L'actualité de la semaine vue par Chantal Faida

Photo. Droits tiers

La semaine qui s'achève a été marquée par une actualité chargée. De l'annonce des mesures gouvernementales pour contrecarrer la troisième vague du Covid 19, au report des cérémonies qui étaient prévues le 21 juin prochain à propos du retour des reliques de Patrice Emery Lumumba en passant par les attaques de Boga, l'actualité a été très fluctuante en RDC. Comme chaque semaine, le desk femme d'Actualité.cd vous propose un décryptage des faits marquants. Ce 12 juin, c'est avec Chantal Faida qu'on en parle.

Chantal Faida, bonjour et merci de nous accorder cet entretien. Pouvez-vous brièvement vous présenter à nos lecteurs ?

Bonjour Desk femme d’Actualité.cd. Je suis Chantal Faida, activiste du droit des femmes, experte en leadership féminin et directrice générale de Restauration Africa Center, un cabinet spécialisé dans les études et enquêtes des droits humains et question de développement.


Il s’est ouvert jeudi à Kinshasa la conférence pour l’égalité des sexes en Afrique. Des assises organisées par le panel qui accompagne la mandature du président Tshisekedi à l’Union Africaine. Quelles sont vos attentes par rapport à cette rencontre ?

L’objectif était d’obtenir un document de plaidoyer à présenter  au Forum « génération égalité » qui se tiendra en juillet à Paris.  Il faut donc que la déclaration de Kinshasa soit un document de plaidoyer des femmes africaines. Que les voix des femmes africaines soient entendues. Aujourd'hui, la femme africaine est confrontée à trois défis majeurs. Les défis politique, sécuritaire, économiques et sociaux ainsi que les défis culturels. Quand je prends les défis politiques et sécuritaires, je vois l'aspect de respect et mise en  œuvre des textes et instruments juridiques nationaux et internationaux qui promeuvent les droits des femmes.  Si je prends le cas de notre pays, je dirais que nous sommes loin du compte.  Lors des élections de 2028 par exemple, nous avons enregistré près de cinquante  et un pour cent de lectrices. Je parle ici de celles qui se sont enrôlés pour avoir des cartes, mais dans la répartition des sièges ou dans la répartition des trois pouvoirs : législatif, exécutif et judiciaire, nous n’avons jamais été au-delà de trente pour cent de représentation féminine à tous les niveaux. C'est une preuve que les défis persistent, c'est une question  qui reste éminemment politique. Et même si on parle de l'Afrique et du monde, l'Union interparlementaire renseigne en deux mille vingt que septante cinq pour cent des sièges dans les parlements sont occupés par les hommes, septante trois pour cent des postes de direction dans les secteurs privés et  également septante pour cent des équipes chargées des négociations climatiques sont masculines. Ces chiffres atteignent les cent pour cent quand il s’agit des négociations de paix.

Si on revient à la RDC, nous avons une sous représentation des femmes dans les instances clés. C’est une situation qui doit interpeller non seulement la RDC, mais tous les États africains pour dire qu’il est important de pouvoir mettre en œuvre tous les textes qui encouragent la représentativité des femmes.  Il y a comme je vous le disais de nombreux défis, et dans la déclaration de Kinshasa, on aimerait entendre les engagements du président et  des autres  chefs d'État africains par rapport à ces questions politique, social et économique.

Depuis quelques semaines, Boga est l’épicentre en Ituri d’attaques armées attribuées, par des sources officielles, aux rebelles des Forces démocratiques alliées (ADF). Dans cette localité,  on a déjà enregistré trois attaques meurtrières, dont les deux dernières du lundi 7 et mardi 8 juin qui ont coûté la vie à plus de 30 civils. Que pensez-vous de ces attaques ?

Je pense sincèrement que ce qui s'est passé dans la province de l'Ituri qui est sous état de siège est une situation inacceptable.  Je pense  même qu'on aurait dû décréter un deuil national parce qu’on s'est attaqué à un hôpital, on s'est attaqué à des innocents,  ce n'étaient pas des rebelles, mais ils ont perdu la vie.  Au niveau des pouvoirs publics, on aimerait qu'il y ait un deuil national et qu’on puisse également renforcer nos services de sécurité. Moi je soutiens toujours l'état de siège, mais je soutiens aussi le contrôle parlementaire  des services de sécurité dans notre pays c'est-à-dire que les ministères qui ont la charge d'assurer la sécurité mais aussi la charge de protéger les frontières.  Nous entendons de plus en plus des activistes, des députés et d’autres acteurs sociaux dire qu'il y a détournement des  soldes des militaires. Tant qu’on n’aura pas pu résoudre cet aspect, nous aurons toujours des échecs au niveau du front de nos FARDC. La démotivation prend de l’ampleur quand il n’y a pas un appui conséquent de l'homme qui sécurise la population, je parle ici du militaire et du policier congolais.  Tant qu’il ne sera pas mis dans ces droits de manière régulière et consistante, nous n’aurons pas de résultats probants. Nous aurons toujours des pertes en vies humaines. J’en appelle au parlement à faire le contrôle, de diffuser et vulgariser les rapports de contrôle des forces de sécurité  et  ainsi permettre au gouvernement et  à la justice de pouvoir traquer tous les compatriotes véreux qui ne veulent pas voir notre pays vivre ou aspirer à la paix durable.

La province de l’Ituri comme celle du nord Kivu ont été placées sous état de siège le 06 mai dernier. Cette disposition a été prise par le chef de l'État pour mettre fin aux massacres et permettre le retour de la paix durable. Comment évaluez-vous ce premier mois de l’état de siège ? Quel bilan dressez-vous ?

Les premiers mois de l'état de siège sont mitigés, on ne sent pas vraiment la différence entre avant l’état de siège et l’après état de siège. Les tueries et les enlèvements continuent, les villages sont toujours incendiés,  des attaques d’innocents, des déplacements massifs, il n’y a aucune différence.  Ce bilan est donc mitigé parce qu’il n’y avait pas un plan stratégique.  On doit impliquer les stratèges, les anthropologues, les psychologues pour identifier les solutions favorables à la paix. Le problème des conflits en RDC est complexe et on ne peut pas penser que seule l'armée va mettre de l’ordre dans ces régions. J’en profite ici pour faire le vœu de voir une réadaptation de l'état de siège et une réforme urgente étant donné qu’on y a ajouté quinze jours pour avoir une task force civile qui a des stratèges, des politiques qui vont aider les gouvernements militaires du Nord et  du Sud Kivu a bien penser  la paix.

Le 22 mai dernier, le volcan Nyiragongo est entré en éruption à Goma entraînant le déplacement des populations hors de Goma. Cette semaine,  un mandat de comparution a été lancé à l’encontre d’un militant de la Lucha par l’auditorat militaire près le tribunal militaire garnison de Goma suite à la plainte de la Fondation Denise Tshisekedi appartenant à la première dame. Il est notamment question d’un détournement de fond qui était alloué aux victimes de l’éruption du Nyiragongo. Que pensez-vous de cette plainte ?

 Que la justice fasse son travail, je pense qu'il y a lieu de pouvoir éclairer la lanterne de la population. Mais nous, on aimerait que la liberté d'expression, d'opinion et que les défenseurs des droits humains soient toujours à l'abri des poursuites judiciaires dans leurs services et activités. Donc si les autorités ont toutes les preuves, elles vont devoir les apporter au niveau de la justice et en cas de culpabilité que la justice fasse son travail. Et du côté des activistes pro démocratie, que leur  sécurité, et  liberté d’exercer leur opinion soient garantit. Il ne faut  pas qu’on puisse politiser l'affaire. C’est une affaire judiciaire.

La RDC fait face à sa troisième vague de Covid 19. La police s’est déployée dès ce jeudi pour faire respecter les gestes barrières. Que pensez-vous des mesures prises récemment par les autorités ?

 Je lance une demande aux pouvoirs publics d’associer  la communauté.  Dans notre pays, au ministère de la Santé, dans toutes les communes, nous avons des relais communautaires, ce sont des gens qui vivent dans chaque quartier et qui sont formés. Ce sont des personnes qui n'ont pas de formations sanitaires à la base, mais ils ont appris sur le tas comment vulgariser au sein de la communauté. Malheureusement ces personnes ne sont pas utilisées, c’est ainsi qu’aujourd’hui encore, nombreux sont ceux qui ne croient toujours pas à la maladie. On doit changer d’approche. La première et la deuxième vague ont été un échec terrible au niveau des ripostes. Pour la troisième vague, on doit associer les communautés pour que tout le monde comprenne que la maladie existe bel et bien et qu’on doit se protéger.

 Mercredi, le sénat a commencé l'examen en seconde lecture de la proposition de loi organique portant fonctionnement et organisation de la commission électorale nationale indépendante (CENI). "Telle qu’elle est adoptée par l’AN, la loi organique portant organisation et fonctionnement de  la CENI ne concourt pas à la tenue des élections libres, démocratiques, crédibles, inclusives telles que souhaitées par tous..."  a déclaré le G13. Partagez-vous ce point de vue ? Que pensez-vous de cette loi ?

Aujourd'hui, nous sommes face à une urgence. Nous devons respecter le cycle électoral tous les cinq ans. Je pense qu'on ne pourra pas faire toutes les réformes dans le peu de temps qui reste. On peut déjà commencer avec les réformes proposées où il y a plus de membres de la société civile qui sont intégrés. Il faudrait qu’on puisse insister sur la sélection des membres qui vont faire partie de cette CENI. Qu’il puisse y avoir plus de femme, plus de jeune et plus de personnes intègres. Dans ce pays on sait comment trouver des personnes intègres, il suffit de faire appel à des experts et d’autres acteurs de la société civile qui ont des connaissances sur les questions électorales et les sélectionner de manière objective.  A ce moment-là on aura des élections libres, inclusives et transparentes.

 Il était prévu que le 21 juin prochain, la Belgique puisse rendre à la famille de Lumumba, les reliques du héros national congolais.  Suite à la troisième vague du Covid 19 en RDC, la cérémonie a été postposée. Dans l’ensemble, que pensez-vous de ce geste du royaume de Belgique vis à vis du retour du premier premier ministre congolais ?

Nous saluons le  retour de la relique de notre héros national, Patrice Emery Lumumba. C'est un symbole fort que nous envoyons aux futures générations. Même si vous vous battez pour  la nation, pour les droits humains, pour le développement des peuples et qu’on ne vous donne pas la reconnaissance qu'il faut de votre vivant, ce sont vos enfants, ce sont les futures générations qui verront cette reconnaissance. J'apprécie beaucoup ce symbole parce que les jeunes générations sauront que tous leaders qui s'engagent dans une lutte, n'est pas forcément obliger de voir les résultats ou la gloire de sa lutte de son vivant. Donc c'est un appel à l'engagement de tous Congolais,  de toutes Congolaises pour son pays.

Cette semaine a également été marquée par une image qui a fait le tour du monde, celle d’un homme giflant le président français  Emmanuel Macron alors qu’il était en déplacement dans la Drôme. Quel regard portez-vous sur ce fait ?

Je condamne cette agression physique contre le président français et je demande à toute la population, à tous les citoyens du monde de pouvoir avoir un regard  bienveillant face aux autorités. Si  les citoyens ont  des avis contraires, il y a plusieurs canaux qui peuvent être  utilisés pour  exprimer le mécontentement face à une gouvernance sans forcément passer par une agression physique. 

Propos recueillis par Nabintu Kujirakwinja