RDC: Après la levée du régime de notification, l'heure de vérité sur la stratégie gouvernementale de pacification de l'Est 

Les armes dans un camp militaire dans le territoire de Beni
Les armes dans un camp militaire dans le territoire de Beni

La journée du 20 décembre 2022 pourrait être inscrite en lettres d'or dans les annales de la diplomatie congolaise. En effet, après des mois de plaidoirie publique et de contacts secrets, la République démocratique du Congo a obtenu du conseil de sécurité, au travers d'un vote à l'unanimité, la levée de l'obligation de notification préalable relative au régime de sanction applicable en RDC s'agissant de l'envoi d'armes et de matériel militaire. 

En effet, si les groupes armés restent sous l'ambargo sur les armes, le Gouvernement congolais, qui n'est plus concerné par cette dernière mesure depuis 2008, était soumis au régime de notification préalable en vertu duquel tous les Etats membres des Nations Unies devraient notifier au comité 1533 du conseil de sécurité "tous envois d'armes ou de matériel connexe" sur le territoire congolais ainsi que "toute fourniture d'assistance ou de service de conseil ou de formation ayant un rapport avec la conduite d'activités militaires dans le pays". Ceci a longtemps été considéré par le Gouvernement comme une entrave à l'équipement de l'armée, tenue de neutraliser les groupes armés actifs dans la partie orientale du pays. 

Du point de vue formel, cette décision du conseil de sécurité est une victoire pour la diplomatie congolaise. Car elle a obtenu, non sans coups férir, ce qu'elle a clairement décliné comme un objectif de politique extérieure. Au fond, ceci pourrait être vu autrement. Il pourrait s'agir, pour le conseil, d'une concession en vue du renouvellement, sans casse dans le pays, du mandat de la MONUSCO. Ce, après des manifestations populaires notamment à Goma et Bukavu en signe de dénonciation de l'inefficacité "complice" de la mission onusienne face à la résurgence et à la progression du M23 vers Goma. En effet, le conseil de sécurité a quasi simultanément renouveller le mandat de la MONUSCO et levé le régime de sanction. 

S/T La RDC tenue de présenter un rapport au conseil

Il est non moins curieux de constater qu'après la levée du régime de notification préalable, le conseil de sécurité astreigne à la RDC de lui présenter, au plus tard le 31 mai 2023, un Rapport confidentiel sur la gestion des armes sur le territoire congolais par le Gouvernement. A défaut d'avoir été présenté avant la levée, ceci traduit des appréhensions des membres du conseil qui continue de considérer "la situation en RDC comme une menace à la paix et la sécurité internationales". 

Il va sans dire que le Gouvernement devra persuader le conseil de sa capacité avérée de gestion rationnelle des armes dans un contexte où il est fait état d'alliances entre des unités de l'armée et des groupes armés pourtant sous ambargo. Dans un monde devenu "un village", la marge du secret est de plus en plus réduite. 

L'anticipation stratégique devrait inspirer le Gouvernement de faire d'ores et déja toute la lumière sur ces allégations d'alliance et leurs implications en vue de prendre des dispositions qui s’imposent pour se mettre à l'abri d'éventuelles critiques négatives susceptibles de le faire marcher à reculons.

L'heure est donc à la consolidation de la levée du régime de notification et de la manifestation de ses effets réels pour le pays. Car, le plus dur est devant nous. En effet, en juin 2023, le comité de sanctions du conseil de sécurité présentera son rapport sur notamment l’application du régime d'embargo sur les groupes armés. 

Est-ce à considérer que la levée serait pleinement effective dans ses "effets invisibles" après le 31 mai 2023 ? En effet, côté occidental où il y aurait eu des réticences dans l'octroi de facilités de fourniture et de transport d'armes, il y a la problématique de perceptions des banques, des transporteurs et autres opérateurs à observer dans ce nouveau processus non sans challenges. 

S/T Fourniture d'armes et munitions à la RDC

L'obligation jadis de notifier la fourniture d'armes et consorts destinés à la RDC incombait non pas à Kinshasa mais plutôt aux fournisseurs et transporteurs. La violation de ce régime n'engageait donc point Kinshasa qui s'est approvisionné en matériels militaires, notamment en 2021, auprès de la Russie sans que cette dernière, pays membre permanent du conseil de securité, n'ait saisi le comité au titre de notification. Le rapport de force n'a pas exposé Kremlin à des sanctions.

Considérant, selon des rapports et études consultables sur la toile, que la Russie et la Chine sont les principaux pays fournisseurs d'armes et matériels militaires aux Etats africains, il n'est pas exagéré de relativiser la portée réelle du régime de notification auquel la RDC était soumise. Ce, considérant,d'une part, le narratif de soutien de ces deux derniers pays membres permanents du conseil de sécurité à Kinshasa pour le respect de sa souveraineté, et, d'autre part, leurs ventes d'armes et matériels militaires à la RDC pour en évaluer l'impact sur la lutte contre les groupes armés. Je m'interdis d'intégrer à l'analyse le concours de marchands d'armes.

Dès lors, le conseil de sécurité aurait, en renouvelant le mandat de la Monusco et levant le régime de notification, voulu probablement extirper un "alibi" de la stratégie gouvernementale de bouc émissaire aux effets de mobilisation dans un contexte de piétinements de l'état de siège, mesure exceptionnelle en vigueur depuis mai 2021. 

L'heure de vérité consistera pour le Gouvernement d'administrer la preuve de méfaits du régime de notification au travers de résultats des efforts de pacification de l'Est du pays à attester au travers d'une stratégie à rendre licible. Le Gouvernement devra donc, au-déla du M23 sur lequel sont braqués les projecteurs, gagner le pari de sécurisation et de stabilisation de l'Est du pays qui, faut-il le marteler, ne requièrent pas assez de mesures militaires compte tenu de l'ancrage sociologique des groupes armés. 2023, c'est ... demain. 

Lembisa Tini (PhD)