RDC : Suspension des cours dans plusieurs écoles de Rutshuru, Kinshasa ne paie pas les enseignants depuis cinq mois, les parents cotisent dans certains cas pour l’éducation des enfants

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Depuis près de trois mois, l’éducation est en crise dans plusieurs établissements de la chefferie de Bwito, dans le territoire de Rutshuru (Nord-Kivu). À l’origine : une grève prolongée des enseignants qui ne sont pas payés depuis cinq mois. La majorité des écoles primaires de la sous-division éducationnelle de Rutshuru 4 ont suspendu leurs activités depuis le 6 mars dernier. Seuls les élèves finalistes poursuivent difficilement les cours en prévision des épreuves nationales de fin d’études primaires (ENAFEP).

Les enseignants réclament le paiement de leurs salaires impayés depuis janvier 2025. Si certains établissements ont récemment perçu partiellement le salaire du mois de mars, la majorité d’entre eux dénoncent une gestion « irrégulière et discriminatoire » des paiements. La Caritas Goma, structure chargée de paie dans la région, est pointée du doigt.

Selon d'autres sources éducatives, seuls les enseignants de deux écoles du centre scolaire de Kibirizi et de quatre écoles du centre scolaire de Kikuku ont perçu leur salaire de mars 2025. Le sort des mois précédents ou suivants reste incertain. Entre-temps, les enseignants des autres établissements ne savent plus vers quelle autorité se tourner pour faire entendre leurs revendications, après l'échec des plaidoyers menés notamment par des élus locaux.

« Je suis directeur dans une école à Kibirizi. Cela fait plus de cinq mois que je ne suis pas payé. Aujourd'hui, j’ai du mal à prendre en charge ma famille, surtout à subvenir à leurs besoins, car l’État ne nous a toujours pas payés, mes collègues et moi. Nous avons décidé d’abandonner temporairement notre travail, en attendant que l’État assume enfin ses responsabilités. Les enseignants du territoire de Rutshuru souffrent énormément. Certains ont même choisi de se tourner vers les travaux agricoles, dans l’espoir de pouvoir nourrir leurs familles. Comment comprendre que seuls les enseignants de six écoles sur des dizaines reçoivent un mois de salaire, pendant que d'autres attendent toujours ? », s’interroge un directeur d’école de Kibirizi.

Cotiser pour prendre en charge les enseignants

Dans plusieurs établissements, les horaires journaliers sont écourtés ou complètement interrompus. Pour pallier le manque de revenus des enseignants, certains parents d’élèves ont accepté de verser une cotisation de 5 000 francs congolais par trimestre. Mais ce soutien communautaire reste insuffisant et inégal. Les élèves dont les familles ne peuvent s’acquitter de cette somme sont renvoyés. Ce recours aux contributions locales fait suite au retard prolongé dans le paiement des salaires des enseignants.

« Les activités se déroulent normalement, mais dans la majorité des écoles primaires, les cours s’arrêtent vers 11 heures. À Kibirizi, les parents sont obligés de verser au moins 5 000 francs congolais pour soutenir les enseignants, et ce sont parfois des classes entières qui sont renvoyées pour non-paiement. La majorité des enseignants n’ont toujours pas reçu leurs salaires. Certains ne se rendent même plus à l’école », témoigne un parent.

La chefferie voisine de Bwisha, dans les sous-divisions scolaires de Rutshuru 3 et 4, connaît une situation similaire. Dans les groupements de Jomba, Kisigari et Binza, la grève a repris de plus belle après une brève suspension pendant les examens du deuxième trimestre. Faute de solution durable, les enseignants des classes intermédiaires envisagent désormais de compiler les résultats des deux premiers trimestres pour valider l’année scolaire.

La crise s’étend bien au-delà du territoire de Rutshuru. Le 10 avril dernier, les enseignants des provinces éducationnelles Nord-Kivu 1 et 3 couvrant notamment Goma, Masisi et Walikale  avaient adressé une lettre à la ministre de l’Éducation nationale, Raïssa Malu. Ils y dénonçaient une gestion inéquitable de leur rémunération par la Caritas Goma, malgré le respect des procédures administratives requises.

Cette crise éducative se déroule dans un climat sécuritaire et humanitaire particulièrement précaire. Depuis l’occupation de Goma et d'autres localités par les rebelles de l’AFC/M23, les banques et les institutions financières ont suspendu leurs activités, perturbant les opérations de paiement dans la région. Le gouvernement avait promis de mettre en place des mécanismes alternatifs pour garantir la rémunération des fonctionnaires. Mais sur le terrain, ces engagements tardent à se concrétiser.

En mars dernier, la ministre de l’Éducation avait pourtant assuré que Kinshasa prendrait en charge les enseignants non payés. Pour beaucoup d’entre eux, ces promesses restent sans suite concrète.

Josué Mutanava, à Goma