Du massacre de deux policiers et onze agriculteurs au Nord-Kivu aux séismes qui ont frappé la Turquie et la Syrie, en passant par la résolution de l'assemblée Nationale à prendre la décision qui s'impose à propos de la guerre à l'Est, l'homologation des Stades par la CAF ou la faible participation des Congolaises à l'enrôlement, la semaine qui s'achève a été riche au niveau de l'actualité. Vanessa Kaliza Kokesha passe en revue chacun de ces faits marquants.
Bonjour Madame Vanessa Kaliza et merci de nous accorder de votre temps. Pouvez-vous vous présenter à nos lecteurs ?
Vanessa Kaliza : Je suis Présidente et fondatrice de la mutuelle de santé Afia Kwa Wote, qui facilite l'accès aux soins de santé à toutes les couches de la population et surtout les populations les plus vulnérables. Nous avons mis en place depuis trois ans, un accompagnement sanitaire pour plus de 1500 orphelins qui vivent dans 43 orphelinats de la ville de Kinshasa et ce, avec l'appui des donateurs qui contribuent à hauteur de 35 $ par enfant/1an de couverture. Nous travaillons également dans la réinsertion sociale, en organisant des rencontres avec nos médecins, des psychologues, pour leur permettre de retrouver une place dans la société et ne pas se sentir rejetés, ni abandonnés. En parallèle, Afia Kwa wote promeut l'autonomisation de la femme à travers le leadership, le mentorat, la formation. L'année dernière, nous avons pu autonomiser 50 femmes. Elles ont suivi des formations sur les bases du commerce, au bout de trois mois, elles ont reçu un fonds de démarrage. Aujourd'hui, nous les avons initiées à la culture de l'épargne et de la couverture maladie. Je suis donc aussi défenseure des droits des femmes, entrepreneure. Je prône la formation comme un moyen pour atteindre la parité.
Au Nord-Kivu, deux policiers ont été tués dans une attaque armée à Masisi. Au moins 11 agriculteurs dont 7 femmes ont péri dans une attaque attribuée aux ADF à Beni. Pourquoi selon vous, les massacres se perpétuent en plein état de siège ?
Vanessa Kaliza : d'entrée de jeu, notre armée a été infiltrée et les ennemis s’y trouvent. Cela nécessite un vrai nettoyage pour pouvoir écarter ceux qui jouent un double jeu. En même temps, il faudrait développer des stratégies pour que l'ennemi ne puisse pas nous envahir et que l’armée puisse avoir les moyens nécessaires (armement, finance, amélioration du salaire des hommes en uniforme qui sont au front, qui se battent pour la nation). Les massacres se perpétuent également, parce que nous ne sommes pas en position de force par rapport à ces rebelles armés, financés par la communauté internationale, le Rwanda avec tous ses parrains et mercenaires dote ces rebelles des moyens que notre armée n'a pas. La solution serait aussi de doter nos FARDC de matériel adéquat, d'armements lourds pour que nos militaires puissent avoir la capacité de défendre notre nation.
A l’issue d’une rencontre avec le ministre de la défense et le commandement des FARDC, le président de l’Assemblée Nationale a affirmé que si « dans un délai raisonnable », la Force régionale n'arrive pas à soutenir le pays contre l'agresseur, le parlement va demander au Chef de l’Etat de prendre la décision qui s'impose. Quel est votre avis sur cette décision ?
Vanessa Kaliza : si l'Assemblée Nationale attend d'avoir un délai pour que cette force puisse se prononcer ou non face à l'agresseur, je pense que l'on est en train de tourner autour du pot, de perdre du temps et de l'énergie, mais aussi d'encaisser les pertes en vies humaines. Pour moi, cette force ne devrait pas exister. Je le disais tout à l'heure, nous pouvons arriver à gagner cette guerre si aujourd'hui nos militaires sont suffisamment équipés, motivés, mieux payés et si nous parvenons à développer les stratégies de guerre. Le Congo ne devait même pas souscrire à la proposition de la force régionale selon moi, parce qu'il nous sera compliqué de les remercier d'avoir accompli leur mission et leur proposer de rentrer dans leurs pays respectifs. Cela va être compliqué de les détrôner des milieux où ils sont installés. Et donc, leur présence ne fera qu'empirer la situation. Chacun des membres de cette force devrait rentrer dans son pays d'origine.
S'agissant de l’enrôlement, la CENI a publié un rapport sur le déroulement de l’opération. Les chiffres démontrent qu’il y a moins de femmes enrôlées par rapport aux hommes. Qu’est ce qui ralentit la participation des femmes selon vous ? Que faire pour l'améliorer ?
Vanessa Kaliza : cela est en partie influencé par les activités que mènent la plupart des Congolaises. Elles sont dans les champs, vendent dans les marchés, des activités qui commencent tôt et se terminent tard. Elles n'ont donc pas le moyen de se rendre dans les centres de vote. Après les activités, elles ont des familles à nourrir, des enfants sur qui veiller. L'idéal serait que la CENI puisse s'adapter à ces femmes qui ont des activités génératrices de revenu qui ne leur permettent pas de se présenter dans les centres d'enrôlement afin que dans chaque marché par exemple, l'on trouve un centre d'inscription où ces femmes même pendant l'exercice de leurs activités peuvent dégager une dizaine de minutes pour s’enrôler. C'est un devoir civique. Les femmes sont aujourd'hui majoritaires par rapport aux hommes au niveau de la population mais si on n'a pas ces femmes qui se font enrôler, on aura volé la décision, l'avenir même de la RDC parce que celles qui sont majoritaires ne participeront pas aux prochaines élections. Il faut vraiment que les opérations d'enrôlement s'adaptent au quotidien de la majorité de ces femmes.
A Salamabila (Maniema), la société civile contactée par ACTUALITE.CD a dénoncé « les menaces de mort à l’égard des victimes des violences qui chercheraient de l’aide auprès de l’Etat ». Dans une rencontre, le premier ministre avec les ministères impliqués ont discuté des mesures idoines. Quelles sont vos recommandations ?
Vanessa Kaliza : le vrai problème des victimes des violences qui cherchent de l'aide auprès de l'État, c'est le fait qu'il n’y a pas de protection. Une victime de violence sexuelle par exemple, ne saura pas dénoncer son agresseur parce qu'elle n'est pas rassurée d'une protection. Je pense qu'il est vraiment temps que l'on puisse mettre en place des stratégies, mécanismes de protection des témoins. Une victime est déjà appelée comme telle et on ne va pas lui demander de s'auto protéger alors qu'elle cherche justice et réparation. Cela incombe à l'Etat, au gouvernement de pouvoir mettre en place des stratégies pour protéger et sécuriser les témoins. Si les rebelles profèrent des menaces de mort à l'égard des victimes à Salamabila, c'est notamment parce que les victimes doivent se rendre aux bureaux de l'État, aller chercher de l'aide et cela les expose. Les lignes vertes devaient être créées pour permettre aux victimes d'appeler de façon anonyme pour dénoncer les faits, des actes de violence et que l'Etat puisse réagir de façon concrète par un accompagnement judiciaire ou médical et même des réparations tel que le prévoit désormais la loi congolaise. Je pense aussi que toute personne accusée de violence, ne doit pas errer dans la société en attente d'un jugement. Elle mérite d'être appréhendée et d'attendre le processus de son jugement en étant derrière les barreaux. C'est aussi des recommandations que l'Etat devrait mettre en place et suivre concrètement.
En économie, dans son étude intitulée « réduction du train de vie de l'Etat », l’ODEP propose notamment la réduction du gouvernement à 10 ministères avec un premier ministre et la fin du statut de première dame. Pensez-vous que ces propositions peuvent avoir un impact sur le social des congolais ?
Vanessa Kaliza : oui, ces mesures auront un impact sur le social des Congolais parce que si l'on arrive à réduire le train de vie des institutions budgétivores, on arrivera à avoir assez d'argent pour nous construire des routes, des écoles, des hôpitaux, des universités et améliorer le social des Congolais. Certains ministères peuvent être fusionnés, d'autres supprimés pour que des fonds soient réorientés vers le bien-être des congolais.
L’ODEP pense aussi que le salaire dans toutes les administrations devrait être fixé de 300 $ pour le plus bas à 6 000 dollars pour le salaire le plus élevé, celui du premier ministre. Le salaire net du Chef de l’Etat à 5 000 dollars par mois. Pensez-vous que ces recommandations seront prises en compte ?
Vanessa Kaliza : je pense que si l'ODEP a fait ces propositions, c'est en connaissance de cause. Ramener le salaire le plus bas à 300$ serait du progrès mais ce n'est pas l'idéal. Je crois que ceux qui servent l'Etat congolais devraient aussi recevoir à la hauteur de leurs sacrifices. Notre pays a assez des ressources qui peuvent permettre à un salarié minime de pouvoir toucher 500 ou 600 dollars. C'est possible mais chaque voyage commence par le premier pas, 300 $, 6.000 $ est raisonnable. Chacun de nous doit pouvoir gagner aisément sans vie sans être obligé d'étouffer ou détourner le budget affecté au social et au développement du pays.
En sports, la Confédération africaine de football (CAF) a informé la Fecofa que le stade des Martyrs n'est plus approuvé pour accueillir des matchs de haut niveau notamment les éliminatoires de la CAN, Ligue des champions et Coupe de la CAF. Comment avez-vous accueilli cette nouvelle sachant que le gouvernement a engagé des millions de dollars pour la rénovation de ce stade ?
Vanessa Kaliza : s'il y a un responsable, je crois que c'est le ministre des sports qui n'a pas su faire les choses correctement. Quand on veut homologuer un stade (puisque le nôtre l'a déjà été une fois), on devrait prendre la culture ou l'habitude de ce qui a été fait avant que l'on arrive au pouvoir. Malheureusement, ce n'est pas la coutume de nos institutions. Quand on arrive au pouvoir, on essaie d'inventer la roue. Le ministre n'a pas eu la pensée de faire les travaux en fonction des réglementations imposées par la CAF. Il y a eu de la négligence. Il y avait bien plus de choses à faire que de mettre les chaises aux couleurs du drapeau. Les sanitaires du stade par exemple sont horribles et quasiment inappropriés pour que les personnes qui vont aujourd'hui au stade puissent s'y rendre sans emporter des infections. Les conditions d'homologation devaient être étudiées, les experts congolais devaient être consultés.
Au niveau régional, la junte au Mali a expulsé le chef de la division des droits de l'homme de la mission de l'ONU, Guillaume Ngefa. Cette expulsion succède à celle de l’ambassadeur Français. Votre analyse par rapport à cette situation ?
Vanessa Kaliza : le Mali est un pays indépendant. Je pense qu'ils ont des raisons et qu'ils ont voulu manifester leur ras-le-bol. Ils veulent faire entendre leur voix au niveau international pour sonner l'alarme et dire à tout le monde que le Mali est indépendant et que nul ne devrait aller y faire la loi.
Au niveau international, des séismes ont frappé la Turquie et la Syrie au courant de cette semaine, causé plus de 21.000 morts et des milliers des disparus. Comment la communauté internationale peut-elle agir face à cela ?
Vanessa Kaliza : ces pays sont victimes des catastrophes naturelles. Je pense que la communauté internationale peut agir en apportant de l'aide aux personnes qui se retrouvent aujourd'hui sans abri. Des fonds peuvent être débloqués pour construire des habitations en attendant la reconstruction de ces immeubles ou des nouvelles villes. Qu'il y ait aussi des unités pour assurer un bon suivi médical, psychologique envers les personnes qui sont victimes. Il faut aussi plus de solidarité envers les peuples turcs et syriens qui traversent des moments sombres.
Un dernier mot ?
Vanessa Kaliza : je lance un appel d'éveil à la conscience de tous les jeunes et toutes les femmes. J'invite la jeunesse à s’enrôler massivement parce que l'avenir de notre pays en dépend. Je l'invite aussi à ne pas se laisser berner ni manipuler. Que les choix qui seront faits au mois de décembre soient des choix de qualité, pour les personnes qui vont défendre nos droits et apporter une amélioration à notre quotidien. Les tee-shirts, le riz, et autres matériels ne vont pas nous faire oublier les peines que nous vivons aujourd'hui. Restez forts, intransigeants, apportez une nouvelle classe politique à ce pays, mais aussi le changement qui ne passera que par des bons choix (des acteurs politiques, des députés conscients, avec une vision claire de l'amélioration des conditions de vie des congolais).
Propos recueillis par Prisca Lokale