Butembo : paralysie des activités pour décrier les récents massacres des ADF à Lubero et Beni

Des manifestants dans la rue à Butembo
Des manifestants dans la rue à Butembo

Les activités socio-économiques ont été partiellement paralysées ce jeudi 11 septembre dans la matinée dans la ville de Butembo, dans la province du Nord-Kivu. La société civile urbaine et le mouvement citoyen Lutte pour le Changement (LUCHA), en solidarité avec les communautés endeuillées par les récentes attaques des rebelles ADF, ont organisé une journée de « deuil sans activités ». Ces attaques ont coûté la vie à plus de 70 civils à Ntoyo, dans le territoire de Lubero, et à 18 autres à Fotodu, dans le secteur de Beni-Mbau (territoire de Beni).

Le long du boulevard Président de la République, presque toutes les portes des magasins et galeries de commerce sont restées fermées. Les banques, quant à elles, ont clos leurs portes principales, ne laissant ouvertes que de petites entrées pour accueillir les rares clients, a constaté ACTUALITÉ.CD. Dans les quartiers, plusieurs habitants ont organisé des rassemblements spontanés, discutant de la situation sécuritaire et socio-politique de la province. Les écoles primaires, secondaires et les universités n’ont pas non plus ouvert leurs portes ; aucun élève ou étudiant n'était visible.

Cependant, en périphérie de la ville  notamment à Rughenda, Mutiri, Vuhira, Katwa, et dans d’autres zones les activités tournaient au ralenti malgré l’appel au deuil lancé par les coordinations de la société civile du Grand-Nord.  Selon John Paluku Kameta, président de la société civile de Bulengera, le marché central, les boutiques, les magasins et les institutions bancaires sont restés fermés au centre commercial de Butembo. La circulation des véhicules était très faible, bien qu’aucune barricade n’ait été érigée sur les grandes artères. Certains commerçants visibles au centre-ville restaient bras croisés devant leurs échoppes.

La même situation a été observée dans les rues secondaires et les quartiers périphériques, où, malgré tout, quelques petits commerçants  principalement des vendeurs de produits vivriers ont poursuivi leurs activités. Aux environs de 10h45, des affrontements ont éclaté entre des manifestants et des éléments de la police. Cette dernière a fait usage de tirs à balles réelles, tandis que les manifestants répondaient par des jets de pierres. Plusieurs artères, notamment du côté de Furu et de Mutsanga, ont été bloquées par des barricades, et la majorité des commerces y sont restés fermés. Aucun incident grave n’a toutefois été signalé jusqu’à présent.

D’après Jean-Pierre Kasma, militant de la LUCHA à Butembo, cette journée était également dédiée à la réflexion. Selon lui, tous les acteurs sociaux sont appelés à « réfléchir sur des actions à mener » pour faire face à l’ennemi commun.

« Nous avons lancé aujourd’hui une journée ville morte à Butembo, afin de dénoncer une fois de plus les massacres qui continuent et s’amplifient dans les territoires de Lubero, Beni et Ituri, et d’interpeller le gouvernement à agir. Pour rappel, le lundi 8 septembre, un massacre de plus de 100 personnes a eu lieu à Ntoyo, près de Mangurejipa. Jusqu’à présent, aucune action concrète n’a été entreprise par le gouvernement. Notre gouvernement reste silencieux, se limite aux déclarations, et semble incapable d’agir. Pour nous, il était nécessaire de réveiller un peu la population afin qu’elle devienne plus exigeante envers le gouvernement, qui a la responsabilité première de sécuriser les citoyens et leurs biens. C’est pourquoi nous avons appelé à cette journée « ville morte » aujourd’hui, suite à la marche pacifique organisée hier par la LUCHA. Nous avons donc initié cette action pour pousser le gouvernement à prendre au sérieux la question des ADF, qui semble être oubliée, contrairement à celle du M23, largement médiatisée. La question des ADF, elle, semble reléguée aux oubliettes », déclare-t-il.

Et de poursuivre : 

« Notre cible, c’est la Présidence, c’est-à-dire le Chef de l’État lui-même. Il est le garant de la Nation, le garant de notre sécurité, parce qu’il est le Commandant suprême des Forces armées. Nous voulons l’atteindre, et l’atteindre, c’est lui dire : combien de morts faut-il encore pour qu’il agisse enfin ? On a vu des drones utilisés dans la guerre contre les rebelles du M23. Mais où sont ces drones quand il s’agit de venir survoler et cibler les zones où se cachent les ADF ? Parce que les ADF ne sont pas loin de nos villages. Ils tuent, puis se replient à proximité, et pourtant, il n’y a toujours pas d’action sérieuse. Donc oui, notre cible, c’est le Président de la République. Il doit comprendre que nous sommes profondément en colère, et que nous attendons son intervention ».

L’attaque de Ntoyo constitue la plus meurtrière enregistrée dans le secteur de Bapere (territoire de Lubero), où les combattants ADF opèrent depuis plus d’un an. Au moins 72 personnes ont perdu la vie dans cette offensive sanglante menée dans la nuit du lundi 8 au mardi 9 septembre. Ntoyo est un village de la localité de Mahoho, situé à près de 7 km à l’est de Manguredjipa, dans le secteur de Bapere (Lubero).

En tout, 80 civils ont été tués en deux jours dans les territoires de Lubero et de Beni, selon les chiffres rapportés par le gouvernement congolais.

De nombreuses voix s’élèvent déjà pour condamner ces massacres. C’est le cas du président du parti Ensemble pour la République, Moïse Katumbi, qui a dénoncé avec fermeté les tueries. L’opposant accuse les autorités sécuritaires d’avoir été alertées, mais de n’avoir pris aucune mesure à temps.

La coalition Lamuka a également exprimé son indignation face au silence du gouvernement central, qui ne s’est exprimé que tardivement sur ce carnage. Prince Epenge, porte-parole de cette plateforme de l’opposition conduite par Martin Fayulu, a, dans un message il dénoncé la passivité de Kinshasa, allant jusqu’à réclamer un deuil national de trois jours en mémoire des victimes.

Josué Mutanava, à Goma