Violences conjugales : raisons et étapes qui conduisent à l’irréversibilité

Violences conjugales : raisons et étapes qui conduisent à l’irréversibilité. Photo droits tiers

Coups, insultes, blessures... Les violences conjugales ponctuent le quotidien de certains ménages à Kinshasa. Selon l’Organisation Mondiale de la Santé (OMS), en Afrique on dénombre en moyenne 36,6% de victimes. Quelles en sont les causes ? Comment les combattre? Décryptage.

Qui dit violences conjugales (ou violence exercées par un partenaire intime) fait référence à tout comportement qui, dans le cadre d’une relation intime (partenaire ou ex-partenaire), cause un préjudice d’ordre physique, sexuel ou psychologique à l’un des partenaires. On y répertorie notamment les actes d’agression physique, les relations sexuelles forcées, la violence psychologique et tout autre acte de domination. 

Selon le  professeur et sociologue Pierre Ndeke, en RDC, il est important de prendre en compte le contexte social. “La crise de la société congolaise a eu des répercussions sur la cellule familiale. Quand un mari n’a plus d'emploi, ou qu’il a un emploi précaire, lorsqu’il est confronté à l’entretien du ménage, l'éducation des enfants, les besoins de sa famille biologique, et qu'il n’est pas en mesure de résoudre tous ces problèmes, il se trouve dans une ambiance psychologique qui  peut le pousser à avoir un comportement agressif au sein de la société et même dans sa vie conjugale”, explique le professeur Ndeke, qui dispense des cours à l’Institut Facultaire des Sciences de l’Information et de la Communication (IFASIC). “Pour l’homme qui réagit de la sorte, ces violences constituent une manière de se libérer des assauts quotidiens de son épouse mais aussi, de se débarrasser des chocs de la vie,” conclut-il.

L’argent, le sexe et l’infidélité

Pour certains hommes, les causes sont multiples. Nono Namasanga est père de huit enfants. Il reconnaît avoir déjà donné des coups à sa femme. Il s’explique en donnant les raisons qui l’ont poussé à agir de la sorte. L’argent et le sexe. “Lorsqu’une femme commence à dépenser l’argent sans fournir d’explications claires à son époux, cela engendre des disputes qui aboutissent à une bagarre. S’agissant du sexe, quelques fois, l'homme peut  devenir incapable de satisfaire sexuellement sa femme. Un tel homme pourrait profiter d’une discussion sans issue et se défouler en donnant des coups à sa femme,” confie Mr Namasanga.

Contrairement à Nono Namasanga, Emmanuel Nvilani dit n'avoir jamais levé la main sur son épouse. Selon lui, l'agressivité d'un homme peut provenir de ses géniteurs.  “Tout dépend de l’éducation de base. Il y a des hommes qui battent leurs femmes parce qu’ils ont hérité du comportement agressif de leurs pères,”  souligne celui-ci qui entre bientôt dans sa quinzième année de mariage.

Jacques Ewanga, responsable d'une église, appuie sa réflexion sur des éléments bibliques. “Un homme qui craint Dieu ne peut pas porter la main sur sa femme, c’est la déshonorer. Même lorsqu’il attrape sa femme dans des postures désobligeantes, il doit lui montrer ce que dit la Bible pour avoir souillé le lit conjugal et la laisser partir.” 

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Un homme peut obliger sa femme à se soumettre et la battre si elle s’y oppose

Pour Claudine, qui totalise 28 ans de mariage, les relations sexuelles sont un des principaux points de divergence. “Il peut se faire qu’un homme demande à son épouse de faire l’amour alors qu’elle ne se sent pas prête. Si cet homme n’est pas compréhensif, il peut obliger sa femme à se soumettre, si elle s’oppose, il peut en venir à la battre.” 

Jeanne pense que les nouvelles technologies de l’information et la communication joue un rôle important aujourd’hui dans la gestion des couples. "Les couples modernes sont très attachés aux nouvelles technologies. Les femmes copient ce qu’elles voient dans les films, oubliant que c’est du fantasme. Elles répondent parfois avec insolence à leurs époux et excitent leur colère. En fin de compte, elles sont victimes des coups,” souligne cette vérificatrice à la Direction générale des impôts (DGI).

Aly Ndjunkendi est neuropsychiatre au Centre Neuro-Psycho Pathologique (CNPP), depuis 2004. Il évoque des raisons biologiques, psychologiques et/ou sociales. “Sur le plan biologique, un homme peut avoir des troubles de comportement, un retard mental et des troubles d’adaptation. Cela induit que l’agressivité arrive au premier niveau”, souligne le neuro-psychiatre. Du point de vue psychologique, le médecin apporte un  autre éclairage “cela peut pratiquement être lié à la personnalité et aux tempéraments de chaque individu. Certaines personnes ne supportent pas les frustrations. Grandir auprès d’un père obsédé et agressif, avoir de mauvais attachements avec sa mère, être victime d’un mauvais traitement pendant son enfance, ces éléments ont une grande influence sur le comportement ultérieur d’un homme.

S’agissant des divergences à propos du sexe, le médecin les expliquent, entre autres, par les raisons sociales, “les vicissitudes actuelles de la vie ont des répercussions sur la vie quotidienne des foyers. Lorsque l’époux n’arrive plus à jouer son rôle en tant que responsable de la famille sur le plan financier, cela peut être l’une des raisons. Il faut aussi noter que la satisfaction sexuelle peut être l’une des raisons fondamentales dans le sens où l’homme n’arrive plus à être à la hauteur des désirs de son épouse, il peut transformer cette insatisfaction par des réactions très agressives.” 

Que faire pour vaincre les violences conjugales ?

Pierre Ndeke et Ally Ndjukendi, respectivement sociologue et neuropsychiatre, suggèrent quelques solutions pour éviter les violences conjugales : repérer la source du problème, avoir des méthodes adaptées et proposer une solution efficace.   

Il faut d’abord situer la cause de ces violences. Dès le moment où on considère que la société en est une cause principale, il faut commencer par résoudre les problèmes de la société. Pour le reste, on peut initier des actions d’éducation à la vie familiale”, suggère le professeur Pierre Ndeke.

Il faut identifier et comprendre le comportement de chaque individu. Lorsqu’il s’agit des approches biologiques, il faut un appui psycho-social. Même si une personne sera soumise à une prescription médicale, il lui faudra en plus un appui psycho-social. Par contre, quand il s’agit des problèmes sociaux ou psychologiques, il faut un appui biologique. Il y a certaines personnes qui ne posent de mauvais actes qu’après avoir bu un verre de plus ou après avoir consommé des substances psychoactives. Il doit passer par les structures de soins ou de prise en charge”, conclut le docteur Ally Ndjukendi du CNPP.

Selon l’OMS, ces violences entraînent des problèmes de santé physique, mentale, sexuelle, reproductive chez les femmes victimes et peuvent accroître leur vulnérabilité au VIH. Les estimations de la prévalence varient de 23,2% dans les pays à revenu élevé et de 24,6% dans la Région du Pacifique occidental, 37% dans la Région de la Méditerranée orientale et 37,7% dans la Région de l’Asie du Sud Est. Dans le monde, pas moins de 38% de l’ensemble des meurtres de femmes sont commis par leur partenaire intime.

Prisca Lokale