Exposition "Fragments" : entre tradition et modernité, les rites funéraires sous le regard de Botembe Moseka

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Une photo de Maïte à l’exposition "Fragment"

L’Institut Français de Kinshasa accueille l’exposition intitulée "Fragments" dans sa salle d’exposition jusqu’au 31 octobre prochain. Aux côtés des tableaux de peinture et des œuvres de sculpture, la photographe Maïté Botembe Moseka a une place de choix, où elle a placé une exposition qui, selon elle, renforce les photos accrochées aux murs.

Loin de l'impressionnisme qui la caractérise habituellement, en capturant les effets de la lumière et du mouvement, Moseka confronte cette fois les spectateurs à une réalité crue et actuelle : la mort et les rites funéraires. L'artiste invite à une réflexion profonde sur la manière dont les sociétés modernes ont transformé ces rites par rapport à un passé où chaque geste était porteur de signification.

"Nous avons perdu certaines habitudes dans nos sociétés modernes, comme laver les mains après être revenu d’un cimetière ou brûler des pneus lors des deuils dans les quartiers", confie Maïté Botembe Moseka à ACTUALITE.CD.

À travers une installation composée de draps mortuaires, cercueils, sable, rameaux, un tabouret, deux bassins d’eau et des photographies accrochées aux murs, Moseka interroge le rapport à la mort, à la tradition et à la modernité. Les photos plongent le spectateur dans un univers sombre et introspectif, avec des images réalistes de cercueils, parfois dans des positions inattendues, reconnaissables sans ambiguïté par la mémoire collective.

"Ce travail est pour moi un espace de dialogue, une négociation sur les valeurs liées à la conservation de la mémoire de la mort", explique Moseka.

En adoptant un style plus documentaire et sociologique, elle met en lumière les contradictions de la société congolaise, qui se laisse séduire par les normes esthétiques et les pratiques consuméristes, même dans le domaine funéraire. Cette quête de l’apparence, au détriment du sens et de la simplicité, est pour elle une dénaturation des rites funéraires.

Son travail repose sur un constat implacable : la banalisation de la mort, symbolisée par l'omniprésence des cercueils "bling-bling" et des tissus importés, est en rupture avec les traditions ancestrales.

"Les gens ajoutent des fantaisies. On voit de plus en plus de cercueils bling-bling. À une époque, nous honorions nos morts en les enterrant dignement sous terre, cercueil ou non", déplore-t-elle.

En exposant ces contradictions, l'artiste ne juge pas, mais invite à un débat. Elle pousse à s'interroger sur les valeurs à transmettre aux générations futures en matière de rites funéraires. Les photographies de cercueils, de tissus mortuaires et d'objets rituels suscitent chez le public des émotions variées : certains sont troublés, d'autres émus, tandis que d'autres encore réfléchissent à leur propre rapport à la mort.

L'art contemporain, souvent provocateur et dérangeant, peut aussi être beau et poétique, soulevant des questions importantes sur la société, la culture et l'identité. Il expérimente de nouveaux matériaux et techniques, tels que l'installation, la performance et l'art participatif. Maïté Botembe Moseka s'inscrit dans cette démarche, observant avec une certaine distance les transformations des rites funéraires, tout en soulignant la perte de certaines traditions au profit de pratiques plus occidentalisées.

Maïté n'est pas partisane d'un retour brutal à une époque où la tradition dictait la conduite sociale. Elle se positionne entre les deux, consciente de vivre dans une société moderne, sans renier pour autant son identité d'avant la modernisation.

Tout est parti d’un récent voyage de l’artiste à Goma, dans la province du Nord-Kivu, où elle a effectué une résidence pour la première de son film et donné des cours dans des camps de déplacés victimes de l'insécurité dans l'Est de la RDC. Elle y a remarqué des cercueils en vente dans les rues, avec une présence importante de cercueils pour enfants. "Cependant, il y a encore des gens qui sont enterrés dans des sachets, directement sous terre, faute de cercueils", regrette-t-elle.

Son interrogation est née de la question de savoir ce que symbolise la mort dans un environnement où la vie est au centre des préoccupations. De retour à Kinshasa, elle a approfondi ses observations et questions, jusqu'à créer les œuvres exposées.

"Tout le monde a peur de la mort, mais moi, j’ai perdu cette peur en étant à Goma", conclut-elle.

En abordant ce sujet, elle fait face aux regards de la société et à divers jugements. Mais lors des discussions avec les visiteurs de l'exposition, certains partagent leurs propres interprétations, d'autres se remémorent leurs expériences personnelles. L’exposition "Fragments" court encore pour un peu plus d’une semaine.

Kuzamba Mbuangu