le cœur des  élèves pour former leur identité ? Qu’enseigne l’histoire à l’école ?

Pour y répondre, l’usage de la méthode comparative tripartite de l’école théologique de Kinshasa est pertinent et utile.

  • Etude d’un objet dans son contexte 
  • Regard sur une réalité similaire dans d’autres contextes
  • A la lumière de cette comparaison, porter un nouveau regard sur le contexte de départ

  Appliquée à cet exposé, cela passe par les rubriques que voici :

  • Les contenus de l’enseignement de l’histoire en RDC.
  •  Les contenus des programmes de l’enseignement de l’histoire en Europe (Belgique, France)
  • Des pistes de réflexion pour un nouveau programme d’histoire en RDC. Il s’agit d’étudier les mécanismes de domination que l’Occident a imposés aux Africains dans l’aperception de leur propre histoire..

1. L’histoire scolaire en RDC

 Le discours provocateur du  président Sarkozy, à Dakar, le 26 juillet 2007, a  prétendu que les Africains ne sont pas encore entrés dans l’histoire. Il a provoqué plusieurs réactions sous forme de livres, comme ci-après (tous trois de 2008) :

  • Adame Ba Konare , Petit précis de remise à niveau sur l’histoire Africaine à l’usage du président Sarkozy.
  • Jean–Pierre Chrétien, l’Afrique de Sarkozy un déni de l’histoire
  • Makhily Gassama, l’Afrique répond à Sarkozy . Contre le discours de Dakar.

En 2016, Macky Sall, le président du Sénégal, disait que les Africains n’ont pas besoin de maîtres pour leur enseigner leur propre histoire. Ils ont  leurs propres maîtres : Cheikh Anta Diop et ses disciples Théophile Obenga, Aboubacry Lam, Molefi Kete Asante et d’autres.

 Qu’en est–il dans le système éducatif RD Congo ?

La colonisation considérait l’histoire comme une discipline subversive. L’Université Lovanium, fondée en 1954, n’a eu un département d’histoire qu’en 1967, soit 13 ans après la  décolonisation politique. A l’école  secondaire jusqu’en 2005, les programmes d’histoire et de  géographie étaient  extravertis en défaveur des réalités nationales, auxquelles ils ne réservaient que 7 % du volume horaire, soit 26 heures pour l’histoire du Congo, 337 aux autres pays et continents  .

L’histoire et la géographie de l’Europe occidentale se réservaient la part de lion.

  • Le programme de 2005 remplace la connaissance de l’altérité européenne par celle de l’altérité asiatique ou américaine :
  •  31,8%, soit 102 heures d’enseignement d’histoire du Congo, et 68,2% le reste des pays et des continents.
  • En 2010, l’UNESCO a mené une enquête continentale sur l’enseignement de l’histoire en Afrique. Dans la majorité de pays africains, l’histoire sous-régionale, celle de l’Afrique et d’autres continents occupent 68 à 84% des heures. Situation presque similaire à celle de la RDC.
  • Comment procède-t-on ailleurs sur d’autres continents avec lesquels les frères africains seront appelés à vivre dans un monde global ?

Le contenu des programmes d’enseignement d’histoire en France et en Belgique

Les programmes scolaires en France et en Belgique ont en commun d’être centrés et focalisés sur l’histoire nationale ou fédérale de l’élève, et d’un seul continent. C’est exactement le contraire de ce qui est imposé aux élèves africains obligés d’étudier l’histoire des cinq continents, en six ans. L’historien français Boilley note dans "Eduquer en pays dominé, p. 76", en octobre 2016, à l’Université de Liège, en Belgique

Le résultat de ces programmes d’histoire en Occident ? En 1995, David Bosch, auteur de Dynamique de la mission chrétienne, écrit : «  Les Occidentaux sont persuadés de pouvoir maîtriser leur destin, grâce à une conviction alimentée dès l’enfance par l’étude de l’histoire. Ils sont certains de posséder la compétence et la volonté nécessaires pour remodeler le monde à leur image » (Bosh, 1995, p. 354.)

En Afrique, quelle est la conséquence de l’enseignement de l’histoire des autres ?

  1. Attitude d’extravasion et d’autodévalorisation,
  2. Manque de confiance en soi
  3. Paupérisation anthropologique (MVENG n° 6) p. 81.
  1. Pistes pour une révision du programme d’histoire au Congo

3.1 Périodisation et chronologie, commencer l’étude du passé à partir de 20.000 ans  av. J.-C. l’époque de la civilisation d’Ishango, 2500 (Kerma et Egypte), 1ère organisation villageoise sur notre territoire.

        3.2 Les apports de l’Afrique au progrès de l’humanité doivent être mis en exergue dans les nouveaux programmes scolaires . il s’agit, entre autres, des contributions suivantes :

 3.2.1 La modernité, au sens archéologique de ce mot, est un don de l’Afrique au monde

 3.2.2 .L’Etat, le calendrier ont été inventés en Afrique

3 2.3. L’Architecture monumentale, le canon en sculpture viennent de l’Egypte pharaonique.

3.2.4.  La contribution africaine à la rationalité, à la pensée et à la théologie méritent aussi d’être soulignées et enseignées à l’école secondaire comme à l’université.

3.2.5.  L’apport de l’Afrique à l’éthique et aux religions révélées (Christianisme et Islam) devra aussi être inséré dans les programmes scolaires et universitaires ;

3.2.6.  La géométrie, la médecine, les mathématiques ont commencé en Afrique

3.2.7. La musique dite « moderne » est pour ainsi dire une invention du Ghana et de deux Congo

Le lecteur cultivé pourrait objecter que cette énumération doit beaucoup à Cheikh Anta DIOP qui a été critiqué. Comment être sûr de ces contributions africaines au progrès de l’humanité ?

Pour faire bref,  l’égyptologue sénégalais a défendu principalement trois thèses :

  1. L’influence civilisatrice de l’Egypte et de la Nubie sur la Grèce
  2. La falsification moderne de l’Histoire de l’humanité
  3. La négritude des Egyptiens

Les deux premières ont été reprises dans les universités anglophones par des universitaires occidentaux de renom Martin BERNAL ,Black Athena, 3 volumes,  (1987-2006) et J.GOODY, Vol de l’Histoire (2006, 2010).

Or, de nos jours, la majorité de spécialistes s’accordent sur ces deux thèses. Quant à la troisième, il y a un large consensus sur le fait que la composante nègre de la civilisation égyptienne était importante à côté d’autres types des populations, pour ne pas parler de race, terme que la science actuelle a invalidé.

L’oeuvre de DIOP a donné naissance à une école de pensée puissante dont la perspective est de plus en plus prise en compte dans les universités de pointe comme Oxford, Cambridge et autres. BERNAL que ses adversaires ont assimilé aux afrocentristes, vingt-deux savants ont essayé de réfuter ses thèses en publiant Black Athena Revisited mais n’ont pas réussi.

Ces deux auteurs africains et britanniques et les études post-coloniales ont rendu irréversible l’émergence des sujets non-occidentaux . 

CONCLUSION

Pour contribuer à l’émergence d’un monde juste et fraternel , la révision des programmes de l’enseignement de l’histoire en Afrique s’impose. Une imitation intelligente de ce qui se fait ailleurs, en Europe entre autres, peut nous inspirer : quatre ans à consacrer à l’étude de l’histoire du pays des apprenants et de l’Afrique (60 %) et deux ans (40% des heures) aux autres pays et continents .

Ensuite, l’étude du passé devrait remonter plus loin dans le temps jusqu’aux premières traces archéologiques de la civilisation d’Ishango.

 L’impératif de l’émergence de la RD Congo justifie une « histoire tonique » (NORA)

Pour approfondir cette réflexion, les lecteurs intéressés voudront bien lire mes articles suivants où ils trouveront aussi toutes les références nécessaires :

  •  MIMBU Kilol Hippolyte, « Histoire et destinée de l’Afrique. Réflexions sur le rôle et la place de l’Histoire dans le système éducatif au Gabon et en RDC», in  Congo-Afrique,  n° 517,  septembre 2017, p. 666-679.
  •  IDEM, « La contribution de l’Afrique à la civilisation universelle du IVe millénaire avant J.-C. au IIIe millénaire après J.-C. », in Charles BECKER ,Jeanne-Lopis SYLLA & Aloyse-Raymond NDIAYE ,  50 ans après Vatican II. L’Afrique et l’héritage d’Alioune Diop : le dialogue des religions et les défis du temps présent. Actes du colloque international, Dakar, 27, 28-29 janvier 2016, numéro double de la revue Présence Africaine. Revue culturelle du monde noir. Nouvelle série bilingue, n° 196-197, Paris, Présence africaine, 2017,  p. 161-172.
  • IDEM, « Histoire et destinée de l’Afrique. Réflexions sur l’histoire scolaire en République Démocratique du Congo », in Franck COLLIN, Jean MOOMOU et Caroline SEVENO (Dir.), Eduquer en pays dominé (Afrique, Amérique, Europe), Paris, Karthala, 2019, p. 71-94 .
  • LUBAYA Claudel-André, « L’heure de vérité et réconciliation a sonné  », disponible à : http : //actualité /cd/index.php/2019/06/03/rdc-lapproche—du-30-juin-le-depute-lubaya-plaide-pour-la-correction-du-programme (consulté le 3 juin 2019)

 

 

 

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