La semaine qui s'achève à été riche en journées commémoratives: enseignement, travail, liberté de la presse, sans compter la clôture de la table ronde sur la cohabitation pacifique entre les populations du Kasaï et du Haut-Katanga, les réactions autour des propos du journaliste Perro Luwara ou encore l'affaire Dubaï Porta Potty. Ce 07 mai Anna Mayimona revient sur chacun d'entre eux.
Bonjour Madame Anna Mayimona et merci de nous accorder de votre temps. Pouvez-vous nous parler brièvement de votre parcours ?
Anna Mayimona : J'ai un diplôme de licence en journalisme de l'Institut Facultaire des Sciences de l'Information et de la Communication (IFASIC). J'ai commencé ma carrière au quotidien La Référence Plus alors que j'étais encore à l'université. À la CENCO, j'ai présenté l'émission "le jour du Seigneur". Je suis allée dans le monde des organismes comme chargée de programme média de Search for Common Ground, au Centre Lokole. Par la suite, j'ai été consultante à la section de la participation et réparation des victimes de la Cour Pénale Internationale et enfin point focal de Gender and Media in Southern Africa. Avec cette expérience, j'ai décidé de renforcer l'Union congolaise des femmes des médias, Ucofem. Nous l'avons créée avec six autres collègues alors que nous étions encore étudiantes. J'ai dirigé cette structure pendant neuf ans. Aujourd'hui, je suis consultante en genre, formatrice et entrepreneure. Je travaille également sur plusieurs autres projets.
La semaine a débuté par la clôture de la table ronde sur la cohabitation pacifique entre les communautés des espaces Kasaï et Katanga. Le Chef de l’Etat a attiré l'attention des acteurs politiques ainsi que les leaders religieux sur la construction de l'unité souvent sapée par leurs ambitions. Quelles sont vos attentes après ces assises ?
Anna Mayimona : avec tous les faits qui se sont passés entre ces deux communautés sur le terrain, dans le Kasaï, dans le Katanga et même ailleurs, notamment à Kinshasa, je ne peux que saluer cette initiative. Les acteurs politiques et les leaders religieux ont été épinglés, c'est bon. Mais nous devons tous être interpellés par rapport à la construction ou à la préservation de l'unité des Congolais. Hier, ce sont les Kasaïens et les Katangais qui étaient à la une. Il y a eu aussi les voisins du Bandundu et les frères et sœurs du Kasai. Si nous ne prenons pas les choses en main, à l'avenir nous aurons encore plus de problèmes de cohabitation. Il faut donc cibler tout le monde et chacun à son niveau, jouera son rôle. Et le dialogue doit être permanent entre les communautés.
Le 30 avril, la RDC a célébré la journée nationale de l’enseignement. En ce moment où les voix se lèvent pour réclamer la baisse des frais de participation à l’Exetat et pour l’application du décret restructurant le Fonds de promotion de l’éducation et de la formation afin d’activer le financement extra-budgétaire, que pouvez-vous recommander à l’Etat congolais ?
Anna Mayimona : c'est avec raison que cette journée a été instituée. Il s'agit notamment d'honorer ce métier noble qu'est l'enseignement. Je pense que le gouvernement doit faire encore plus pour améliorer la qualité de l'enseignement en RDC. C'est normal que les parents réclament la baisse des frais de participation à l'Exetat. Les conditions de vie des familles n'ont pas changé positivement, c'est plutôt le contraire. Donc l'Etat doit être conséquent. Quant à l'application du décret restructurant le Fonds de promotion de l'éducation, l'Etat congolais doit passer à l'acte. Il y a déjà péril en la demeure. Il faut voir l'état des écoles à travers le pays. On ne peut pas espérer relever le niveau de notre enseignement avec cela. Ce secteur a besoin de moyens et donc d'un budget important. L'éducation est le premier investissement qu'un pays doit avoir pour son développement.
Au cours de la cérémonie officielle de la journée du travail, le ministre de la Fonction publique Jean-Pierre Lihau a annoncé la réouverture de quelques "robinets" des Non Payés (NP) pour permettre leur mécanisation. Cette mesure sera uniquement valable pour les NP qui travaillent effectivement, a-t-il précisé. Qu'en pensez-vous?
Anna Mayimona : je salue cette décision. Seulement, il ne suffit pas d'annoncer. Il faut matérialiser les décisions, surtout quand elles viennent répondre à un problème récurrent. Le travail doit être protégé. Ce n'est pas normal qu'une personne travaille sans être payée pendant une période assez longue parce qu'elle n'est pas mécanisée. Ces cas se multiplient en RDC et dans la plupart des structures de l'Etat. Je pense qu'il faut un changement et que la décision doit s'appliquer au plus vite.
La liberté de la presse a été célébrée le 03 mai, autour du thème « le journalisme sous l’emprise du numérique ». Comment appréhendez-vous ce thème ?
Anna Mayimona : "le journalisme sous l'emprise du numérique" est la réalité que nous vivons actuellement. Ce thème nous a donné l'opportunité de réfléchir sur le progrès technologique et l'avenir de notre métier. Et c'est pertinent de toujours réfléchir et faire un état des lieux de ce que nous sommes. Le numérique n'a pas encore fini de nous révéler ses développements et le journalisme doit s'adapter sans cesse, sans pour autant perdre ses fondamentaux. Le journalisme doit garder sa place comme métier.
Pour avoir été à la tête de l’Ucofem, que pensez-vous de la place de la femme dans les médias en RDC ? Y a-t-il un changement qui s’est opéré ?
Anna Mayimona : la place de la femme par et dans les médias en RDC continue d'évoluer. Je pense qu'aujourd'hui, la femme a retrouvé sa place sous le soleil dans la presse nationale. Elle est sur tous les fronts, comme journaliste reporter, productrice, responsable de rédaction, directrice de rédaction, propriétaire de médias, etc. Il y a une prise de conscience de la femme elle-même et de certains hommes qui dirigent des médias. Il appartient à ces deux groupes de persévérer sur cette voie qui mène vers le changement. Car c'est toute la presse qui va gagner et au-delà, tous les consommateurs qui se retrouveront dans les contenus diversifiés.
La célébration de cette liberté coïncide avec le mandat d'amener émis contre le journaliste Perro Luwara pour la diffusion d’une vidéo dans laquelle il adresse des critiques au Chef de l’Etat. L’UNPC a également décidé de le radier de la corporation. Que pensez-vous de ces réactions ?
Anna Mayimona : c'est dommage que ce fait arrive au lendemain de la célébration de la liberté de la presse. Il y a trop d'émotions dans l'affaire. Comment pouvons-nous accepter qu'un confrère soit arrêté alors qu'il existe un tribunal de pairs au sein de la profession et que nous avions, un moment, lutté pour que ce tribunal soit renforcé. C'est dommage ce qui arrive à la profession. Je pense que nous donnons l'impression de vouloir une chose et son contraire. Perro Luwara a adressé des critiques au chef de l'Etat. Est-ce qu'il y existe une loi qui interdit au journaliste de formuler des critiques à l'endroit du Chef de l'Etat ou une autre autorité? Notre confrère est doublement frappé. C'est dommage.
En sécurité, le Chef de l’Etat a annoncé une table ronde pour décider de l’avenir de l'État de siège. Quelles sont vos suggestions à ce sujet ?
Anna Mayimona : je loue cette initiative qui, à mon avis, devait intervenir plus tôt. Les voix se levaient déjà pour revoir cette mesure. Ce sont des personnes qui connaissent bien les réalités de terrain. Pour moi, le président de la République vient de considérer ces cris. Rien ne peut remplacer le dialogue dans des situations pareilles.
Les élections des gouverneurs de 14 provinces ont eu lieu le 06 mai. Il en ressort que trois femmes ont été élues gouverneures. Quelle est votre réaction à ce sujet ?
Anna Mayimona : l'élection des gouverneurs et vice-gouverneurs nous a donné l'occasion de vivre un bel exercice de démocratie. Je préfère souligner les aspects positifs, notamment le déroulement dans le calme du processus. Les femmes étaient très engagées, la preuve, trois d'entre elles ont été élues. Je salue l'arrivée de ces femmes parce que c'est une première en RDC.
Les débats autour des réformes électorales se poursuivent. Des organisations pro-droits des femmes plaident pour l’amendement de l’article 13 de la loi électorale en vue d’intégrer un quota sur la représentativité féminine dans les listes électorales. Que dites-vous à ce propos ?
Anna Mayimona : les réformes électorales sont importantes. L'amendement de l'article 13 est essentiel. Mais à mon avis, il serait judicieux de l'aligner à l'article 14 de la constitution. C'est-à-dire, travailler pour atteindre les 50/50. Certains diraient que c'est irréaliste, mais je pense que c'est juste une question de volonté aussi bien du côté des femmes que des hommes leaders de partis politiques. Avec l'élection des gouverneurs, nous avons vu des candidatures de femmes dans presque toutes les provinces concernées. Donc l'impossible dans le cas de la participation politique des femmes ne serait plus congolais.
En justice, il y a le dossier opposant l'artiste congolais Alesh à la société Bracongo sur une question de droit d'auteur. Pour obtenir justice, il s'est résolu à porter l'affaire au niveau international, notamment au siège du Groupe Castel ainsi qu'à la Commission européenne. Que pensez-vous de ce sujet ?
Anna Mayimona : l'artiste Alesh est dans ses droits. La justice congolaise devrait se poser des questions: pourquoi Alesh s'est tourné vers la Commission européenne. C'est un problème de crédibilité.
Sur le plan international, l’actualité a été dominée par l’affaire Dubai Porta Potty, « des filles toilettes à Dubaï », des vidéos ont circulé montrant des jeunes femmes s’adonner à des pratiques malsaines pour se faire de l’argent. Que pensez-vous de cela ?
Anna Mayimona : l'affaire Dubai Porta Potty révèle l'un des aspects de la crise mondiale actuelle. En tant qu'être humain, j'ai de la compassion pour ces jeunes femmes. Compassion parce qu'elles détruisent leur vie, ce don précieux reçu du Créateur. Compassion parce qu'elles sont sûrement prisonnières, je pense qu'aucune personne ne peut accepter de s'adonner à ces pratiques de plein gré. Cela nous interpelle, nous qui découvrons ces faits. Finalement on peut se dire que tout ce qui brille n'est pas toujours de l'or ou du diamant. Derrière ce qui brille peut se cacher une mort programmée. Du côté des dirigeants africains et certains asiatiques, ce déballage doit les amener à une prise de conscience. Ce sont les ressortissants des pays africains et certains asiatiques qui sont concernés. C'est donc à ces pays de réfléchir et de voir comment faire pour maintenir les leurs sur place dans des conditions attrayantes et loin de ces dérapages.
Propos recueillis par Prisca Lokale