RDC : ce que pensent les acteurs du secteur éducatif sur l'intégration de l'enseignement en langues nationales au niveau préprimaire

Elèves du Complexe scolaire Manyanga à Gombe/Kinshasa
Les élèves de la maternelle du Complexe Scolaire Manyanga à Gombe/Kinshasa

De l’enseignement maternel à celui universitaire en passant par le primaire et le secondaire, la RDC entend améliorer la qualité des enseignements à tous les niveaux. Au nombre de mesures mises en place par le gouvernement pour y parvenir (Stratégie Sectorielle de l'Éducation et de la Formation de 2016-2025) figure l'utilisation des langues nationales comme médium de l'enseignement de base. D’après ce document, cette  réforme cible les trois premières années du primaire c’est-à-dire les classes de 1ère, 2ème et 3ème primaire. Le nouveau programme national de la maternelle récemment dévoilé intègre aussi cette réforme … quoique pas encore d’application. 

Ainsi, ACTUALITE.CD s'est interrogé sur l'applicabilité de la formation en langues nationales au niveau de la formation de petits enfants (maternelle). Voici ce qu'en pensent différents acteurs.

Régine Yala est institutrice de la deuxième année maternelle au Complexe Scolaire Manyanga de la Gombe à Kinshasa. Pour elle, l'usage de la langue nationale à ce niveau facilite la compréhension des activités. 

« Quand nous enseignons, certains mots ne facilitent pas la compréhension immédiate par les enfants. C'est pourquoi nous pouvons user d'un peu de lingala pour nous faire comprendre », a-t-elle indiqué, relevant tout de même que certains parents d'élèves ne veulent pas entendre d'une seule oreille que leurs enfants ont été enseignés dans une autre langue que le français. « C'est au gouvernement de décider », dit-elle.

Christine Badiashile, institutrice en troisième maternelle dans la même école estime qu’intégrer les langues nationales au niveau du préprimaire est une "charge" pour les institutrices, qui ont de surcroît une pléthore d'activités à mener pour le compte de l'enfant.

« Nous inculquons à l'enfant le comportement à adopter face à son environnement immédiat : en classe et à la maison. Nous constituons des thèmes par rapport à tout ça, notamment le bien-fondé de l'école, la politesse, l'hygiène, l'habillement ... Nous leur donnons le goût de l'école et de la vie. Nous introduisons également un peu d'exercice de calcul. Ramener les langues nationales ici, serait une surcharge. Certains enfants parlent déjà ces langues à la maison », précise-t-elle.

Elle salue, par ailleurs, les efforts des parents qui envoient leurs enfants à l'école dès la toute petite enfance.

« Les parents ont compris que les enfants qui commencent leur scolarité par la maternelle deviennent plus doués. L'enfant qui vient à l'école gagne en connaissance et en apprentissage que celui qui reste à la maison. Bien sûr que l'enfant ne vient pas par sa volonté, ce sont ses parents qui le poussent », a-t-elle déclaré.

Expert-consultant en éducation de la petite enfance et coordonnateur national de l'Agence pour la Promotion de l'Enseignement (APE), Otto Michel souligne la valeur culturelle des langues nationales et leur rôle à partir du préprimaire.

« La langue constitue un patrimoine culturel, c'est notre identité. Parler français avec nos enfants à la maison, c'est bien. Mais que gagnons-nous en faisant cela ? », s'interroge-t-il.

Et d'ajouter :

« Il n'existe pas des Bangala sans Lingala. Il n'y a pas des Bakongo sans Kikongo. Lorsque les enfants parlent français dès le bas âge, nous perdons beaucoup de valeurs. Il est important que les enfants parlent nos langues à la maison. Le Français et l'Anglais c'est bien, mais c'est une perte énorme en termes d'identité et de culture », a-t-il insisté.

Selon ce spécialiste, en dehors "de la langue qui doit être celle du milieu", les approches méthodologique et pragmatique doivent également être prises en compte au niveau du préprimaire :

« L'enfant ne va pas à l'école pour apprendre une langue, soit le Français ou l'Anglais. Il y va plutôt pour le savoir, la connaissance et la science, qui se transmettent à travers un médium : la langue, peu importe laquelle. L'important c'est qu'elle soit une langue que l'enfant comprend et à travers laquelle il peut  communiquer. Les enseignements ne doivent se faire qu'avec du matériel concret et cela, sous forme de jeu. Sinon, c'est un échec total », a-t-il déclaré à ACTUALITE.CD.

Le nouveau programme national de l'enseignement au niveau de la maternelle, mis en vigueur depuis janvier 2022, a remplacé celui de 2008. Mais pour l’instant, il attend d'être vulgarisé afin que les différentes réformes contenues soient dorénavant d’application. 

Bruno NSAKA