La première femme élue présidente de l’Assemblée nationale et cinq membres de son bureau ont été destitués dans la nuit d’hier, 10 décembre, à l’issue d’un vote organisé par le bureau d’âge. Un jour après cet évènement, des Kinoises livrent leurs points de vue et réagissent à chaud à cette actualité.
« Cela ne nous a pas plu du tout », s’indigne Arlette Kafuti en apprêtant ses bottes de légumes. Et d’ajouter, « Jeanine Mabunda est une femme compétente mais, ce qui s’est passé dans l’Assemblée Nationale démontre que tous ceux qui y sont privilégient des conflits plutôt que l’intérêt du peuple. S’il y a vraiment eu une crise au sein de cette institution, je pense que c’est surtout parce que chacun avait des intérêts partisans ».
Hélène Ntumba est enseignante au Complexe scolaire Nisi, elle ne cache pas sa peine.
« C’est avec douleur que j’ai appris la nouvelle de la destitution de Jeannine Mabunda. Je n’avais pas d’électricité, je n’ai pu suivre en direct ce vote depuis le palais du peuple. Mais, je me suis renseignée à chaque étape, je savais que toutes les grandes figures du Front Commun pour le Congo étaient dans la salle et même jusqu’à l’instant où Mabunda a quitté le lieu », relate-t-elle.
Et de poursuivre:
« Nous nous sommes vraiment battues, entant que femmes pour atteindre ce poste décisionnel. Jeanine Mabunda était la première femme à être élue présidente de cette Assemblée. Mais quand on lutte pour l’égalité des sexes et des chances, on doit aussi s’attendre à ces réalités. Autant les hommes rencontrent des difficultés à leurs postes, autant les femmes devraient y faire face. Nous acceptons cette réalité et nous n’allons pas baisser nos bras, nous allons poursuivre notre lutte ».
Au sein de la même école, Abigaël Nkumbi, une jeune enseignante pense que les considérations de la société sur le statut de la femme ont pesé sur la chambre basse du parlement.
« Nous sommes dans une société qui considère que l’homme doit exercer son autorité sur la femme, qu’il devrait être le plus gradé dans tous les domaines. Nous n'ignorons pas les avancées qu’a enregistrés la RDC. Cependant, les étapes à franchir sont encore plus nombreuses. Même lorsque Mabunda a été élue à ce poste, beaucoup d’élus se sont opposés en silence contre cela et ont attendu une occasion comme celle-ci pour s'en prendre à son bureau », dit Abigaël Nkumbi.
Est-ce une menace à la mise en œuvre des droits des femmes en RDC ?
Marthe Tshoki, agent dans une institution publique depuis une vingtaine d’année pointe du doigt le Front Commun pour le Congo (FCC), famille politique de Jeanine Mabunda.
« Je me demande si Mabunda n’a pas été influencée par sa famille politique. Le Front Commun pour le Congo a dirigé ce pays depuis 18 ans et les résultats n’ont pas été probants. Elle était une représentation de la composante femme à ce poste politique. Ce n’est pas la personne de Mabunda qui a été destituée mais plutôt le régime dans lequel elle évoluait, le régime de Kabila. Les droits des femmes évoluent positivement en RDC et nous avançons jusqu’à ce qu’une femme devienne présidente de ce pays », estime Marthe Tshoki, rencontrée au le rond-point Huileries.
« Jeanine Mabunda a été destituée sur base de sa gestion du bureau. Je pense que cela ne constitue en rien une menace à la mise en œuvre des droits des femmes en RDC. Si en tant que présidente, elle avait su diriger ce bureau selon les prescrits de leur règlement d’ordre intérieur, on n’en serait pas arrivé à ce niveau », confie Jeanine Ngamala, attendant un taxi sur le Boulevard du 30 juin.
Peut-on espérer qu'une femme soit élue à ce poste dans le prochain bureau ?
« Je pense qu’une autre femme doit être élue à ce même poste, dans le prochain bureau. Peut-être que Mabunda n’a pas été à la hauteur de leurs attentes mais les femmes compétentes ne manquent pas dans ce parlement. L’honorable Eve Bazaiba ou tout autre personne peut postuler avec l’espoir de l’emporter. Celle qui sera élue aura le sens de l’humilité et saura qu’elle a été élue pour se mettre au service des autres », explique Chantal Nyemba, devant une parcelle sur l’avenue Kongolo à Kinshasa.
Claudèle Mayumba propose plutôt aux députés nationaux de se résigner et rétablir Jeanine Mabunda à son poste.
« C’est une pratique très simple. Ce sont des conflits inhérents à la vie familiale. Un adage dit, Qui aime bien, châtie bien. Je pense que Jeanine Mabunda et tout son bureau ont compris la leçon qui leur était destinée. Je suggère aux députés de faire un retour en arrière, de renouveler leur confiance à la présidente et peut-être aussi, élire des nouveaux membres de son bureau. Ils pourront évaluer leurs actions », dit Claudèle Mayumba.
En définitive, 484 députés sur 500 avaient pris part à cette plénière. Tous les ténors de l’ancienne mouvance présidentielle dont Néhémie Mwilanya, coordonnateur du FCC, étaient présents.
Finalement, Jeanine Mabunda et son bureau sont tombés, mais pour certains caciques du Front Commun pour le Congo, le vote de jeudi à l’Assemblée nationale n’est qu’un accident de parcours. Seul , le sort du questeur adjoint du bureau Mabunda n'a pas été connu. Malade et hospitalisée suite à un AVC, la plénière a jugé bon de reporter son sort. Le président du bureau d'âge qui a proposé cette démarche a expliqué qu'il ne faut pas condamner quelqu'un sans qu'il n'ait assuré sa propre défense. La plénière souveraine a souscrit à cette démarche.
Prisca Lokale