Tapis et banquettes kuba, collection mbila, tables en résine d’acrylique, sont les quelques éléments qui attire l'attention dès que l'on pénètre chez Omoy Interior Design, le monde artistique de Fifi Kikangala. Le Desk Femme d'Actualité.cd vous propose de découvrir le parcours et les œuvres de cette Designer.
C’est dans un bâtiment situé sur l’avenue Adama, non loin du rond-point Socimat à Kinshasa, que la designer a installé son bureau, atelier et salle d’exposition.
« Cette marque de textile, est tissée par une communauté de femmes dans le Kasaï (province située au centre de la RDC). Les tapis kuba servent à la fabrication des banquettes, » explique l’assistante de la designer qui vient de recevoir un lot de tapis fraichement livrés.
Au premier niveau du bâtiment, Fifi Kikangala loue un appartement complet, chambre, salon, cuisine et balcon, qui sert de salle d’exposition. « L’objectif de mon Show-Room est double. Comme j’ai un cabinet de décoration d’architecture intérieure, ce lieu permet aux gens de se projeter, de voir ce que je peux faire chez eux. Nous avons terminé le salon, nous sommes sur les travaux de finition pour la cuisine, nous allons également faire la chambre et un dressing. Le deuxième volet, c’est pour exposer ma marque d’immobiliers ; la lampe mbila, conçue à base de branches des palmiers », raconte Fifi Kikangala.
Des fauteuils blancs, des coussins en tapis kuba, table et plaquettes en résine, lampe mbila, Fifi Kikangala Omoyi confie avoir tirés certaines choses de son jardin pour embellir ce salon. « Je fais souvent de la récupération. Je transforme des troncs d’arbres, je ramène des branches de palmiers de Kinshasa en Belgique. Les chaises sur le balcon sont faites à base de bois. Les plaques de résine exposées dans le salon permettent aux clients de voir différentes tables que nous pouvons mettre à leur disposition ».
Ne jurer que sur l’excellence
Omoy Interior Design, c’est aussi le siège de l’excellence. Pour Fifi Kikangala, un produit ne peut être mis à la disposition de son client que lorsqu’il est « totalement bon ». « Les gens négligent parfois les dessous des tables, le respect des couleurs, alors que certains clients sont très exigeants en termes de qualité, des petits détails. Mon ambition, c’est de vendre à Londres, à New York, Singapour et je connais les normes occidentales. », explique-t-elle.
Son équipe fixe est composée de 4 personnes. Cependant, d’autres personnes telles que des menuisiers, des maçons, des peintres et autres peuvent se joindre à l’équipe à tout moment sur proposition du chef de chantier et selon les types des projets. « Je préfère ne pas les prendre en salariés parce que parfois, il n’y a pas des projets ».
Partie pour la Belgique à 19 ans, Fifi Kikangala voulait devenir architecte. Mais très vite, les réalités du milieu et notamment des problèmes administratifs vont réorienter son parcours académique.
« J’ai fait mes études, de la maternelle au secondaire (Scientifique, Biochimie) ici au Congo. Je suis allée en Belgique refaire ma sixième année secondaire. J’ai fait ensuite une année d’architecture. J’ai dû arrêter pour des raisons administratives, des problèmes des papiers et la carte de séjours. Plus tard, j’ai trouvé une école qui a accepté de m’inscrire sans carte de séjours, mais il n’y avait aucune faculté qui se rapportait à mes ambitions d’artiste, » se rappelle Fifi Kikangala
Avec le concours d’un directeur de cette école, qui avait également vécu au Congo et connaissait les difficultés que rencontraient les noirs en Belgique à cette époque, Fifi Kikangala va faire du marketing et parvint ainsi à décrocher son diplôme. Entre temps, elle traverse des périodes très difficiles de sa vie. « J’ai connu des périodes de dépression, j’ai fait des jobs minables, le ménage, le babysitting (…) Et ma situation s’est enfin régularisée, j’avais tous mes documents, » dit Fifi Kikangala.
Les cours d’architecture durent cinq ans, en plus de deux ans de stage. Entre temps, 7 années se sont écoulées et Fifi Kikangala n’a plus le courage de poursuivre son rêve d’architecte. Elle se décide enfin d’aller en décoration d’Intérieur « J’avais juste envie de terminer mes études et travailler. J’ai eu mon diplôme avec mention. J’ai effectué un stage auprès d’un architecte d’intérieur pendant quelques mois. J’ai travaillé en tant que vendeuse dans une enseigne de décoration. J’y étais allée pour une année et j’ai fait trois ans parce que j’avais des factures à payer, des crédits à rembourser (…) »
Un cas de licenciement de masses provoque le déclic
« Je suivais des informations sur la chaine de Télévision France 2. C’était des licenciements de masses dans une entreprise, après une crise économique. J’ai vu une dame qui pleurait, disant qu’elle avait passé 25 ans dans cette société, qu’elle ne savait pas comment s’en sortir. Du coup, une voix intérieure m’a dit ; Si tu restes ici, ce sera ton cas dans 20 ans. C’est là que j’ai démissionné de l’entreprise où je travaillais en 2010 », dit Fifi Kikangala
Pendant deux ans, elle est à cheval entre le Congo et la Belgique. Fifi Kikangala met en place une conciergerie privée et en profite également pour faire une étude du marché.
« C’est ce qui m’a permis de rencontrer des nombreuses personnes, étudier le milieu et de pouvoir constituer mon carnet d’adresse. Je vendais des livres, des voitures, des vêtements, des sacs livrés après 48 heures . J’étais à cheval entre le Congo et la Belgique. Je suivais de près tous les évènements, je devais me mettre de nouveau en contact avec le Congo », dit-elle.
« La Belgique m’a donné la formation, le Congo les opportunités »
« Ce n’est pas toujours facile d’évoluer au Congo. Plus d’une fois, j’ai voulu tout plaquer (…) mais, quand je résume ma vie, je dis la Belgique m’a donné la formation, le Congo les opportunités. Sans la formation, je n’aurais pas saisi toutes ces opportunités. Je n’ai pas raté mon cursus là-bas parce que j’avais eu une bonne base au Congo. Quand je suis revenue au Congo, je voyais tellement des choses différemment. J’avais un autre regard de la vie au Congo, les opportunités de développer un commerce. Les gens ont un potentiel énorme au Congo. Il y a toutes les possibilités de monter une entreprise. Le marché est vierge. On a tout ce qu’il faut pour faire rayonner notre pays à l’international », rassure-t-elle
Miser sur une autonomisation des femmes tisseuses des tapis kuba
Se projetant dans les dix prochaines années, Fifi Kikangala voit Omoy Interior Design se transformer en un centre de formation et multiplier des boutiques à travers le monde. Elle pense se créer sa propre coopérative à Mweka (dans la province du Kasaï) dès l’année prochaine.
« Je ne veux plus avoir des intermédiaires. Je veux créer ma propre coopérative pour que ces femmes tisseuses soient mieux rémunérées. Avec la nouvelle technologie, ce sera possible qu’un client qui achète une banquette kuba sache qui l’a fabriqué, que ce soit Kapinga ou Mushiya, avoir sa biographie et des brèves informations sur elle. Je veux bien-sûr faire mon commerce, mais je veux aussi qu’elles se retrouvent », explique la designer.
En outre, Fifi Kikangala Omoyi pense que les femmes évoluant dans le secteur informel devraient être encadrées et bien gagner leurs vies.
Dans son parcours de designer, elle a travaillé avec le Magazine Optimum et plusieurs entreprises de télécommunication en RDC. En huit ans, elle estime que « la constance (il y a une adéquation entre ses parole et ses actes), les modèles (ses sources d’inspiration) » sont les deux choses qui ont boosté son travail.
Prisca Lokale