RDC : Comment vaincre les anti-valeurs dans le milieu universitaire ? Entretien avec le professeur Madeleine Mbongo Pasi

Professeure Madeleine Mbongo Pasi.

“Points sexuellement transmissibles”, corruption,  favoritisme et tribalisme, le milieu universitaire congolais est gangrené d’anti-valeurs qui l’empêchent parfois de produire des résultats probants. Madeleine Mbongo Pasi dispense, entre autres, le cours de radio et télévision à l’Institut Facultaire des Sciences de l’Information et de la Communication (IFASIC). Elle explique à ACTUALITE.CD les voies et moyens qui existent pour assainir les institutions académiques de ces fléaux.

Bonjour Madame, vous êtes professeur d’universités. Depuis combien de temps enseignez-vous ?

Madeline Mbongo Pasi : J’ai entamé ma carrière dans l’enseignement supérieur et universitaire en 2003, juste après la soutenance de mon mémoire de licence avec la mention : Grande distinction. Cela m’a valu d’être retenue comme assistante. J’ai dû ensuite monter les échelons en devenant chef des travaux puis professeure en 2015, après ma thèse de doctorat. J’enseigne depuis 16 ans.

Le secteur de l’enseignement est souvent accusé d’être gangrené par la corruption et d’autres anti-valeurs.  A votre niveau, comment faites-vous pour lutter contre ces fléaux dans le milieu universitaire ?

MM : Les anti-valeurs existent dans tous les domaines, même dans le milieu universitaire. La plus dangereuse, c’est la corruption. Viennent ensuite les fameux "points sexuellement transmissibles", le favoritisme et le tribalisme. Ces pratiques tuent les mœurs et ne favorisent pas la méritocratie à l’université. Cela nous préoccupe ! Voilà pourquoi nous avons mis en place une pédagogie qui consiste à suivre l’évolution des étudiants, dès le début, de manière spécifique et systématique. Nous exhortons et encourageons ces derniers à mériter leur réussite parce que la vie professionnelle en dépend. Cette stratégie fonctionne. Nous leur disons, par exemple, que l’IFASIC est un établissement universitaire dont les futurs métiers se pratiquent en public. Si vous êtes incompétent, tout le monde le saura et le verra. En plus, vos chefs seront surtout les anciens de l’IFASIC, qui vous chasseront sans pitié parce qu’ils favorisent l’éclosion de l’élite.  

Selon vous, comment chaque femme à son niveau, peu importe le domaine dans lequel elle évolue, peut-elle faire pour vaincre les anti-valeurs ?

MM : Nous sommes l’objet des discriminations liées au genre et le changement n’est possible que dans la conjugaison des efforts de toutes les femmes. Le mal devient profond à partir du moment où on veut absolument occuper des hautes fonctions même si on n’est pas compétentes. Du coup, les critères objectifs de sélection tombent au profit du sexe. Et la femme cesse d’être actrice d’une société en pleine mutation pour porter l’opprobre d’un objet dont se servent les médiocres de cette même société. Arrêtons ça ! Le statut de la femme doit être respecté, à commencer par elle-même. La femme doit faire preuve de ses compétences et s’en servir. C’est pour moi la formule pour lutter contre les discriminations et les anti-valeurs. Et, aux hommes, je dis : ‘’Cette femme que vous lorgnez au travail, elle est aussi l’épouse d’un monsieur respectable chez lui, voyez-vous !”

Le secteur de l’enseignement en RDC est un milieu dominé par les hommes, comment faites-vous pour rester professionnelle ?

MM : La profession n’a pas de sexe ! Elle a juste besoin de compétences, de la personne qu’il faut à la place qu’il faut et au bon moment. Au travail, je rejette souvent cette conception de me voir femme au milieu des hommes. Je n’ai pas ce complexe-là. Je me concentre sur mes tâches quotidiennes comme tout travailleur. C’est aussi cela être professionnel. C’est savoir s’occuper de ses devoirs journaliers et dans le cas d’espèce, je m’occupe de l’administration de l’IFASIC et ça me va très bien.

A l’IFASIC, vous assumez également les fonctions de secrétaire général administratif. Comment faites-vous pour faire entendre vos décisions ?

MM : J’ai la charge de l’administration. Des responsabilités pareilles exigent une très forte sensibilité et une bonne faculté d’écoute afin de prendre de bonnes résolutions qui garantissent la paix sociale. Les bonnes décisions ne s’imposent pas. Elles sont acceptables par tous parce que découlant d’un bon climat social. J’insiste là-dessus puisque je n’ai pas coutume d’imposer des décisions comme si c’était une affaire privée. Nous travaillons en étroite collaboration avec toutes les parties concernées en mettant en avant le dialogue. Ne l’oubliez pas, nous sommes une université de communication !

Cette année, le thème de la Journée mondiale de la femme a mis l’accent sur la capacité innovatrice de la femme. Comment comptez-vous y faire part ?

MM : La capacité innovatrice de la femme ? Mais c’est ce que, nous, nous faisons tous les jours dans le cadre de notre profession qu'est l’enseignement. Nous cultivons au quotidien cette vie de recherches qui nous impose à être à la page, à actualiser les notions, à vivre selon la vitesse imposée par l’évolution technologique. Sinon, un enseignant ne peut pas exister au point d’être dépassé par les étudiants. Maintenant, l’innovation dans l’entreprenariat féminin est à encourager dans tous les domaines socio-professionnels pour l’équilibre générique d’ici 2030. Cette invitation à la diversité mais dans l’action commune doit préoccuper les différents courants féministes en vue de parvenir au changement tant espéré.

Vous arrive-t-il de rencontrer des obstacles ? Comment faites-vous pour les surmonter ?

MM : La vie professionnelle comme la vie ordinaire s’accompagne d’obstacles et de contraintes. Ils sont inhérents à la vie. Du coup, c’est la faculté à les surmonter, à relever les défis qui fait la différence. Les obstacles et les difficultés ont juste besoin de solutions adaptées à leurs circonstances. Voilà comment je résous mes problèmes. Ce n’est pas dans l’adversité qu’il faut me chercher. Cette attitude à coincer  les autres pour atteindre des objectifs égoïstes ou personnels n’est pas la bonne. Il suffit de prendre un peu du recul, juste le temps de bien analyser le problème auquel on fait face et, avec un minimum de sagesse, l’on parvient à la solution escomptée.

En dehors de l'Institut Facultaire des Sciences de l’information et de la Communication, Madeleine Mbongo Pasi est également professeur à l'Université William Booth, l'Universite Libre de Kinshasa et à l'Université de Kisantu où elle enseigne la radio télévision, la sémiologie, l'Infocom, théories de communication, nouveaux paradigme en communication, Séminaire d'actualités.

Propos recueillis par Prisca Lokale