Le gouvernement congolais, à travers la commission nationale pour les réfugiés (CNR), a décidé le week-end dernier de fermer le camp des déplacés de Mugunga 3, environ six kilomètres à l’Ouest de la ville de Goma (Nord-Kivu), dans l’Est de la République Démocratique du Congo. Mugunga 3 est l’un des anciens camps ayant accueilli entre autres, des milliers des réfugiés rwandais ayant fui la guerre civile de 1994 au pays de mille collines.
Depuis la succession des rébellions dans la province du Nord-Kivu dont le Rassemblement Congolais pour la Démocratie (RCD) en 1998, le Congrès National pour la Défense du Peuple (CNDP) en 2007 et le Mouvement du 23 mars (M23) en 2012, le camp des déplacés de Mugunga 3 a continué de recevoir des personnes fuyant les conflits armés dans divers régions dans la partie Orientale de la RDC.
D’après la Commission nationale pour les réfugiés, instance sous tutelle du ministère de l’intérieur, c’est depuis 2015 que le gouvernement congolais avait pris la décision de fermer progressivement les camps des déplacés dans différentes zones dans la province du Nord-Kivu.
<i>«En 2015, après avoir évalué la situation sécuritaire et humanitaire, le gouvernement avait décidé de fermer progressivement les camps afin de faciliter le retour des déplacés dans leurs villages respectifs. Actuellement, les partenaires humanitaires du gouvernement n’ont plus de moyens pour prendre en charge le séjour des déplacés dans les camps. Après Mugunga, nous allons fermer les camps de Lushebere dans le Masisi, Nyanzale, Muhanga à Rutshuru»</i>, dit Maréchal Mwenyemali, Chef de bureau chargé des déplacés internes à l’antenne de CNR Nord-Kivu.
<b>Un retour dans un contexte sécuritaire précaire</b>
Plus de Vingt (20) ans après sa création, le camp des déplacés de Mugunga 3 a hébergé des personnes venues notamment des territoires de Rutshuru, Masisi et Walikale. En dépit de la décision du gouvernement, les déplacés de guerre ne peuvent pas tous rentrer dans leurs milieux d’origine à cause de l’insécurité qui y règne suite notamment à l’activisme des groupes armés tant locaux qu’étrangers. Ce qui les oblige à quitter le camp Mugunga 3 pour réintégrer un autre.
<i>«Je vis dans ce camp depuis 2007, ça fait dix ans depuis que la guerre sévit chez moi à Mwangu. Je rentre dans un autre camp parce que la sécurité n’est pas garantie dans mon village, mon champ avait été ravi depuis longtemps à Masisi», </i>raconte une femme qui avait fui la guerre du CNDP de Laurent Nkunda à Masisi. Cette dernière est accompagnée de Hakizimana Bugwiri , un autre déplacé qui confie <i>: «Je rentre dans le camp des déplacés de Kalinga à Masisi »</i>
La rébellion M23 partie en 2012 de la colline de Runyonyi (Territoire de Rutshuru) en frontière avec la République de l'Ouganda avait également causé le déplacement de plusieurs centaines de familles vers les périphéries de la ville de Goma et Mugunga. <i>«Vous me rencontrez en train de démolir mon logis pour rentrer chez moi à Rugari. Je campe ici depuis la guerre de M23. Mais je ne suis pas contente de renter chez moi parce qu’il y a encore de l’insécurité. Cela m’obligera de mener encore une vie plus précaire»</i>, a déclaré une femme déplacée de Rugari, localité comprise entre Kibumba et Rutshuru.
Pendant la guerre de la nébuleuse rébellion du M23, les déplacés étaient en principe admis au camp de Kanyaruchinya (6 kilomètres au Nord de Goma). Cependant, ce site d’accueil avait été démoli car subissait des effets des bombes ainsi que d’autres explosifs à longue portée en provenance de champ de bataille. C’est ainsi que pour éviter les morts de trop, le gouvernement ensemble avec ses partenaires techniques et humanitaires ont résolu de délocaliser les personnes et leurs biens au camp de Mugunga.
<b>Comment s’organise le retour ?</b>
[caption id="attachment_23248" align="alignnone" width="500"]<img class="wp-image-23248 size-full" src="https://actualite.cd/wp-content/uploads/2017/08/Phooo.jpg" alt="" width="500" height="374" /> Des déplacés de Mugunga au Nord-Kivu.[/caption]
La plupart des déplacés interrogés se disent non honorés par les gestionnaires de camp (Gouvernement et partenaires) pour n’avoir pas mis à leur disposition de kits d’accompagnement afin de faciliter la réinsertion dans leurs villages.
<i>«Je suis prête à quitter ce camp 7 ans après, mais notre départ n’est pas bien organisé. Nous sommes de différentes localités notamment Kitshanga, Mweso, mais nous ne savons pas comment rentrer avec des enfants et des bagages. Ils nous demandent d’évacuer le camp mais nous ne savons pas comment atteindre nos villages, c’est ce qui nous préoccupe car il y a aucun moyen de transport mis à notre disposition», </i>se plaint une habitante de Kitshanga, localité située à 80 kilomètres au Sud-Ouest de Goma.
<i>«Le retour des déplacés n’est pas volontaire. Le gouvernement semble imposer sa décision de dégarnir le camp. Ils ont demandé à toute personne (vieillards, handicapés, orphelins…) de quitter le camp pourtant dans la plupart des villages la paix n’est pas encore effective. Il est vrai que la vie dans le camp n’est pas bonne mais un déplacé de guerre a des droits en cas pareil ; il faut un kit d’accompagnement parce que plusieurs maisons ont été détruites pendant la guerre. Et maintenant que tout cela n’est pas garanti par le gouvernement, comment ces personnes déplacées vont vivre dans leurs milieux d’origine ? Comment un vieillard quittera Mugunga jusqu’à Walikale sans un moyen de transport? Ils nous disent qu’il y a aucun véhicule qui sera mis à disposition»</i>, indique Ghislain Bazimaziki, président de camp des déplacés de Mugunga 3.
A force de vivre dans la précarité, certains déplacés, malades, n’ont ni à manger ni accès aux soins de santé. Obligés par le gouvernement de quitter le camp, leur condition de vie risquent de s’empirer.
<i>«Ici au camp, ils ne nous garantissent rien à manger, nous passons la nuit presque à la belle étoile. Pas des soins lorsque nos enfants tombent malades, d’autres sont carrément partis vivre dans les rues», </i>lance mélancoliquement une femme portant son fils au dos.
<b>Le gouvernement déterminé à parachever un programme amorcé</b>
D’après les statistiques livrées par la CNR, le camp de Mugunga 3 comptait au jour de sa fermeture 1223 ménages, soit environ 3934 personnes. Ces personnes devraient désormais, soit réintégrer les camps de Kalinga, de Kihondo, de Mweso et de Lushebere dans le Masisi et le camp de Nyanzale dans le Rutshuru, soit se réinsérer socialement à Mugunga et d’autres quartiers périphériques de Goma.
<i>«Ce processus ne commence pas aujourd’hui. Nous avons des étapes à suivre avant de fermer un site des déplacés. Nous commençons par la sensibilisation de tous les déplacés pour leur dire au préalable que nous allons fermer le camp. Nous collectons les intentions d’une manière individuelle et volontaire pour choisir soit le retour, la réintégration locale ou la relocalisation»</i>, justifie Maréchal Mwenyemali, Chef de bureau chargé des déplacés internes à l’antenne de CNR Nord-Kivu.
Tout en affirmant que ces démarches entrent <i>«dans le cadre des solutions durables», </i>M. Mwenyemali précise qu’au camp de Mugunga 3, six ménages seulement ont refusé de regagner les villages à cause de l’insécurité. Ils seront casés dans les sites de Kalinga, Bukombo (Masisi).
<img class="alignnone wp-image-23250 size-full" src="https://actualite.cd/wp-content/uploads/2017/08/idp_camps_mugonga_visit…; alt="" width="380" height="220" />
<b>Mugunga 3 dégarni au lendemain de sa visite par la SGA de l’ONU</b>
La fermeture de camp de Mugunga 3 est intervenue un jour après que la Secrétaire générale adjointe de l'ONU, Amina J. Mohammed s’y est rendue pour réconforter les femmes déplacées <i>«qu’elles puissent retourner dans leurs villages en dignité »</i>.
Amina J. Mohammed accompagnée des représentants des agences du système des Nations-Unies a promis de plaider auprès de hautes instances pour trouver des ressources permettant d'assurer une meilleure installation des femmes lorsqu'elles retournent dans leurs lieux d'origine.
D’après les prévisions du gouvernement congolais, au total 12 sites hébergeant les déplacés de guerre seront fermés à travers la province du Nord-Kivu.
En 2008, 2009, 2012 et 2013, le gouvernement avait déjà fermé les camps des déplacés de Buhimba, Bulengo, CCLK, Nzulo, Mugunga 1 et 2. Mugunga 3 était alors choisi pour regrouper les personnes <i>«les plus vulnérables».</i>
<b>Patrick Maki</b>