L'opposant congolais a profité de son récent séjour à Bruxelles pour accorder une interview exclusive à ACTUALITE.CD et Jeune Afrique. Moïse Katumbi est revenu sur plusieurs sujets d'actualité, dont le débat sur la révision de la Constitution engagée par le parti au pouvoir, Union pour la Démocratie et le Progrès Social, (UDPS). Interview
Katumbi borderline, c'est le propos du président de la République et c'est comme ça qu'il vous qualifie. Est-ce un qualificatif qui vous convient ?
Peut-être le président ne connait-il pas la définition exacte de ce mot. Ceux qui me connaissent savent que je suis constant dans mes prises de position et déterminé dans mes actions. Je vais au bout de mes engagements.
Donc c'est un qualificatif qui ne vous convient pas ?
Pas du tout. Je le répète, je suis d’un tempérament constant. Ceux qui me connaissent le savent.
L'Udps, le parti au pouvoir milite depuis pour la révision de la Constitution. On parlerait même d'un quatrième pénalty. Comment allez-vous réagir ?
Un quatrième faux pénalty. Heureusement Dieu fait des choses. C'est dans mon appartement ici à Bruxelles qu'on tenait nos réunions à l'époque avec y compris le président Tshisekedi, Vital Kamerhe, l'actuel président de l'Assemblée nationale. C'est à ce moment-là que nous disions "pasi na yo, pasi na ngai" [Mon malheur, ton malheur] et nous montions des stratégies pour contrer le changement de la Constitution par le président Kabila. On peut regarder les déclarations du président Tshisekedi à l'époque. Que ça soit en lingala ou en français, il a répété la même chose, disant qu'on ne doit pas toucher à la Constitution. Et c'est la même Constitution aujourd’hui. Le problème en RDC aujourd'hui, ce n'est pas la Constitution. C'est le manque de bonne gouvernance. Nous avons une bonne Constitution. Rien ne justifie de la changer.
Il y a cette question de la double nationalité, celle de la présidentielle à deux tours, il y a la loi électorale. Vous avez toujours exigé des réformes.
Le président doit terminer son mandat et partir. Il ne faut pas qu'il touche à la Constitution. Avant d’arriver au pouvoir, il était contre toute modification de la Constitution, ne fut-ce que d’un seul de ses articles pour ne pas ouvrir la boîte de Pandore. C’était le cas également du professeur Mbata, du professeur Ndjoli, du professeur Esambo, le conseiller spécial à la Présidence, qui avait démissionné de la Cour constitutionnelle pour protester contre toute modification du texte constitutionnel. Nous avons une Constitution et ce n'est pas elle qui nous commande d'aller tirer sur nos enfants au Kongo Central. Ce n'est pas la Constitution qui nous demande de ne pas construire chez nous ni de détourner ou dépenser abusivement l'argent de l'Etat. Je le répète, le problème aujourd'hui en RDC, ce n’est pas la Constitution. C'est la mauvaise gouvernance.
Mais le président Tshisekedi n'a jamais dit qu'il voulait s'éterniser au pouvoir
Personne n’est naïf. Si certains veulent changer la Constitution, c’est pour permettre au président actuel d’effectuer un troisième mandat. Le reste, ça n’est que de l’habillage.
Pourquoi ne devrait-on pas le faire selon vous si les réformes s'imposent ?
L’urgence, ça n’est pas de changer la Constitution qui est une bonne Constitution. C’est de travailler pour soulager la population dont les conditions de vie se sont détériorées partout. L’urgence, c’est de venir en aide à nos concitoyens de l’est qui sont dans la guerre. Je constate qu’au sein du pouvoir, certains ne pensent qu’à une chose : s’éterniser au pouvoir, plutôt que l’exercer au service de la population. Vouloir changer la Constitution à des fins personnels, c’est l’assurance de diviser encore plus profondément le pays qu’il ne l’est déjà.
Puisque vous parlez de la cohésion, il y a Martin Fayulu qui est de l'opposition comme vous, qui prône la cohésion nationale. Quelle est votre position quant à ce ?
Je reste constant dans ses positions. Pendant la campagne, j'avais promis que si je suis élu, je vais terminer la guerre et résoudre les problèmes de la population congolaise. Nous avions eu des élections chaotiques dans notre pays. Le président Tshisekedi est légal en tant que président mais manque de légitimité comme président. C'est le problème que nous avons dans ce pays depuis 2018.
Un semblant d’élections a eu lieu en décembre 2023. La fraude a été massive. Résultat : nous avons un président légal, mais pas légitime. Pour autant, en l’état actuel, dialoguer ne servirait à rien. Il vaut mieux que le président et son gouvernement travaillent pour le temps qui leur reste avant de céder la place dans quatre ans comme l’impose la Constitution.
Pensez-vous que le pays a un problème de légitimité et que les élections de 2023 n'ont rien apporté ?
C’est une évidence. Dites-moi dans quel pays on peut accepter le résultat des élections si l'on trouve plusieurs machines à voter entre les mains des membres de la majorité ici représentée par l'Union sacrée ? En décembre 2023, il n’y a pas eu élection. Il s’est agi d’un vaste processus de nomination.
Le Président Tshisekedi a déclaré qu'il n'y avait ni nécessité ni opportunité d'un dialogue.
Voilà. Pourtant ce que nous voyons aujourd'hui, c’est la souffrance et la misère de la population, la corruption, les détournements massifs d’argent public, les arrestations arbitraires dont vous-même avez été victime il n'y a pas si longtemps.
Ne pensez-vous pas que ce sont des questions qui peuvent être évoquées entre responsables politiques ?
Ce n'est pas le bon moment. Que le président travaille. Il a fait beaucoup de promesses à la population. Il doit les tenir. Certains veulent le dialogue pour le partage du pouvoir. Moi, je ne suis pas un demandeur d'emploi. On m'avait proposé la primature, j'ai refusé. J'ai démissionné en tant que gouverneur du grand Katanga. Le plus important, c'est de réaliser les promesses faites aux gens et ce n'est pas le dialogue qui va résoudre tous ces problèmes-là. Nous avons beaucoup de problèmes dans ce pays et, je crois qu'on a besoin de cohésion.
Mais comment avoir cette cohésion si les acteurs ne se mettent pas autour d'une même table ?
Le problème, ce n'est pas se mettre autour d'une même table. Il y a un gouvernement qui a la majorité au Parlement. La majorité a tous les gouverneurs dans toutes les provinces. Qu'elle se mette au travail. Les gens sont très mal payés. Le train de vie de l'Etat surtout des acteurs politiques est très élevé avec des voyages que je qualifierais d'inutile. Le Congo aujourd'hui est devenu le premier pays africain consommateur de champagne dans la capitale de Kinshasa où la population n'a pas d'eau potable ni d'électricité, où les gens souffrent, où il n'y a plus de routes, etc. Nous devons faire très attention. La population n'est pas bête. Elle observe et sait très bien ce qui se passe.
On vous accuse d'avoir entamé des travaux de réhabilitation d'un aérodrome sans saisir, au préalable, l'autorité urbaine. Quelle preuve avez-vous pour faire mentir ceux qui ne jurent que par une poursuite judiciaire contre Moïse Katumbi ?
On est habitué maintenant avec des faux dossiers dans notre pays. C'est une piste qui existe depuis 1970. On avait fermé notre camp de pêche en 1973. Et quand je suis allé là, en famille, voir la population, j’ai fait 5 heures de bateau. J'ai eu les larmes aux yeux en arrivant sur place. L'école qu'on avait laissée n'existe plus puisque l'Etat n'existe plus chez nous. Même quand on parle 145 territoires, c'est de l'utopie. J'ai vu des petits enfants de 6 ans quitter à 4 heures du matin pour aller à 10 kilomètres et sont transportés par les grands frères de 10 voire 12 ans. Et beaucoup de nos enfants dans ce coin ne vont plus à l'école à cause de la distance à parcourir par jour. On m'a demandé de construire une école, j'ai construit une école pour 600 élèves. Ils m'ont demandé aussi de les aider avec un hôpital puisqu'un jour on a transporté une femme qui était morte avec son bébé parce qu'il n'y a plus de routes. Celles que j'ai laissées n'existent plus. Je suis un homme qui pense à l'autre. Je fais du bien à l'autre. La population m'a demandé de réhabiliter la route de Mulonde à Lubumbashi. C'est plus ou moins 500 kilomètres. J’ai dit non, je n'ai pas les moyens de faire ça, je fais les 10 kilomètres. Après, ils me diront c'est vrai vous nous construisez l'hôpital. Mais les médecins viendront comment ? Sachant que pour aller là, l'ancien ministre Mwando, qui revenait de Moba pendant les vacances parlementaires avec une nouvelle Jeep, a fait 3 semaines sur cette route de Mulonde à Lubumbashi. Vous vous rendez compte que si on doit envoyer des vaccins, on n'a pas de camions frigorifiques, si on amenait des médecins pour intervenir, etc. Et ils m'ont dit pourquoi vous ne réhabiliterez pas la piste qui existe. J'ai réhabilité plusieurs pistes et j'ai commencé à réhabiliter cette piste parce qu'elle est dans une concession privée, la nôtre. Chaque année, je réhabilite la piste de Kashobwe, de Kilua, et d'autres pistes en terre parce qu'après la saison de pluie, il faut réhabiliter. Et c'est le propriétaire, d'après la loi, qui doit le faire.
Mais pourquoi ne pas avoir avisé préalablement les autorités ?
Quand vous lisez la lettre, on dit qu'il fallait faire une demande de formulaire. Mais le formulaire qu'on nous donne, c'est pour la construction. La réhabilitation, il y a combien de pistes en terre, qu'on réhabilite chaque année après la saison des pluies dans le Nord-Kivu. Quand vous réhabilitez, vous n'avez pas besoin de demander la permission. Et si sur la piste il y a un trou ou de l'eau quand il faut atterrir, il faut laisser comme ça pour tuer des gens ? Il faut avoir cette volonté d'aider, il faut aimer le prochain. Quand je le fais, c'est parce que l'État est absent. Ces gens qui sont en train de mourir, ce sont des Congolais. Au contraire, je devais être félicité d'avoir réhabilité la piste. Je le fais régulièrement : demander aux gens de Kilwa, chaque année je réhabilite la piste. Et je n'ai jamais demandé de permission.
Vous violez donc la loi ?
Lisez bien la loi très bien. On parle de modification et de construction. La modification, c'est quand vous voulez, par exemple, asphalter une piste en terre ou si vous voulez prolonger la piste. Mais moi, je n'ai pas fait tout ça. C'est une piste de 1300 mètres et en réhabilitation, je suis à plus ou moins 900 mètres. Il faut quand même qu'on soit sérieux. Ce que je fais, c'est normalement l'Etat qui devait le faire ailleurs, sur d'autres pistes.
Mais si la population vous avait alerté, il ne fallait pas, à votre niveau, saisir les officiels ?
Pas du tout. Pas pour la réhabilitation. Quand on termine la réhabilitation, on appelle maintenant l'avion civile pour venir constater et apprécier le travail réalisé. Ce sont des pistes qui existent. Quand vous réhabilitez, les gens de l’avion civile viennent voir les travaux. Je le fais régulièrement et ils viennent de temps en temps à Kashobwe pour vérifier sans les aviser. Quand il y a des trous, ils vous disent que vous ne pouvez pas atterrir, réhabilitez d’abord la piste. Il y a combien de pistes ici au pays ? Demandez la liste.
Le problème ici, c’est qu’on parle d’un lieu qui se situe à peine 100 kilomètres de la Zambie
Si on ne connaît pas le pays, c’est malheureux. Aujourd’hui, on a Google. Il faut alors y aller. Mulunde est à 100 kilomètres de la Zambie et que dire de Kashobwe, mon village, qui est à 800 mètres de la Zambie ? Et la piste de Kashobwe fait 2 kilomètres 300, le double de la petite piste de Mulonde. Dites-moi une rébellion où on a utilisé des petits porteurs pour amener 6 personnes. C’est grotesque.
Mais selon les informations obtenues des sources proches de l’armée, la piste de Mulonde serait préparée à accueillir de gros porteurs aussi.
C’est totalement faux. Jusque-là, on n’a même pas dépassé 1000 mètres. Vous pouvez aller vérifier. Je demande à tout le monde d’y aller. La piste de Kashobwe a 80 mètres sur 2 kilomètres 300, avez-vous vu de gros porteurs atterrir là ? Encore que là, je suis à la frontière avec la Zambie. Quand on cherche des poux, il faut bien les chercher. Moi, je suis en train d’aider ma population, et je continuerai à le faire. On ne peut pas me l’interdire. Le président Tshisekedi est allé inaugurer un pont à Kasenga. Qui a construit la piste sur laquelle il a atterri avec son hélicoptère ? C’est moi qui ai construit cela.
La personne de Katumbi qui veut se substituer à l’Etat ?
Non. J’interviens là où il y a un besoin. Quand je construis des blocs opératoires, pourquoi je le fais ? Pourquoi je donne des ambulances là où il n’y a pas d'ambulances ? Pourquoi j’ai construit des hôpitaux ? Parce que l’Etat est absent, il est en faillite
Ça ne doit pas être une excuse pour violer la loi ?
Ce n’est pas violer la loi. Lisez bien la loi. Ce n’est pas une modification ni une construction. Je réhabilite.
C’est quoi la situation aujourd’hui à Mulonde ?
Ils sont arrivés à Mulonde, la première de choses, c’était de voler ma jeep et d'arrêter mon chauffeur. Ils ont même sorti des prisonniers politiques pour dire que ce sont des gens que Katumbi voulaient utiliser. Kashobwe, c’est à 250 kilomètres de Lubumbashi et Mulonde, c’est à 500 kilomètres de Lubumbashi. Si vous voulez attaquer Lubumbashi, ne serait pas un peu éloigné ? On voit bien que toute cette affaire ne tient pas debout.
Pensez-vous qu’il existe un plan pour vous arrêter ?
Ma conscience est tranquille. Je n’ai rien fait. C’est de l’arbitraire. On l’a vu dans ce pays : le cas de Chérubin Okende, c’était toujours avec le fameux général Ndaywel, qui avait envoyé les gens de la Demiap. Salomon Idi Kalonda était arrêté devant moi. On veut faire taire les gens. Ça ne marche pas comme ça. Vous-même, en tant que journaliste, avez fait la prison pour rien. Dans des pays sérieux, vous devriez porter plainte contre l’Etat. S’il vous arrivait quelque chose en prison, vous auriez laissé votre famille. L’arbitraire là, c’est ce que nous ne voulons pas. Et, je suis très étonné que ça soit un président qui était opposant hier, qui continue à faire des choses comme ça.
Du côté du pouvoir, on accuse Katumbi de vouloir trop se victimiser
Jamais. La petite piste que je suis en train de réhabiliter, est-ce bien ça la priorité pour le gouvernement ? Il y a la guerre dans l’est, il n’y a pas de routes, il n’y a pas d’électricité ni d'eau, les enseignants sont en grève, l’insécurité est partout, pas une semaine ne se passe sans qu’éclate un scandale de corruption, etc. Je ne suis pas quelqu’un qui pleurniche. Je suis quelqu’un qui agit. Quand il y a des problèmes, je trouve des solutions. Même quand j’étais gouverneur, aucun jour j’ai dit que ça ne va pas à cause de l’autre. J’assume ce que je fais. Je suis en train de réhabiliter cette piste pour aider mes frères congolais.
Votre conseiller spécial, Salomon Kalonda, est aujourd’hui libre après des mois de détention. Quelle leçon tirée de cette situation ?
C’est de l’arbitraire. Salomon Kalonda a été arrêté. On lui a attribué une arme qui ne lui appartenait pas. Elle appartenait au garde cu corps du Sénateur Matata Ponyo, ancien Premier ministre. C’est de la mauvaise foi. Sur cette arme, c’était marqué PNC, c’est-à-dire Police nationale congolaise. Et cette arme était déclarée. Malgré ça, Salomon a passé un an en prison à la prison militaire de Ndolo dans des conditions d’autant plus inhumaines qu’il était malade. Sa maison et celle de sa maman a été cassée. C’est honteux. Il y a une vie après le pouvoir. Monsieur Tshisekedi termine son mandat en 2028. Il ne doit pas énerver les gens. Ce n’est pas la politique qui va nous séparer.
Un rapprochement Katumbi - Kabila est-il envisagé ou pas et dans quelles conditions ?
Je me suis réconcilié avec le président Kabila. Ce n’était pas une réconciliation intervenue nuitamment. Nous l’avions fait pendant la journée à la cathédrale. Moi, je suis allé aux élections mais lui a refusé. C’est ça la démocratie. Il n’y a plus de problème entre le président Kabila et moi.
Vous avez été un des piliers de l’Union sacrée de la Nation. Etes-vous prêt aujourd’hui à recomposer avec Tshisekedi ?
Vous savez, je suis allé vers le président quand il était en détresse. Il a fait un appel et je suis allé de bonne foi. Et ce qui est mauvais au niveau de l’Union sacrée, c’est que quand on critique, on n’aime pas le président. Depuis que je suis né, je n'avais jamais connu de président exempt des critiques. Macron est critiqué, Biden et Obama ont été critiqués. Quand j’étais gouverneur, j’ai moi aussi été critiqué. Il faut poser la question à mes ministres. Tous les gens qui me critiquaient, je les recevais et les invitais même au conseil des ministres (...). Quand on vous critique, on vous demande de mieux faire. Ce n’est pas qu’on est en train de vous nuire. Ici, c’est la vie des millions de personnes dans notre pays qui est en jeu. Moi, j’avais refusé la primature parce que je savais qu’on irait nulle part aussi longtemps qu’on n’a pas considéré notre cahier des charges.
Donc ce ne sera plus possible de recomposer avec Félix Tshisekedi ?
Le train est passé. Il reste un frère. Je lui souhaite bonne chance.
Katumbi sera encore candidat en 2028 ?
Nous ne sommes pas encore en 2028. Aujourd’hui, ce qui me préoccupe, c’est l’état du pays. Les Congolais vivent une descente aux enfers. Rien ne marche. J’étais dans le Sankuru. J’ai vu la souffrance de la population. Comme partout ailleurs en RDC. A Mbuji-Mayi, la MIBA aujourd’hui est à terre, ce qui créé d’énormes problèmes à la population. Il n’y a pas de travail, pas d’eau potable, les routes sont dans un état déplorable.
Aujourd’hui l’Union sacrée se vante de son bilan, en brandissant notamment la liberté de manifester, les droits de l’homme, la démocratie.
Aujourd’hui, on vient d'arrêter Patrick Lokala. Hier, c’est vous qui étiez en prison. C’est ça la démocratie ? Nos services de sécurité se sont tranformés en une police politique dont le seul objectif est la traque des opposants et des opinions divergentes. S’agissant des droits de l’homme, même Kabila n’a pas arrêté tant de prisonniers politiques : Jean-Marc Kabund, Franck Diongo, Mike Mukebayi, Salomon Kalonda, Seth Kikuni. Notre frère Chérubin qui est mort, il l’a été au nom de quoi ?
Kabila serait-il, pour vous, un modèle ou une référence pour une telle comparaison ? Sachant que vous avez, vous-même, passé 3 ans en exil sous Kabila.
J’ai passé trois ans en exil sous Joseph Kabila. Mais si l’on compare l’Etat de droit de cette époque et aujourd’hui, demander à la population, même les Kinois dont vous êtes, ils vous diront que c’était moins pire avant. Aujourd’hui, le pouvoir cherche à taire tout le monde. Les gens doivent avoir la liberté de parler, d’exprimer leur opinion sans risquer de se faire arrêter.
Dans l’une de vos déclarations, vous dites que ceux qui sont aujourd’hui au pays sont dans une sorte de liberté provisoire
Bien sûr, c’est une liberté provisoire. On peut vous prendre, décider de votre sort quand on veut. C’est le règne de l’arbitraire. On peut créer un dossier contre vous quand on veut. Que fait la Demiap au Katanga ? Est-ce là où il y a des problèmes sécuritaires ?
Mais s’il y a des gens qui entrent en conflit avec la loi, elle doit quand même réagir
D’une part, je n’ai jamais violé la loi. D’autre part, chacun constate le deux poids deux mesures. Des opposants sont jetés en prison sans raison, alors que d’autres qui ont du sang sur les mains, ont détourné des centaines de millions de dollars ne sont pas inquiétés.
Au-délà de vous ?
Et vous, vous avez violé la loi ? C’est pour ça qu’on vous a envoyé à Makala ? Evidemment que non. Il fallait simplement vous faire taire.
Comment sortir de la situation actuelle ?
Il y a clairement un problème de légitimité politique car en 2023 il n’y a pas eu d’élection. Et ce problème ne pourrait se résoudre qu’à travers de bonnes élections en 2028. Ce sera une chance à ne pas gâcher.
C’est un problème que vous posez. Mais comment sortir le pays de la crise que vous décriez actuellement ?
Avec la gouvernance actuelle, rien n’est possible. Si je peux donner un conseil, ce serait de réduire le train de vie de l’Etat, lutter contre la corruption, rétablir la Justice, mettre fin à la guerre à l’est. Aujourd’hui, le pays est pillé comme il ne l’a jamais été avant. Au Katanga, les opérateurs miniers sérieux ne viennent plus. Pourquoi ? Parce qu’on rentre dans la mine d’autrui, on chasse le propriétaire, on fait entrer la famille, ensuite on va piller et c’est ça que vous appelez Etat de droit ?
Quid du porte-parolat de l’opposition ? Vous le revendiquez toujours ?
C’est constitutionnel. Mais depuis les élections de 2006, ça n’a jamais été appliqué. J’espère que cette fois-ci, pour la première fois, ça sera.
On dira également des députés de l’opposition illégitimes mais légaux ?
Nos députés ont été élus et les autres ont été nommés. Nous avions eu une élection chaotique jamais connue depuis ma naissance. Les députés de l’opposition ne détenaient pas des machines à voter comme au sein de la majorité. Nos députés ont la légitimité. Ceux du pouvoir avaient leurs imprimantes et leurs propres machines à voter.
Aujourd’hui le gouvernement doit-il négocier ou non avec le M23 ou a-t-il raison de ne vouloir dialoguer qu’avec le Rwanda ?
C’est une très bonne question. Je vais d’abord évoquer le passé. J’étais gouverneur quand le M23 avait été chassé de l’est de la RDC à l’époque du président Kabila. Le budget de l’armée était de plus ou moins 500 millions de dollars américains. Aujourd’hui, le budget de l’armée est de plus de 2 milliards USD. Si on a chassé le M23 avec 300 millions usd et qu’aujourd’hui, on ne parvient pas, avec 2 milliards usd, de reconquérir le territoire national, il y a un problème. Pour moi, je dis c’est là que les gens volent de l’argent en prétextant effort de guerre parce que l’argent n’arrive pas chez les militaires et c’est pourquoi ils ne veulent même pas parler de dialogue puisque ce sera un manque à gagner pour eux. On doit nous dire combien on a dépensé jusque-là. Le dialogue est nécessaire avec tous les Congolais surtout pour la paix. Quand ils sont allés à Nairobi, le M23 était à Kinshasa. Qui l’avait appelé ou amené dans la capitale ? C’est le président de la République.
Mais il a dit qu’il n’était pas au courant et que c’était son ministre de l’Intérieur
Mais comment pouvez-vous diriger un pays et vous ne savez pas que votre ministre amène des rebelles ? Un responsable politique doit s’assumer. C’est comme tout ce monde qu’on vient d'arrêter : Seth Kikuni, toi-même, Jean-Marc Kabund très récemment, un jour le président risque de dire qu’il n’était pas au courant ?
Êtes-vous au courant que le Rwanda agresse le Congo ?
Je suis au courant. Tout le monde est au courant. Les rebelles du M23 sont entrés par la frontière avec l’Ouganda. Où étaient les militaires ougandais ? Au pays. Aussi longtemps qu’on ne dira pas la vérité à la population congolaise, qu’on fera traîner cette guerre parce que les gens sont en train de se sucrer dans cet argent d’effort de guerre, la guerre va continuer.
Il y a une agression puisqu’un pays s’est amené avec son armée. Ce n’est pas une guerre voulue.
Même quand il s’agit d’une agression. Qui est le commandant suprême ? C’est le président de la République qui doit résoudre ce problème.
Mais il est engagé dans la résolution sur toutes les voies : diplomatiques, militaires,
Quand on a été agressé à l’époque où j’étais gouverneur, Kabila n’a pas chassé le M23 ? Et avec quel budget ?
Mais il y a eu de dialogue et négociation
Non. Il n’y a pas eu négociation. Il y a même eu des marches pour féliciter l’armée. Le feu Mamadou Ndala, c’est lui qui commandait au front. Ils étaient motivés. Ce qui n’est pas le cas aujourd’hui. Avant de parler de dialogue, il faut d’abord agir sur le terrain. Il faut bien payer nos militaires. Est-ce que ce sont nos voisins qui ont demandé de payer 70 usd à nos militaires ? Moi, mon programme avait prévu de payer 500 usd par militaire.
Quel est aujourd’hui le message de l’opposant Moise Katumbi au président Paul Kagame qui agresse la RDC?
Il ne s’agit pas de parler. Il s’agit d’agir. Durant la campagne, j’ai dit qu’en trois mois, si j’étais président, je mettrais un terme à la guerre dans l’est du pays. Si j’avais été président, ce conflit aurait déjà été terminé. En attendant, je renouvelle ma confiance au président Lourenço qui mène avec sérieux le processus de Luanda. Au passage, j’ai été le premier a demandé à ce que ce soit lui le médiateur. Dans cette guerre, il faut rappeler les agressions extérieures, mais aussi le problème intérieur. Corneille Naanga est bien Congolais que je sache.
Vous dites qu’il s’agit d’un problème interne, mais il y a des militaires d’un pays étranger sur le sol congolais
Nous avons condamné ça. J’ai condamné le Rwanda et l’Ouganda. Il faut condamner les deux pays si on veut aboutir à une solution. J’ai toujours condamné ça et je réitère encore aujourd’hui. Je n’accepterai jamais qu’on agresse mon pays mais je n’accepterai pas non plus que certains utilisent cette guerre pour s’enrichir. Maintenant, le plus important c’est le retour à la paix. Mettre fin rapidement et durablement à la souffrance de nos frères et sœurs de l’est. Il y a aujourd’hui, selon la société civile du Nord-Kivu et de l’Ituri, 7 millions de Congolais déplacés internes dans leur propre pays. C’est inacceptable. Il est possible de régler ce problème. C’est une question de volonté et de savoir faire.